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Intervention de Jean-Jacques Candelier

Réunion du 1er juillet 2009 à 21h30
Gendarmerie nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Le présent projet de loi relatif à la gendarmerie nationale suscite, comme tous les projets de lois de ce Gouvernement, de vives inquiétudes, tant chez les 100 000 gendarmes que chez les 150 000 policiers que compte notre pays.

Bouleverser les statuts et l'organisation duale de nos forces de sécurité intérieure sous prétexte de simplification, c'est introduire de la confusion. Raboter les coûts et appliquer la révision générale des politiques publiques à la gendarmerie et à la police, c'est attaquer les services publics, détricoter le maillage territorial et étendre la précarité.

Mais avant de parler des entailles qui sont faites au statut militaire de la gendarmerie, je voudrais souligner que ce projet témoigne de la volonté d'appliquer la fameuse RGPP aux forces de maintien de l'ordre.

Ce sont ainsi 3 500 postes de gendarmes qui seront supprimés d'ici 2012. Le plan social devrait entraîner la disparition de sept ou huit escadrons de gendarmerie mobile.

Selon Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, 4 829 équivalents temps plein devraient être supprimés sur les trois prochaines années, soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPPSI !

Or la police aux frontières doit prendre en charge les centres de rétention administrative, jusqu'alors gérés par la gendarmerie, ce qui représente un effort de 600 ETP. Quant à la centaine d'unités territoriales de quartier et de compagnies de sécurisation, elle nécessiterait le redéploiement de 4 000 ETP.

Le chef de la police lui-même s'interroge : « Comment faire pour trouver tous ces fonctionnaires ? ». La question ne manque pas de sel, après le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire qui a concerné 54 000 postes et le dogme néolibéral du non-remplacement d'un poste de fonctionnaire sur deux !

S'abritant derrière les moulinets sécuritaires du chef de l'État, le Gouvernement mène une politique néolibérale de casse de nos services publics. Les emplois publics sont supprimés par dizaines de milliers à l'heure où la crise du capitalisme met chaque jour 2 000 personnes au chômage, toujours au nom de ce même dogmatisme : « faire des économies », « réformer », « moderniser », « rationaliser », « supprimer les doublons », « créer des synergies », et j'en passe. Autrement dit, le Gouvernement poursuit et amplifie la politique qui fut pourtant à l'origine de la crise.

Le général Roland Gilles, directeur général de la gendarmerie nationale, l'a solennellement affirmé devant la commission de la défense de notre assemblée : « Toute forme de rationalisation consistant à dévitaliser une force au profit de l'autre serait pernicieuse, dangereuse pour l'équilibre de notre sécurité intérieure ». C'est pourtant l'objectif de ce projet de loi, et les ministres ne s'en cachent pas.

Mais ce projet de loi suscite également des inquiétudes sur le statut des gendarmes est un autre sujet d'inquiétude : bon nombre y voient la mise en route d'un chantier de fusion de nos deux forces de sécurité intérieure, la police et de la gendarmerie. Et le discours du Président de la République aux forces de l'ordre le 29 novembre 2007, où il affirmait que « le principe de l'existence de deux forces de sécurité dans notre pays, l'une à statut militaire, l'autre à statut civil, est et sera maintenu. » n'est pas de nature à rassurer quand on connaît la valeur des engagements de Nicolas Sarkozy. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) N'avait-il pas solennellement affirmé devant la représentation nationale que GDF ne serait pas privatisé et qu'il serait le Président du pouvoir d'achat ?

Ce texte de loi place la gendarmerie nationale sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Ce serait même, à entendre les ministres concernés, sa seule et unique vocation, dans un souci de simplification et de mise en cohérence.

Or le décret du 15 mai 2002 relatif aux attributions du ministère de l'intérieur, la LOLF – qui règle tous les problèmes budgétaires – et le décret du 15 mai 2007 qui définit la mission du ministère de l'intérieur ont déjà entériné juridiquement ce rattachement.

Pourquoi une loi, pourquoi engager une vaste campagne d'adaptation juridique, pourquoi isoler systématiquement la gendarmerie des dispositions qui concernent les forces armées, si ce n'est pour préparer de nouvelles entailles à son statut historique ?

Le rattachement à l'intérieur témoigne clairement de la volonté d'harmoniser les statuts des deux forces. Dans ce contexte, pourquoi maintenir le statut militaire des gendarmes ? Le directeur général de la police nationale était on ne peut plus explicite devant la commission de la défense : « Pourquoi conserver le statut militaire s'il est la seule spécificité d'une force devenue sur tous les autres points identique à l'autre ? »

Et s'il n'est pas question, comme le répète le Gouvernement, de revenir sur le statut militaire de la gendarmerie, pourquoi rapprocher les deux forces ? Les gendarmes ne manqueront pas de faire remarquer qu'ils ont tous les désagréments du statut militaire, et aucun de ses avantages !

