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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 7 mai 2008 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur les langues régionales et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les propos que j'entends aujourd'hui me réjouissent et je les approuve.

J'interviens ici avec une certaine émotion, quelques jours après les funérailles nationales du poète Aimé Césaire, car le chantre humaniste de la négritude, le défenseur inlassable de l'identité nègre et martiniquaise, l'homme de synthèse, de liaison et de terminaison, comme il se qualifiait lui-même, amoureux de la langue française, celui-là même qui conjugua dans son oeuvre et dans sa vie universalité et ce que nous appelons en Caraïbes « diversalité », s'il eût été présent dans cet hémicycle, n'eût pas manqué de nous exhorter, avec sa verve incandescente et ses fulgurances essentielles, à ne pas laisser dépérir – voire laisser mourir – des pans entiers de notre patrimoine linguistique national.

J'invoque son ombre tutélaire car, dans un débat comme celui qui nous occupe, touchant à un élément important de notre identité, il aurait, à n'en pas douter, tenté de faire comprendre et de faire prendre conscience à tous qu'il faut sortir en confiance de l'idéologie linguistique faite d'écrasement, d'humiliation – d'« abâtardissement », comme il aimait à le dire – des langues autres que le français, de cannibalisme langagier et, pour tout dire, de glottophagie recommencée.

Mes chers collègues, ce débat répond à une demande lancinante et récurrente qui saisit régulièrement des générations de parlementaires, qui s'obstinent à croire qu'en portant cette ambition de défense des langues régionales, ils ne sombrent pas dans l'irrédentisme et ne représentent pas l'anti-France.

Nous n'avons pas l'impression que, lorsque nous demandons avec obstination et depuis si longtemps – depuis le décret Lakanal du 27 brumaire, an III et depuis ce fameux article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 – 1'officialité, la co-officialité ou la quasi-officialité pour nos idiomes régionaux, nous défaisons la France ou portons atteinte à l'unité nationale ou à l'indivisibilité du pays.

Madame la ministre, comme cela a déjà été rappelé, 203 députés du groupe socialiste ont cosigné une proposition de loi constitutionnelle visant à faire sortir nos autres langues de France de la clandestinité, à les protéger et à leur donner un statut constitutionnel.

Il ne s'agit, somme toute, depuis 1958, que de la quatre-vingt-cinquième tentative pour vaincre l'indifférence des gouvernants et des majorités parlementaires successives et transcender les frayeurs quasi-métaphysiques qui les saisissent lorsqu'il s'agit de toucher au monolinguisme.

J'ai cru comprendre que du côté droit de l'hémicycle un groupe important de députés serait prêt à voter pour la reconnaissance, le respect et la promotion des langues régionales. Une majorité politique est donc possible pour voter la réforme.

Madame la ministre, je vous exhorte à l'audace. Exorcisez enfin cette malédiction qui nous a toujours fait renoncer de crainte d'ouvrir la boîte de Pandore ou de jouer aux apprentis sorciers déclenchant des forces qu'ils ne sauraient maîtriser. Aujourd'hui, les juristes le savent, toutes les conditions sont réunies pour donner un statut constitutionnel à nos langues sans pour autant porter atteinte à l'égalité des citoyens, toucher à l'unité nationale et à l'indivisibilité de la République.

On ne peut plus se satisfaire de croire, comme le Président de la République Jacques Chirac en son temps, que « l'on peut parfaitement reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel sans qu'il soit nécessaire de modifier notre Constitution ». Les lois Deixonne de 1951 – si M. Vaxès était encore là, je lui rappellerais que c'était un socialiste du Tarn –, Haby de 1975, Jospin de 1989 et Toubon de 1994 ne suffisent plus pour garantir respect et développement de ces langues.

Pire encore, l'article 2, alinéa 1, de la Constitution, qui dispose que « la langue de la République est le français », introduit pour résister à la colonisation impériale de l'anglais, ne protège plus vraiment notre langue de cette redoutable concurrence, compte tenu des décisions prétoriennes du Conseil constitutionnel. En effet, les décisions du Conseil dites « MURCEF » du 6 décembre 2001 et « Accord de Londres relatif au brevet européen » en date du 28 septembre 2006 suffisent à démontrer que l'article 2 de notre loi fondamentale ne défend pas efficacement le français contre l'anglais. En revanche, cet article est devenu un extraordinaire verrou contre les langues régionales. À l'instar de ce qu'il est advenu de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, destinée à l'origine à s'opposer à l'emploi du latin dans les domaines juridique et commercial, le texte constitutionnel, censé nous protéger de l'anglais ou des autres langues nationales, se retourne contre les langues régionales et devient un formidable instrument de discriminations envers les langues de France autres que le français.

En vérité, tant que les langues régionales ne seront reconnues qu'au seul rang législatif en droit positif et qu'elles resteront linguae non gratae, n'ayant donc pas droit de cité dans la Constitution, elles garderont cette indignité que nous combattons.

Pourtant, la République connaît, et sans drame, deux régimes de cohabitation linguistique, de bilinguisme, voire de plurilinguisme : en Polynésie, de 1980 à 1995, et en Nouvelle-Calédonie où les vingt-huit langues Kanak jouissent d'une protection constitutionnelle, sans inconvénient majeur ni pour aucune langue ni pour l'unité de la République.

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