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Intervention de Chantal Berthelot

Réunion du 17 janvier 2008 à 15h00
Accord france-suriname sur la coopération transfrontalière en matière policière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Berthelot :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l'indique son intitulé, cet accord franco-surinamien de coopération transfrontalière en matière policière se donne un objectif limité. Il s'agit, grâce à des patrouilles conjointes des forces de sécurité des deux États dans la zone frontalière comprenant le fleuve Maroni et une bande de deux kilomètres sur chaque rive du fleuve, de lutter contre la criminalité et la délinquance.

Un cadre juridique est ainsi fourni aux besoins quotidiens de coopération concrète entre les services concernés. J'en prends acte. Cependant, l'efficacité de cet accord, face à l'importance du phénomène des trafics en tous genres et du banditisme, dépendra beaucoup de la volonté politique et des moyens nécessaires qui seront réellement mis en oeuvre. Il a été rappelé en effet que nous avons la charge d'une frontière naturelle de 520 kilomètres le long du fleuve Maroni, où la drogue, les armes et la contrebande, entre autres, circulent en toute impunité.

C'est également le cas pour les orpailleurs illégaux, qui empruntent le fleuve Maroni comme voie de passage obligatoire après s'être ravitaillés dans la ville d'Albina, située en face de Saint-Laurent-du-Maroni. Madame la secrétaire d'État, j'aurais souhaité que la lutte contre l'orpaillage illégal figure spécifiquement dans les objectifs de cet accord, au même titre que la lutte contre la criminalité et la délinquance.

Il s'agit en effet d'un fléau qui doit absolument être éradiqué. Il a provoqué une catastrophe humaine – cause à laquelle, en tant que secrétaire d'État aux affaires étrangères et aux droits des hommes, vous êtes sensible – et écologique liée à l'utilisation du mercure sur les sites d'orpaillage. C'est une source d'insécurité, de pollution et de problèmes sanitaires graves pour les populations, notamment du Haut Maroni. Le Président doit, semble-t-il, se rendre en Guyane au mois de février. Il aurait été souhaitable qu'il vienne, comme je l'ai fait la semaine dernière dans cette circonscription dont je suis l'élue, visiter les villageois des villages d'Elahé et Caoydé, constamment aux prises avec les orpailleurs clandestins, qui, ces dernières semaines, en sont venus à faire usage des armes.

Effet pervers de l'absence de la République dans cette zone, les villageois ont imposé un droit de passage aux orpailleurs pour se construire un centre de santé dont leur village est dépourvu. Les femmes enceintes et les enfants doivent consulter le médecin, au su de tous, dans un simple carbet. Vous êtes, en tant que secrétaire d'État aux affaires étrangères et aux droits des hommes, l'interlocuteur concerné. J'ai déjà alerté la ministre de l'intérieur sur la gravité de la situation et l'étendue du problème des zones de non-droit existant en Guyane. Cette défaillance de l'État, qui n'assume pas son rôle premier de protection des biens et des personnes, n'est pas une fatalité ; la preuve en est le déploiement des moyens efficaces pour assurer la sécurité du centre spatial européen de Kourou. Or l'accord franco-surinamien ne répond pas à cette exigence d'éradiquer l'orpaillage illégal. Il est grandement temps de le faire, de passer aux actes ! Il y a eu trop de déclarations non suivies d'effet sur cette question essentielle dont dépendent la cohésion et la survie de la Guyane.

Par ailleurs, les mêmes groupes ethniques, implantés historiquement de part et d'autre de la frontière, traversent en permanence le fleuve Maroni. Ces flux de personnes peuvent d'autant moins être contrôlés que le problème de l'état-civil sur le Maroni n'est pas encore réglé. La solution n'est pas de les traiter en clandestins et de « faire du chiffre » en matière de reconduites à la frontière. C'est d'autant plus inopérant que 60 % des reconduits sont déjà connus des forces de police et il n'est pas rare qu'une même personne soit reconduite huit fois en un an. Il serait plus réaliste et plus pragmatique – puisque telle est la marque du Gouvernement – de réfléchir à l'établissement d'un statut frontalier pour ces populations, à l'instar de ce qui se fait en France continentale.

Face à ces enjeux, si une réponse sécuritaire adéquate demeure indispensable, elle restera toujours insuffisante si elle n'est pas accompagnée d'une approche globale prenant en compte les données géopolitiques de l'environnement régional guyanais.

Il est vrai, monsieur Mariani, que la Guyane française bénéficie d'une relative prospérité comparée à ses voisins, même si, à bien des égards, elle reste sous-développée et souffre de difficultés socio-économiques chroniques. On ne pourra mettre définitivement fin aux divers fléaux sans une action multiforme en amont en direction de nos voisins, le Surinam et les États du Nord du Brésil. Cela implique la mise en place d'une véritable politique de coopération avec eux dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la formation, de l'économie.

Bref, madame la secrétaire d'État, j'envisage cet accord de coopération policière comme un tout petit pas vers une politique de coopération d'envergure, et autrement ambitieuse.

Pour terminer, je voudrais évoquer le problème du litige frontalier franco-surinamien. J'ai interrogé le ministre des affaires étrangères par courrier et par question écrite à ce sujet, sans aucune réponse de sa part. Je profite de ce débat pour vous interpeller parce que le litige concerne une zone située dans le sud-ouest de la Guyane, le long du fleuve Litani. Il dure depuis plusieurs décennies ; les pourparlers avec le Suriname ont été interrompus en 1981 et, récemment, plusieurs incidents dans la zone contestée ont ravivé la question. Le président surinamien a alors proposé la reprise des discussions pour le règlement définitif de ce litige. Qu'attend le Gouvernement pour donner une suite favorable à sa demande ? De même que l'accord de réadmission de 2004 n'a pas été ratifié par le Suriname, je me demande si celui que nous allons approuver aujourd'hui le sera. En effet, vous savez qu'il y a un an cet accord signé en juin 2006 est passé au parlement surinamien, et qu'il a été rejeté à l'unanimité ! La coopération avec ce pays doit se faire de manière très globale, et non en pensant que c'est un pays sous-développé, en marge de la démocratie. La coopération française devrait peut-être accompagner le Suriname sur ce plan.

Les enjeux sont considérables : il ne s'agit pas seulement du droit frontalier et de la coopération transfrontalière entre les populations des deux rives du Maroni, mais aussi de l'avenir des liens socio-économiques et culturels entre la Guyane française et le Suriname. À travers la Guyane, seule région française située en Amérique du Sud ayant des frontières terrestres avec des États tiers, il y va de la crédibilité de la politique étrangère de la France dans cette partie du monde.

Je compte sur vous, madame la secrétaire d'État, pour transmettre ce message au ministre des affaires étrangères et au Président de la République, qui devrait séjourner en Guyane en février 2008.

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