Quoiqu'il en soit, cette mutualisation des moyens ne peut que créer des conflits entre les deux institutions. Alors que les moyens accordés à la gendarmerie dans la précédente loi d'orientation ont été inférieurs de 20 % à la prévision, ceux de la police nationale étaient très supérieurs. Le rattachement risque fort de tourner à la mise en concurrence des deux forces. Le chef de la gendarmerie lui-même s'est fait écho de cette préoccupation en expliquant que « les relations harmonieuses et constructives ne pourront se nouer qu'en veillant à l'équité, sans esprit de surenchère ».

Cette mise en concurrence concernera aussi les attributions et le périmètre d'action, de la police et de la gendarmerie. Lors des auditions réalisées par la commission de la défense, il a été tout particulièrement inquiétant de constater que les états-majors des deux institutions réclamaient, avec la même insistance, les mêmes attributions – ainsi la prévalence dans le domaine de la lutte contre le terrorisme régional.

Ainsi, le général Gilles affirmait que la gendarmerie avait développé des capacités en matière de police judiciaire, de renseignement ou de lutte contre les terrorismes régionaux « corse et basque, notamment ». Ce que confirmait l'ancienne ministre de l'intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie : « Nul ne conteste le rôle de la gendarmerie dans ce domaine. La lutte contre l'ETA, dans laquelle la gendarmerie s'est encore illustrée récemment, le démontre ». Mais le chef de la police, Frédéric Péchenard, n'a pas du tout la même position : « Je ne voudrais pas que la gendarmerie vienne polluer des coopérations opérationnelles qui marchent à la perfection, notamment en ce qui concerne la lutte contre l'ETA. » La contradiction est de taille, et l'on ne peut que déplorer la pagaille et la concurrence que ce « rapprochement » ne manquera pas d'occasionner…

En toute courtoisie, monsieur le ministre, lorsque vos homologues nous parlent de complémentarité et de synergies, il n'y a guère qu'eux qui peuvent y croire !

C'est avec raison que les gendarmes ne peuvent que craindre une absorption. Ou bien leurs compétences et leur budget se verront siphonnés par la police, ou bien celle-ci dernière refusera purement et simplement que les gendarmes soient associés à des compétences que chacune des deux forces revendique pour elle seule.

Et que l'on ne vienne pas nous dire qu'il s'agit d'une situation de fait qu'on ne ferait que valider ! Si la situation est déjà réglée depuis 2002, aussi bien juridiquement que budgétairement, il est parfaitement inutile de faire passer un projet de loi, qui plus est en procédure d'urgence !

Des parlementaires ont exprimé de vives inquiétudes sur deux dispositions particulières du projet.

La suppression de la procédure de réquisition tout d'abord, laquelle découle d'une disposition du code de la défense, dont l'article L. 1321-1 dispose qu'« aucune force militaire ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sans une réquisition légale. »

Le ministère fait valoir que cette suppression découle du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. à ceci près que cette procédure est l'acte par lequel s'établit l'obéissance de l'autorité militaire à l'autorité civile. Elle permet d'établir une traçabilité des ordres donnés et de vérifier la légalité et la régularité de l'ordre d'agir donné à la gendarmerie par une autorité requérante civile ou militaire. Remplacer la règle de la réquisition par un simple ordre verbal ouvre la voie à toutes les dérives.

Le Sénat avait opportunément introduit un garde-fou sur l'utilisation des armes à feu, qu'un décret en Conseil d'État devait réglementer et encadrer. Mais c'était déjà trop demander ; la commission l'a supprimé…

L'article 3 prévoit également de placer la gendarmerie à l'échelon départemental sous l'autorité administrative du préfet. Mais pour ces deux nouveautés, le Gouvernement semble croire que « soixante-quatre mille répétitions font la vérité », comme le dit Aldous Huxley. Les ministres ne cessent de rabâcher qu'aucune brèche n'est ouverte dans le statut militaire ; ils le répètent tellement que cela prouve que c'est faux ! En effet, dans le cas de cette rupture de la chaîne hiérarchique propre à la force militaire qu'est la gendarmerie, le préfet a autorité sur les responsables départementaux et les unités de gendarmes.

Pourtant, il aurait été possible de faire coexister l'autorité du préfet avec le fonctionnement hiérarchique de la gendarmerie: l'exécution des missions confiées par le préfet pouvait rester sous l'autorité hiérarchique du commandement régional de la gendarmerie.

Réformer le statut de 100 000 hommes et femmes ne se fait pas à la légère; cela pose de multiples questions d'organisation du travail, de temps de travail, de rémunération… Autant de problématiques que ce projet de loi n'aborde pas, ou si peu, au détour d'un article introduit à la dernière minute par M. le rapporteur. J'en prends acte, il a au moins le mérite d'exister – l'article, s'entend, pas notre cher collègue !

En un mot, force est de constater que partout où le Gouvernement veut faire des simplifications, partout il crée la confusion et la pagaille.

Nous ne pouvons accepter que la même recette idéologie libérale nous soit resservie sur tous les sujets, surtout quand elle touche aux institutions qui ont la charge de maintenir l'ordre.

Je vous informe donc, chers collègues, que les députés communistes, républicains et du Parti de gauche voteront contre ce texte.

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