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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 17 janvier 2008 à 15h00
Accord france-suriname sur la coopération transfrontalière en matière policière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais conforter l'argumentaire de ma collègue. Cette convention est de facture tout à fait classique, et son intérêt majeur réside dans le fait qu'elle établit un cadre d'intervention coordonnée pour des opérations de police, ce qui permettra de remplacer des actions ponctuelles par des missions systématiques, avec l'avantage non négligeable d'un suivi et d'une possible évaluation. Le deuxième intérêt de cet accord est qu'il permet d'aborder la question de la contestation frontalière, en espérant que le risque évoqué dans les articles 2 et 9 – risque que je qualifie de chance – rendra nécessaire de se pencher à nouveau sur le litige fluvial pour le régler une fois pour toutes, même s'il n'est pas conflictuel. Le troisième intérêt de ce texte, c'est l'importance que prendra, de fait, la lutte contre l'orpaillage clandestin. Car, sans le viser nommément, il contribuera à lutter contre l'orpaillage clandestin, le reste de la criminalité étant indirectement stimulée par les désordres qui découle de l'exploitation illégale de l'or.

Mais d'abord, dans les relations internationales, l'état d'esprit me semble concourir à la fois à la qualité des rapports et à l'efficacité des actes. Or, dans le rapport de la commission, lorsque, dès les premières lignes, le Suriname est présenté comme un « petit pays », je crois qu'il y a là un réflexe de condescendance qui peut nuire, même si l'intention n'y est pas. Parce que ce « petit pays » s'étend tout de même sur une superficie quatre fois supérieure à celle de son ancienne métropole, les Pays-Bas, que personne n'a l'idée de traiter ainsi ; et même si le Suriname n'est que quatre-vingt-sixième selon l'indice de développement humain, son taux d'alphabétisation est équivalent à celui de la Guyane, qui est réputée, elle, appartenir à ce grand pays qu'est la France. Au passage, je voudrais souligner qu'il est temps de renoncer à la mythologie selon laquelle la Guyane disposerait du niveau de vie le plus élevé du continent. Si on regarde le Brésil et ses 170 millions d'habitants, pays industriel, notamment dans ses États du sud, qui s'étend sur 40 % du continent, le Venezuela ou l'Argentine, il est difficile de considérer sans se livrer à des rodomontades que le niveau de vie le plus élevé se trouve en Guyane.

Je disais que l'un des intérêts majeurs de cet accord, c'est d'établir un cadre systématique d'intervention coordonnée des forces de police et de gendarmerie. Même si ces activités ne vont se développer que sur une bande de 2 kilomètres de chaque côté des rives du Maroni, il est évident que ces actions ne pourront pas se limiter à la criminalité en milieu urbain et péri-urbain, ne serait-ce que parce que cette criminalité subit la pression exercée par les activités illégales sur le Haut-Maroni et sur la ceinture du Paramaca, côté guyanais, mais également sur les vallées du Maroni, côté surinamien, à Gross Rosebel et Benz-Dorp. J'entends bien la difficulté de couvrir une si vaste zone, mais il est absolument impossible, parce que inconcevable, que la criminalité et la délinquance aurifères échappent à ces missions. Je veux évidemment parler des délits de droit commun qui sont liés à l'économie interlope, celle du trafic de médicaments, de la prostitution, du trafic de stupéfiants et de psychotropes, du trafic d'armes, mais également la délinquance économique qui lui est associée, à savoir les transactions au noir, l'importation de mercure – malgré l'interdiction de son usage en Guyane depuis janvier 2006 –, le trafic de carburants, l'importation clandestine de matériels et d'équipements, le convoyage illégal de fonds et l'importation hors douane de biens de consommation.

La Guyane et le Suriname partagent ces terres de circulation que constituent les vallées du Maroni, et ils ont intérêt à additionner leurs efforts. Voilà une dizaine d'années que je plaide pour que les dossiers sensibles des flux migratoires et de l'orpaillage clandestin soient confiés non seulement au ministère de l'intérieur mais également au vôtre, le ministère des affaires étrangères, parce que la chasse à l'homme et au garimpero, même accompagnée de rodomontades, ne peut être ni efficace, ni acceptable.

Le présent accord lève l'obstacle qu'a constitué pendant longtemps la convention de Vienne du 18 avril 1961. Elle ne dissout pas pour autant toutes les difficultés, qui sont mesurables. Prenons l'exemple d'un trafic qui paraît indolent, celui de carburant : ce trafic prive les collectivités guyanaises de ressources fiscales, mais il contribue aussi à déséquilibrer la balance des paiements du Suriname. En effet, ce pays est producteur de pétrole, mais il s'agit de pétrole lourd, utilisé seulement pour les équipements industriels, et qui est raffiné au Venezuela et à Trinidad. Le Suriname réimporte donc son carburant, lequel alimente les circuits de contrebande, échappant ainsi à la fiscalité surinamienne, ce qui obère le budget public de ce pays, le prive de capacités d'intervention pour ses politiques publiques et, bien entendu, aggrave sa dette envers les compagnies pétrolières.

S'agissant de la ressource aurifère, la difficulté est la même et elle est, elle aussi, partagée par les deux territoires : au Suriname, la banque centrale est privée de ressources – malgré une législation contraignante puisque la vente au comptoir est obligatoire –, tandis que la Guyane est privée d'une ressource non renouvelable, du fait d'une législation laxiste – puisque la vente au comptoir peut y être anonyme. Le record atteint par le cours de l'or ne va qu'exercer une pression productiviste sur cette activité puisque l'once d'or, vous le savez, a atteint 900 dollars la semaine dernière ; et cela va continuer car, à cause de la crise des subprimes, le métal jaune est en train de redevenir la valeur-refuge par excellence.

Concernant la santé publique, nous sommes devant la même situation puisque, du fait de l'utilisation du mercure par l'orpaillage clandestin, le mercure métallique est inhalé par les ouvriers des chantiers mais aussi par ceux des métiers de transformation. De surcroît, le méthyl-mercure imprègne les poissons, les prédateurs, et donc remonte la chaîne alimentaire jusqu'à l'homme à cause de la pollution de la chaîne trophique. De ce fait, une pression s'exerce sur les centres de santé et sur les équipements hospitaliers.

Il ne sert donc à rien de courir seulement après les délinquants et les malades. Il faut s'attaquer aux causes. C'est la condition pour mettre un terme au pillage de la ressource, au saccage de la forêt – qui continue malgré la création du parc national amazonien –, à la détérioration du réseau hydrographique et aux désordres sociaux fondés sur la loi du plus fort.

Par ailleurs, les articles 7 et 8 prévoient une formation générale et spécialisée ainsi qu'une formation linguistique. Mais il convient de rappeler que les deux systèmes administratifs sont fondés et édifiés à partir de cultures juridiques différentes, et qu'il faudra former réciproquement ces agents de police et de gendarmerie à la culture de l'autre pays. Il est évident que ces problèmes ne peuvent pas être réglés par de simples patrouilles conjointes. Certes, les mesures que je préconise n'ont pas leur place dans une convention internationale, mais elles devraient constituer l'armature de l'action du Gouvernement. Il lui appartient de nous indiquer quels objectifs il se fixe, quels moyens il va y consacrer, quel calendrier de résultats il s'impose. Faute de quoi, nous n'aurons fait qu'adopter un texte supplémentaire, l'empiler sur les précédents, contribuer à l'impression d'un État impuissant et favoriser un sentiment d'impunité lucrative.

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