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Intervention de Martine Martinel

Réunion du 8 février 2012 à 21h30
Formation des maîtres — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons est, en dépit de son intitulé anodin, l'une des plus authentiquement réactionnaires – au sens premier du terme – qu'il nous ait été donné d'examiner sous cette législature.

En effet, il s'agit, non seulement de porter le coup de grâce aux IUFM après un méthodique travail de sape entrepris depuis cinq ans, mais encore de revenir à des dispositions antérieures à 1833 ! Permettez-moi un bref rappel historique, qui nous fait d'abord revenir sous le règne de Louis-Philippe 1er. Lorsque, sous la monarchie de Juillet, Guizot, ministre de l'instruction publique – qui n'était pas, jusqu'à plus ample informé, un grand progressiste –, fait adopter un texte qui commence à organiser l'enseignement primaire, il impose la création, pour chaque département, d'une école normale d'instituteurs. Je le cite : « Il faut tâcher de former de bons maîtres d'école et pour cela, messieurs, des écoles normales primaires sont indispensables. […] Aussi, nous vous proposons d'établir une école normale primaire par département. »

Évidemment, les lois Ferry, votées de 1879 à 1882, vont, par la création initiale d'une école laïque, gratuite et obligatoire, amplifier très nettement la création des écoles normales. Ces dispositions ont été encore améliorées par les textes votés dans l'immédiate après-guerre, et de nombreux textes législatifs adoptés sous la Ve République par des majorités dites de droite ont renforcé et allongé la formation des maîtres.

Ainsi, en 1969, on a fort opportunément porté d'un à deux ans la durée de la formation, selon les préconisations du plan Langevin-Wallon. Vingt ans plus tard, avec la création des IUFM en 1989, la majorité de gauche et le ministre de l'éducation nationale d'alors, Lionel Jospin, ont voulu rapprocher la formation professionnelle, jusqu'alors cloisonnée, de ces différents corps d'enseignants intervenant dans le même domaine de l'enseignement obligatoire, primaire et secondaire.

Ce rapprochement avait pour objectif de tirer au niveau de la formation des enseignants les conséquences de l'unification de fait du système scolaire : collège unique, scolarisation obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans, développement de l'accès au baccalauréat. Ce n'est donc pas un hasard si les différents gouvernements Fillon, depuis cinq ans, s'en prennent aux IUFM – n'est-ce pas, monsieur le rapporteur, qui me semblez bien dissipé par Mme Coutelle ! (Sourires)

Ce n'est pas un hasard, disais-je : en réalité, c'est justement parce qu'une partie de l'actuelle majorité souhaite revenir sur le collège unique, censé être une lubie de soixante-huitards, alors même que le collège unique a, je le rappelle, été voulu et créé sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, par son ministre de l'éducation nationale, René Haby.

La création des IUFM n'a pas été sans susciter des débats voire des controverses plus ou moins biaisés par des considérations politiques, psychologiques et idéologiques sur le fait de savoir si la transmission des connaissances ne prendrait pas le pas sur l'action éducative. Je ne peux que m'inscrire en faux contre cette vision caricaturale des IUFM. Pour avoir moi-même enseigné les lettres classiques durant une dizaine d'années à l'université et dans un IUFM, je peux témoigner de la nécessité de cette institution, pour perfectible qu'elle fût, pour appréhender le métier d'enseignant dans toute sa complexité.

Loin de remettre en cause la prééminence, pour les futurs enseignants, des savoirs universitaires, les IUFM y ont associé différentes formes de formation initiale et continue, ainsi qu'une réelle préparation à l'entrée dans un métier – ce qui, pour vous, semble, à lire votre texte, quantité négligeable.

La proposition de loi fait passer par pertes et profits toutes formes de formation spécifique, toutes formes de stage, bref, toute qualification digne de ce nom. Loin d'être ce simple ajustement technique que vous avez évoqué en commission, monsieur le rapporteur, elle nie en fait la réalité d'un métier que vous connaissez pourtant bien, si je ne m'abuse. Votre texte, en effet, est plus inquiétant pour ce qu'il ne dit pas que pour ce qu'il dit. Les quelques amendements que vous avez consenti à adopter en commission ne changent rien sur le fond. Votre proposition de loi réactive les idées, contenues dans votre précédent rapport, dont les conclusions avaient été presque unanimement rejetées par les membres de la commission des affaires culturelles.

Si nous adoptions ce texte, le métier d'enseignant serait la seule profession dépourvue de véritable formation initiale et continue. Pourtant, nous savons tous que la formation pédagogique évite bien des écueils dans la conduite d'une classe. Un enseignant, même surdiplômé, se retrouve fort dépourvu devant un public mouvant, pour lequel l'immuabilité illusoire des savoirs ne saurait suffire. Dans l'acte d'enseigner, l'excellence universitaire, la possession de diplômes, pour nécessaires qu'elles soient, ne sont pas suffisantes. Nous savons tous que, malgré un parcours universitaire identique, les enseignants n'exercent pas tous le même métier, tant la diversité des classes est grande.

Comment, avec une formation aussi allégée, un jeune enseignant peut-il faire face à cette diversité et fournir un enseignement efficace et réellement utile aux élèves ? Nous connaissons tous des exemples, dans nos circonscriptions, de situations qui troublent même des enseignants chevronnés. Je pense notamment à des classes de cours préparatoire aux effectifs chargés, dont les élèves peuvent être de vingt-six nationalités différentes, et auxquels les enseignants doivent apprendre à lire. Comment un enseignant novice peut-il se tirer d'une telle situation ?

Nous savons tous aussi, mes chers collègues, monsieur le rapporteur – un rapporteur décidément très bavard qui m'oblige à faire comme en classe ! (Sourires) – qu'au-delà de la transmission des savoirs, les enseignants ont toujours joué un rôle éminent dans l'apprentissage de la socialisation et de la citoyenneté. Alors que certains modules d'IUFM étaient dédiés à la défense de l'égalité entre les filles et les garçons, à la lutte contre la violence, il n'est pas évident que la seule bonne volonté et la formation universitaire disciplinaire suffisent à procurer des compétences vraiment efficientes.

En abandonnant des enseignants sans expérience devant des classes, vous les condamnez à l'échec – tout comme les enfants. Évoquer la formation – puisque vous nous reprochez souvent de ne parler que de moyens – ne se résume pas à ouvrir un débat sur le coût de l'école, mais amène à s'interroger sur la qualité de l'enseignement dispensé.

Votre proposition de loi, si elle était votée malgré le rapport accablant de la Cour des comptes, conforterait les discriminations et les inégalités sociales.

Enfin, monsieur le rapporteur – qui n'écoutez toujours pas –,...

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