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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 21 février 2012 à 15h00
Traité sur le fonctionnement de l'union européenne traité sur le mécanisme européen de stabilité — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd'hui amenée à débattre de deux traités.

Le premier modifie l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne afin d'autoriser la création du mécanisme européen de stabilité. Le second crée ce mécanisme européen de stabilité.

Il y a un troisième traité dont on ne débat pas aujourd'hui puisqu'il n'est pas à l'ordre du jour. C'est le projet de traité intergouvememental sur la stabilité, la coopération et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire. Je ne l'évoquerai que pour rappeler que nous souhaitons le renégocier pour le compléter.

Je veux tout d'abord rappeler les quatre raisons qui justifient cette position : ce projet de traité intergouvememental ne répond pas à l'urgence, il n'est pas nécessaire, il est déséquilibré et il est antidémocratique.

Ce projet de traité ne répond pas à l'urgence de la crise financière. L'urgence aurait été de briser, par des mesures fortes et rapides, la spéculation qui s'attaque à la Grèce après s'être attaquée au Portugal, qui risque de se propager vers l'Espagne et l'Italie et, peut-être un jour – souhaitons que non – menacera notre pays. L'urgence était de desserrer l'étau de la spéculation et non d'élaborer un nouveau traité.

Le traité intergouvernemental n'était d'ailleurs pas nécessaire. Le respect de la discipline sur les déficits et la dette est évidemment indispensable. François Hollande a pris des engagements clairs en ce sens : s'il est élu, les déficits ne dépasseront pas 3 % du produit intérieur brut, et reviendront à l'équilibre en 2017. Pourquoi ajouter un traité alors que la règle d'or figure déjà dans les traités européens, qui s'imposent à notre Constitution ?

Il aurait donc suffi d'appliquer les traités et les règlements de la Commission, comme cela a été fait sous le gouvernement Jospin. Je veux souligner que nous n'en serions pas là aujourd'hui si, depuis 2003, c'est-à-dire bien avant la crise qui a éclaté en 2008, la France n'avait été constamment en déficit excessif.

Non seulement ce traité intergouvernemental ne répond pas à l'urgence, non seulement il n'est pas nécessaire, mais il est en outre profondément déséquilibré.

Rien n'est prévu pour soutenir la croissance. Le mot même de croissance n'y apparaît que deux fois. Ce n'est pas avec la méthode Coué que l'on rétablira la confiance, c'est en soutenant la croissance. Car sans croissance il est illusoire de prétendre réduire la dette. Sans croissance, le chômage explose, nous le voyons bien, et ce sera pire encore demain si nous ne prenons pas des mesures fortes pour retrouver le chemin de la croissance.

Nous avons dit ce que nous souhaitions : il faudrait une politique d'investissements au niveau européen financés par des eurobonds dans des secteurs d'intérêt commun. Ils ne manquent pas : l'énergie, les transports, les communications, les technologies numériques, l'avion du futur, l'espace. Voilà ce qu'il aurait fallu faire pour s'attaquer au principal problème qu'est le défaut de croissance aujourd'hui.

Enfin, nous voulons remédier au déficit démocratique de ce traité. Nos parlements ne seront saisis du projet de traité intergouvernemental qu'au stade de la ratification, alors que les questions budgétaires sont au coeur de leur compétence. Ce n'est pas acceptable. Nous avons d'ailleurs débattu ici même, jeudi dernier, d'une proposition de résolution donnant des pouvoirs accrus aux parlements nationaux en lien avec le Parlement européen. Hélas, la majorité UMP a rejeté ce texte.

J'en viens à présent à la ratification de la modification de l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La modification de cet article autorisera la création d'un mécanisme européen de stabilité. Dans la crise gravissime où se trouvent l'Europe et les peuples européens, il est en effet indispensable de disposer d'un mécanisme de solidarité permanent, qui fait cruellement défaut aujourd'hui.

Les deux mécanismes provisoires actuels, le FESF et le MESF, ont permis d'aider – et c'est une bonne chose – l'Irlande et le Portugal. Nous n'avons cessé de réclamer la création de dispositifs de solidarité. Il est donc bien entendu que nous ne pouvons que juger positif, sur le principe, d'une part qu'un mécanisme permanent prenne le relais de ces mécanismes provisoires, et d'autre part que l'on décide enfin d'accélérer sa mise en oeuvre, qui devrait être avancée de juillet 2013 à juillet 2012. Il y va de la solidarité entre États membres et nous avons tous intérêt à stabiliser la zone euro.

Si nous sommes évidemment favorables sur le principe, la question est de savoir si ce mécanisme-là est le bon.

Voyons donc en quoi consiste le deuxième traité sur lequel nous allons devoir nous prononcer, qui crée le mécanisme européen de stabilité.

Je veux d'abord souligner qu'il arrive bien tard. Les conditions de création de ces fonds sont très révélatrices des atermoiements et de l'indécision qui sont à l'origine de la perte de confiance des marchés et qui expliquent que la situation gravissime de la Grèce ne soit aujourd'hui toujours pas résolue.

