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Intervention de docteur Régis Aubry

Réunion du 29 février 2012 à 10h00
Commission des affaires sociales

docteur Régis Aubry, président de l'Observatoire national de la fin de vie :

Monsieur le président, merci d'avoir accepté cette audition. Dans les sociétés démocratiques, aborder les complexes questions de fin de vie est à la fois essentiel et particulièrement délicat. En France notamment, elles comportent une dimension émotionnelle, voire s'accompagnent de logiques inscrites dans un registre parfois idéologique qui, de ce fait, nuisent gravement à la possibilité de les aborder d'une manière aussi neutre et factuelle que possible.

L'Observatoire a parmi ses missions celle de mettre autant que possible en évidence des connaissances qui permettent d'alimenter le débat public, voire de contribuer à l'élaboration des politiques publiques relatives à la fin de vie.

D'abord, l'importance de la problématique de la fin de vie est liée à ce que, du fait des progrès de la médecine, de plus en plus de personnes peuvent aujourd'hui vivre très longtemps avec des maladies qui ne peuvent pas guérir. C'est l'une des conséquences paradoxales des progrès de la santé publique, et notamment de la médecine. Cette évolution vient modifier fondamentalement le paradigme du fonctionnement des acteurs de santé en matière de fin de vie, et pose de nouvelles questions à notre société. Le fait que de plus en plus de gens vivent avec des maladies qui ne vont pas guérir nous pose aujourd'hui la question de la qualité et du sens des vies que nous savons prolonger. Dans une société où la logique du « faire » est très valorisée, la dépendance est parfois vécue avec une forme de culpabilité. Or, me semble-t-il, dans une démocratie, les personnes vulnérabilisées par leur maladie doivent faire l'objet d'une attention particulière. La capacité à accompagner les personnes vulnérables se mesure à l'aune de la capacité à faire vivre une démocratie.

Deuxième point, les questions liées à la fin de vie ne se limitent pas au débat sur l'euthanasie. La tendance à les y réduire me semble fâcheuse. Elle provoque un effet d'occultation. La France est le pays qui dispose le moins de résultats de travaux de recherche sur la question extrêmement complexe de l'euthanasie. Depuis vingt-cinq ans que nous en discutons – souvent au détour d'affaires médiatisées – nous ne nous sommes pas donnés les moyens de mener des travaux de recherche susceptibles de nourrir le débat. Faute de données factuelles, celui-ci s'appuie essentiellement sur des sondages d'opinion, effectués de plus auprès de personnes qui ne sont pas les principales intéressées. Nous allons publier prochainement les résultats d'une première enquête française, menée par l'Observatoire en lien avec l'Institut national d'études démographiques (INED), sur la réalité des pratiques médicales dans le domaine de la fin de vie et notamment celle de l'euthanasie. Nous en médiatiserons un peu les résultats.

Troisième point, pour nous les questions de fin de vie ne sont pas solubles dans les champs de la médecine ou de la santé ; elles sont bel et bien des questions de société. Or, les travaux que nous avons menés montrent que la France est le pays européen où l'approche des questions de fin de vie est la plus médicalisée. Il faudra donc réfléchir sur un autre regard à porter sur ces questions. Cela renforce l'idée, émise dans notre rapport, selon laquelle un débat public sur les questions de fin de vie est un préalable indispensable à une éventuelle évolution de la loi.

Quatrième point, l'Observatoire a aussi pour mission d'évaluer les limites d'application de la loi du 22 avril 2005 et de chercher pourquoi, six ans après, il est si difficile de faire entrer dans les us et coutumes et les pratiques des professionnels de santé le changement de paradigme introduit par cette loi, après la « loi Kouchner » de 2002. Ces deux lois ont transformé complètement le rapport des malades à leur maladie et celui des soignants avec les personnes malades. Au-delà de défauts d'information – en partie corrigés depuis –, nous avons essayé de comprendre les raisons expliquant la difficulté à appliquer une loi modifiant autant les pratiques.

D'abord, il ne faut pas s'étonner que les soignants – et tout particulièrement les médecins – aient du mal à intégrer ce changement puisque la formation médicale elle-même ne l'a pas fait ! L'un des enjeux forts de nos travaux actuels est donc une évolution de la formation des acteurs de santé vers l'assimilation des droits des personnes malades et d'autres façons de travailler. La médecine n'avait pas pensé qu'elle produirait de la complexité ! Elle croyait au contraire que le progrès serait facteur de libération et de simplification. Or, aujourd'hui, nous constatons – à l'hôpital notamment – que des personnes se trouvent dans des situations de grande vulnérabilité et de grande complexité.

