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Intervention de Pierre Cardo

Réunion du 17 janvier 2008 à 15h00
Grenelle de l'insertion — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Cardo :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le Président de la République, en décidant de créer un haut-commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté, a lancé un signal fort pour venir en aide à ceux de nos concitoyens qui rencontrent de graves problèmes d'exclusion. En confiant cette mission à l'ancien président d'Emmaüs, il a clairement manifesté sa volonté de rechercher et de trouver des solutions concrètes, qui dépassent la simple allocation pour aller vers un réel retour à l'emploi des plus exclus du marché du travail. C'est l'objet même des mesures que vous avez déjà prises avec le RSA et c'est le principal enjeu du Grenelle de l'insertion, qui réunit depuis plusieurs mois au sein de groupes de travail tous les acteurs concernés par l'accès à l'emploi.

La première mission de l'insertion, c'est de ne laisser personne sur le bord de la route. Il s'agit de détecter, d'accueillir, voire d'aller au devant des publics concernés. C'est d'abord diagnostiquer et évaluer ; c'est ensuite orienter et accompagner ; c'est aussi traiter la santé physique et mentale, remotiver les publics concernés en intégrant tous les éléments favorisant l'autonomie des personnes, comme la garde des enfants ou le permis de conduire ; c'est enfin former et, si possible, mettre ou remettre au travail. Et mettre au travail, c'est insérer dans l'utilité économique ou sociale, afin que l'individu retrouve un sens à sa vie, prenne conscience de son existence dans la société et ait une image positive de lui-même. Il faut donc cibler les publics, puis l'ensemble des parcours et des acteurs, et définir qui finance et qui gouverne.

Afin de bien comprendre le problème actuel, il me semble utile de reprendre rapidement l'historique des politiques d'insertion, ce qui implique de remonter près de trente ans en arrière. Cela fait des années que l'insertion est devenue l'une des préoccupations majeures de notre société. Depuis les années quatre-vingt, les différents gouvernements n'ont cessé de soumettre au Parlement des textes traduisant cette volonté. Bertrand Schwartz, père fondateur d'une approche globale de l'insertion des jeunes, a été à l'origine des missions locales. Puis, ce fut une série de mesures en faveur de l'emploi aidé, soit dans le secteur marchand, notamment dans les zones franches, soit dans le secteur socio-économique, voire d'utilité sociale. Nous avons donc connu les TUC, travaux d'utilité collective ; les CES, contrats emploi solidarité ; les CEC, contrats emploi consolidé ; les emplois-ville ; les emplois-jeunes ; les adultes relais ; les contrats d'accès à l'emploi, et j'en passe ! Évoquons aussi les aides à la création d'entreprise, comme l'ACRE, parfois éphémères, et la mise en place de filets de sécurité comme le RMI, dont le « I » devait signifier « imagination » plutôt qu'« insertion », calculé sur une base différentielle par rapport aux autres ressources, comme les allocations familiales, ce qui ne simplifie pas sa réforme.

Bien sûr, tout cela s'est accompagné de structures diverses. D'un côté, on peut citer les associations intermédiaires, les entreprises d'insertion, les entreprises de travail temporaire d'insertion, les SCOP ; de l'autre, les commissions locales d'insertion, les CLI, les plans départementaux d'insertion, les PLI, et d'autres dispositifs variés et variables, comme les plans locaux d'insertion par l'économique, les PLIE, les maisons de l'emploi. Toutes ces structures sont financées aussi bien par l'État et l'Europe que par la région, le département et les communes.

À cet édifice, il faut ajouter la lutte contre l'illettrisme, la préformation, le soutien psychologique, la remise en forme, l'encadrement et le suivi de tous ces outils. Et dans une moindre mesure, hélas, la formation dont bénéficient bien plus les personnes insérées et qualifiées que les publics précaires et faiblement qualifiés, comme vous l'avez souligné, monsieur le haut commissaire.