Ces fonds de secours ont fait l'objet de décisions insuffisantes et trop tardives. Ainsi, je veux souligner que la création des deux fonds provisoires – le FESF et le MESF – a été décidée en mai 2010, c'est-à-dire un an et demi après qu'eut éclaté la crise de 2008. Il a fallu ensuite attendre plus d'un an pour que ces dispositifs soient abondés et leurs compétences élargies lors des sommets européens de la zone euro des 11 mars et 21 juillet 2011. Et je ne parle pas des délais liés aux ratifications successives ! Il a fallu que les notes triple A de plusieurs pays européens, dont le nôtre, soient dégradées pour que l'on accélère la mise en oeuvre du mécanisme permanent.

En dépit de cette accélération du calendrier, ce mécanisme ne sera mis en place qu'en juillet 2012. Monsieur le ministre, que se passera-t-il entre-temps si l'Espagne ou l'Italie rencontrent d'importants problèmes ? Rien n'est prévu.

En outre, de l'avis de tous les experts et de nombreux politiques, 500 milliards d'euros, c'est insuffisant pour faire face à des problèmes de ce type.

Je veux du reste souligner un paradoxe : plus la dotation des fonds de secours est faible, plus on risque de devoir s'en servir, donc plus ils risquent de coûter cher à nos budgets : 6 milliards d'euros de crédits d'engagement en 2012, 16 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, ce n'est pas rien ! Si ce fonds était suffisamment doté pour dissuader la spéculation, et s'il avait une licence bancaire, on n'aurait pas à s'en servir.

Bref, 500 milliards, de l'avis général, c'est trop peu. Les capacités du mécanisme européen de stabilité doivent être augmentées, au minimum, des 250 milliards d'euros du Fonds européen de stabilité. Espérons que le Conseil européen du 1er mars prochain prendra des décisions en ce sens et accordera au mécanisme le statut de banque publique, pour qu'il ait une licence bancaire et puisse se refinancer, comme toutes les banques, auprès de la Banque centrale européenne. Car, sans licence bancaire, il épuisera ses 500 milliards de capacités d'intervention en cas de tensions exercées sur les titres de la dette souveraine italienne ou espagnole.

Le mécanisme, tel qu'il a été créé, souffre d'un autre défaut : il est fondé sur une structure intergouvernementale. Nous aurions au contraire besoin d'un mécanisme communautaire assurant la transparence et le contrôle par les parlements nationaux et le Parlement européen.

Certes, le traité prévoit un contrôle politique par les ministres des finances. La France aura d'ailleurs un droit de veto. Mais ce n'est pas suffisant. Dans notre projet de résolution, nous proposions une véritable action commune entre le Parlement européen et les parlements nationaux au début du processus de semestre européen, ainsi que des réunions à chaque étape importante de la coordination intergouvernementale des politiques économiques et budgétaires.

En outre, l'octroi d'une assistance financière du mécanisme européen de stabilité sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, pas la ratification du traité intergouvernemental sur la stabilité, la coopération et la gouvernance. Même si les dispositions conditionnant ces deux traités l'un à l'autre sont dépourvues de valeur juridique contraignante, il y a bel et bien un lien politique. Or, je l'ai dit pour commencer, nous ne pouvons, en l'état, approuver le traité budgétaire intergouvernemental.

La solidarité doit être au fondement de la gouvernance économique européenne, cette gouvernance économique a besoin de jouer sur tout un clavier ; elle ne peut pas être seulement punitive, sinon nous ne nous en sortirons pas, ni les uns ni les autres.

En évoquant la solidarité, je veux parler du traitement cruel qu'est en train de subir le peuple grec. Il est normal qu'une aide soit assortie de contreparties, mais les conditions imposées à la Grèce sont absolument inacceptables. Ce pays connaît sa cinquième année de récession et nous voyons bien que ce sont les malheureux Grecs, saignés à blanc, qui paient le prix des fautes graves qui ont été commises par les dirigeants qui ont précédé le gouvernement Papandréou.

A-t-on mesuré la brutalité de ce énième plan de rigueur ? Quelles en sont les conséquences sociales et humaines ? Les pensions de retraite vont diminuer de manière drastique, y compris les retraites complémentaires. Le SMIC va baisser de 22 % pour passer en dessous de 600 euros, et de 32 % pour les moins de 25 ans. Le salaire des fonctionnaires sera réduit de 10 %, et 15 000 fonctionnaires vont être licenciés.

C'est la dignité même du peuple grec qui est aujourd'hui bafouée. Ce n'est pas ainsi que nous renforcerons la cohésion européenne dont nous avons tant besoin dans cette crise.

Je ne cesserai de le répéter : si les États européens avaient respecté les traités déjà existants, si la Commission européenne avait joué son rôle, si on avait agi plus tôt et plus fort, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

En conclusion, nous sommes favorables à la création d'un mécanisme de solidarité permanent, qui fait défaut aujourd'hui.

Mais le traité qui institue le mécanisme européen de stabilité est loin de ce qu'il faudrait pour stabiliser la zone euro et aider les pays en difficulté. Ce mécanisme n'est pas suffisamment doté. Il faudrait lui donner une licence bancaire, pour qu'il soit adossé à la garantie de la Banque centrale européenne, et afficher la volonté politique de mutualiser la dette et de soutenir la croissance. Enfin, la conditionnalité politique consistant à n'octroyer une assistance financière qu'aux États ayant préalablement ratifié l'actuel traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance n'est pas acceptable en l'état actuel de ce traité.

C'est la raison pour laquelle je m'abstiendrai sur ce deuxième traité.

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