Que pouvons-nous faire, nous, acteurs de santé, lorsque nous sommes confrontés à ces situations de complexité dont nous ne savons pas grand-chose ? Nous atteignons les limites de la dimension scientifique du savoir médical. Il nous faut apprendre à travailler différemment. La « loi Leonetti » mentionne expressément l'approche collégiale. Il n'est pas si facile de faire évoluer une culture médicale traditionnellement verticale. Aujourd'hui, il faut transformer en profondeur la formation des médecins.

Pour comprendre les difficultés de l'application de la loi, les travaux de l'Observatoire font aussi apparaître une autre idée reçue. Nous avions déjà souligné que, dans le champ de la santé, la posture française allait plutôt vers l'acharnement thérapeutique. Certes, la médecine moderne provoque des situations si complexes qu'elles peuvent obliger à des réflexions autour de la fin de vie. Mais comment pouvons-nous nous retrouver si souvent dans des situations qui peuvent être assimilées à des formes d'acharnement thérapeutique, autrement dit à des traitements qui peuvent être jugés déraisonnables, ce que la loi interdit ? Les résultats de nos enquêtes nous ont surpris. Alors que des affaires très médiatisées ont pu donner l'impression que ce sont plutôt les médecins qui sont à l'origine de l'acharnement thérapeutique, nous avons découvert que ce sont en fait souvent les familles qui demandent à prolonger des traitements parfois jugés déraisonnables par les médecins. Cette situation conflictuelle pose la question d'une éducation, plutôt que celle de la formation. Les difficultés ne se situent donc pas là où nous le pensions.

En matière d'acharnement thérapeutique, nous avons aussi pu mesurer la différence considérable d'approche entre les soignants – infirmières ou aides-soignantes, par exemple – et les médecins. Il faut en tenir compte dans la formation.

Dans notre rapport, nous avons procédé à une évaluation inédite, celle de la population requérant des soins palliatifs. Les deux tiers des décès en France, soit 300 000 à 350 000 personnes par an, relèvent de soins palliatifs. Or, si nous nous fions à la valeur des indicateurs dont nous disposons, seulement un tiers de la population requérante bénéficie de tels soins.

Si, à la suite des plans successifs de développement des soins palliatifs, la France a globalement comblé son retard en matière de structures – aujourd'hui, plus de 110 unités de soins palliatifs, 4 500 lits identifiés, presque 400 équipes mobiles – en revanche, sur le plan de la culture palliative, autrement dit de l'intégration dans la pratique des professionnels de santé, nous devons réaliser un véritable travail de fond qui ne nécessite pas beaucoup de moyens, mais demande beaucoup d'énergie et un peu de temps, car cela passe par la formation et la transformation des pratiques professionnelles.

Par ailleurs, alors que 67 % des décès qui surviennent dans les services des urgences des hôpitaux relèvent des soins palliatifs, nos travaux font apparaître que seulement 7 % des personnes ainsi décédées ont bénéficié de tels soins.

Tout cela pose non seulement la question du rapport de notre société à la mort, de la médicalisation de la toute fin de vie, mais aussi celle de la mission des services d'urgence dans ce domaine, puisque nous sommes manifestement défaillants de ce point de vue.

D'autres chiffres appellent visiblement des mesures correctrices. Seulement un peu plus de 2 % des médecins généralistes ont bénéficié d'une formation continue en matière de fin de vie ! L'insuffisance est criante. Nous devons donc centrer notre action sur ce point.

Enfin, pour en venir aux réactions à notre rapport évoquées par le président, il est vrai que des associations qui se positionnent, comme elles en ont le droit, dans un registre partisan ou opposant ont réagi assez violemment à sa publication. La vivacité de la réaction à des résultats que j'essaie de rendre aussi factuels que possible montre d'ailleurs à quel point il est difficile, en France, d'aborder ces questions de façon neutre. Nous ne pourrons pas progresser dans l'avenir sans les dépassionner.

L'Observatoire national de la fin de vie a en effet enregistré deux démissions. Le professeur Emmanuel Hirsch a souhaité prendre de la distance et se dégager du devoir de neutralité auquel il était soumis pour pouvoir s'engager dans un militantisme, que nous respectons, contre la légalisation de l'euthanasie.

Quant à Mme Marie de Hennezel, elle a démissionné parce qu'elle a considéré que notre rapport n'apportait pas grand-chose. Pour ma part, je considère que l'important était que ce rapport établisse des sources très fiables pour justifier des données, certes connues de Mme de Hennezel, mais moins du grand public.

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