Pour quels résultats ? Certes, le chômage baisse depuis quelque temps mais, si ce résultat est statistiquement satisfaisant, il ne doit pas nous leurrer car la pyramide des âges y participe largement et les radiations de l'ANPE sont nombreuses. En outre, nous sommes bien placés pour savoir que nombre de jeunes et d'adultes ne s'inscrivent plus. Même si ce phénomène n'est pas récent, il ne faut pas le négliger. Dans ma commune, par exemple, 80 jeunes sont inscrits alors que 300 sont au chômage.

Que peut apporter le Grenelle de l'insertion ? Affirmer la volonté de l'Assemblée et du Gouvernement de combattre cette exclusion qui détruit l'existence de centaines de milliers de nos concitoyens et ne peut à terme que générer la violence ; faire comprendre l'enjeu économique que représente la réussite de l'insertion sociale, la productivité ne pouvant qu'être améliorée par l'accès à l'emploi des trois grandes catégories qui en sont massivement exclues : les jeunes sans qualification, les plus de cinquante ans et les chômeurs de longue durée.

Une fois ciblées les populations les plus concernées, nous devons définir les outils adaptés, préciser une gouvernance claire et imposer la nécessité d'une action massive pour relever ce défi.

La situation est grave : plus de 600 000 emplois ne sont pas pourvus tandis que plus de 2 millions de personnes sont sans activité ; il n'y a pas assez de logements ; les prix à la construction augmentent ; les loyers et les charges flambent. Il est temps d'arrêter ce processus par une vraie révolution dans le domaine de l'insertion. C'est ce que vous souhaitez, monsieur le haut commissaire, et c'est ce que nous voulons vraiment.

Pour commencer par le plus important, parlons moyens. Faut-il dépenser plus ? Pas sûr. Dépenser mieux ? Certainement.

Réfléchissons à ce qui a été tenté depuis Bertrand Schwartz jusqu'à Jean-Louis Borloo. Des missions locales jusqu'aux maisons de l'emploi, qu'observe-t-on ?

Le « guichet unique » préconisé par Bertrand Schwartz traduisait déjà la volonté de globaliser les financements, d'additionner les moyens et les compétences en mettant les acteurs en réseau.

Les maisons de l'emploi présentent en plus l'avantage d'être ancrées dans les bassins d'emploi, ce qui permet de prévoir les emplois de demain, donc les mutations, et de se donner les moyens d'être des interlocuteurs crédibles face au secteur économique traditionnel en le reliant au secteur socio-économique, voire à l'utilité sociale.

On voit aussi au fil des ans la création de mesures « chaînées » en forme d'itinéraires, comme les programmes Trace et Civis, qui tentent d'éviter les ruptures liées à la multiplicité des intervenants sur le même parcours, ainsi qu'à la multiplicité des financeurs. Mais cela ne concerne que les jeunes.

Récemment, on a vu apparaître la volonté de réaliser la fusion entre l'UNEDIC et l'ANPE.

Après ce constat, que peut-on proposer concrètement ?

Dans un premier temps, afin d'éviter l'éparpillement des crédits et la dilution des mesures, il faut unifier les dispositifs, globaliser les fonds et les territorialiser. Dans un souci de transparence, l'ensemble des crédits affectés à l'insertion devraient être rendus fongibles et abondés d'une partie des crédits de formation utilisés dans le cadre des parcours des différents publics concernés par le retour à l'emploi, voire d'une partie des crédits consacrés par les entreprises à la formation permanente. Certaines branches professionnelles se sont déjà investies dans la formation en amont des recrutements. C'est le cas, vous l'avez rappelé, du secteur de la propreté.

Ensuite, il est indispensable de déterminer une gouvernance claire avec des objectifs précis en termes de droits et de devoirs, tant des bénéficiaires que des organismes et entreprises qui concourent à l'insertion.

La mise en oeuvre, contractualisée par la gouvernance, pourra se faire, soit par les maisons de l'emploi, soit par les communautés de communes ou d'agglomération, en associant l'ensemble des structures qui concourent à l'insertion, à la formation et à l'accompagnement à l'emploi.

L'objectif doit être celui d'un contrat unique conclu auprès du territoire. Ce pourrait être un contrat territorial d'insertion sécurisant le parcours de l'intéressé sous tous ses aspects et assurant une véritable plus-value lors de l'accès à l'emploi.

Dans ce cadre, plusieurs mesures paraissent indispensables.

D'abord, il faut supprimer la catégorisation des bénéficiaires selon l'âge et considérer les personnes en fonction de leur profil et de la spécificité de leurs problèmes, avec un statut unique pour tous les bénéficiaires, afin de les rendre si possible intégrables dans l'entreprise.

Il convient aussi de prévoir un financement des postes d'encadrement en milieu de travail ; de garantir l'affectation d'une partie des moyens de la formation permanente au bénéfice des publics concernés par l'insertion ; de réduire à six mois la durée de travail exigée des salariés des entreprises d'insertion pour pouvoir obtenir un congé individuel de formation, au lieu des vingt-quatre mois requis actuellement ; de renforcer en les structurant les liens entre les organismes d'insertion, ceux de formation, les acteurs sociaux et l'entreprise.

Il faudra formaliser un itinéraire d'insertion transversal via l'octroi d'un statut unique du bénéficiaire alternant périodes en entreprise, périodes de formation professionnelle continue, périodes de formation de base et périodes d'accompagnement et de suivi.

Il est nécessaire de développer et formaliser dans chaque bassin d'emploi via les maisons de l'emploi la coopération entre les acteurs de l'insertion professionnelle et les acteurs du monde économique, tant dans le secteur marchand que non marchand, afin de développer l'accueil des publics les moins qualifiés.

Les entreprises, y compris d'insertion, devront être incitées à créer des emplois d'insertion qualifiants et à anticiper les évolutions techniques en assurant la formation théorique des salariés peu qualifiés. L'alternance entre entreprises du secteur socio-économique et du secteur marchand devra être développée. La formation, au sein de l'entreprise, des tuteurs de l'insertion ou la mise à disposition, notamment des petites entreprises, de professionnels formés à cet effet, que l'on pourrait appeler « compagnons de l'insertion », devront être encouragées.

Un crédit d'impôt dédié aux entreprises qui jouent le jeu de l'insertion pourrait être mis en place en s'inspirant des textes organisant le travail protégé. Cette mesure pourrait d'ailleurs être étendue aux collectivités locales, qu'il ne faut pas négliger car elles ont des obligations à assumer elles-mêmes.

Il faudrait établir un bilan social de l'entreprise et prévoir une fiscalité avantageuse pour celles qui investissent dans l'insertion.

Enfin, il conviendrait de renforcer le rôle des maisons de l'emploi dans leurs missions d'adaptation de la formation initiale et permanente aux besoins actualisés du secteur marchand et des entreprises.

En conclusion, monsieur le haut-commissaire, le Grenelle de l'insertion que vous avez initié, avec le Président de la République, recouvre à la fois l'esprit de 1968 et du premier Grenelle, qui transforma une révolution sociale en une évolution du dialogue social, et celui du Grenelle de l'environnement, qui a légitimé en politique le concept de « durable », lequel doit s'appliquer non seulement au développement mais aussi aux mesures.

Les travaux et le débat que vous avez engagés avec nous et les partenaires de l'insertion doivent maintenant conduire notre société à construire une véritable stratégie dans ce domaine complexe, mais également à le simplifier, à le rendre plus lisible, et enfin à le légitimer en tant que facteur essentiel de la paix sociale, garant de l'égalité des chances, garant aussi de l'efficacité économique de l'action publique en faveur des moins favorisés.

Il reste au milieu politique, et particulièrement à notre assemblée, à montrer sa détermination à réussir. Monsieur le haut-commissaire, le groupe UMP y contribuera en soutenant vos propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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