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Intervention de Jean-Pierre Dufau

Réunion du 8 février 2012 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau, président :

Quelques mots, tout d'abord, pour vous dire la manière dont nous avons travaillé au sein de cette mission d'information. Nous avons procédé à près d'une trentaine d'auditions à Paris, d'experts, de diplomates, d'entrepreneurs et d'universitaires, tant français que latino-américains. La mission s'est rendue dans trois pays, le Brésil, le Chili et l'Equateur, déplacements au cours desquels elle a aussi pu s'entretenir avec de très nombreux responsables et personnalités dont le président Rafael Correa en Equateur. Au Brésil, la mission s'est rendue sur trois sites, São Paulo, premier pôle économique du pays, Brasilia, centre politique, et Curitiba, siège d'une importante communauté française, où Renault, notamment, s'est installée il y a 15 ans.

Nous avons choisi trois pays fort différents, afin de pouvoir analyser les différentes problématiques qui peuvent se poser dans cette région pays, au plan politique et économique, commercial et industriel, et d'avoir une vision aussi complète que possible d'une région extrêmement variée. A ce sujet, une idée est à retenir : l'Amérique latine n'existe pas. Raison pour laquelle, entre autres, nous avons restreint le champ de notre investigation au Cône sud.

Un rappel, si vous le permettez, pour justifier ce rapport. En premier lieu, cette région du monde est probablement celle dans laquelle notre pays jouit, depuis toujours, d'une image exceptionnellement bonne. Aussi loin qu'on remonte dans le passé, on trouve partout les traces d'une francophilie, et souvent d'une francophonie, particulièrement fortes. On parle de la France en Amérique latine d'une manière unique et on en attend énormément. Je vous invite à lire dans le rapport ce que les intellectuels latino-américains, les politiques, ont dit de notre pays pour bien percevoir cette réalité, qui est du registre, parfois, de la passion, et qui s'est traduite dans maintes manifestations, parfois symboliques, mais aussi très fortes, notamment au moment de la seconde guerre mondiale. Pour les Latino-Américains, la France, c'est la liberté, les Lumières, parfois aussi la mère patrie, celle vers laquelle on se tourne et dont on attend énormément, à tous les points de vue.

A cette attente, historiquement, la France n'a pas vraiment su répondre, si ce n'est au plan culturel. C'est la région du monde où les Alliances françaises se sont par exemple le plus implantées, 165 000 personnes suivant ses cours. Mais c'est une région avec laquelle, tous pays confondus, nos échanges commerciaux, même s'ils ont été relativement importants au XIXe siècle, ont très vite été en deçà de ceux de nos partenaires et concurrents européens. Le même constat peut être fait en ce qui concerne nos investissements : nous y avons eu à cette même époque des positions intéressantes, voire importantes, mais qui ont vite été concurrencées. Sur le plan culturel, même, au cours des dernières décennies, nous avons assisté à la montée en puissance d'autres sphères d'influence, sans vraiment réagir.

Le problème est dans notre propre relation à l'Amérique latine. C'est celui d'une certaine forme d'indifférence manifestée envers un continent qui nous porte aux nues, mais qu'on a pour notre part toujours regardé sans y porter trop d'attention, sans jamais vraiment développer les instruments qui nous permettraient de renforcer nos positions et notre influence, alors que c'est précisément cela que nos interlocuteurs attendent. Nous avons toujours été en décalage par rapport à ces attentes. Il a fallu attendre le voyage du général de Gaulle en 1964 pour qu'un Président de la République s'y rende. Cette indifférence nous a fait perdre des positions, de l'influence, et, d'une certaine manière, nous n'avons fait que regarder la situation se déliter sans réaction, sauf parfois, dans un sursaut un peu défensif. Cela n'a en revanche jamais été dans une démarche qui traduirait la volonté d'aller à la rencontre de cette région et de répondre à ce qui est souhaité, fut-ce dans nos propres intérêts, entendus au sens large.

En cela, notre attitude est fort différente de celle adoptée par la plupart de nos partenaires européens, notamment aujourd'hui, à l'heure où la région décolle. Le voyage du général de Gaulle a certes été exceptionnel par sa durée et le nombre de pays visités, il a représenté un moment historique unique. Mais ce n'était pas un voyage qui avait pour but de répondre à l'attente exprimée depuis si longtemps. Parce que le général de Gaulle y est surtout allé pour jouer la carte latino-américaine dans une perspective géostratégique, y trouver des partenaires qui pourraient l'aider dans son positionnement entre les Etats-Unis et l'URSS, que pour autre chose. C'est en ce sens que la main a été tendue par la France aux pays latino-américains. Le général de Gaulle a répondu positivement aux demandes de coopération et de partenariats qu'il a reçues, très nombreuses dans tous les pays et dans tous les domaines, mais les suites concrètes ont été timides.

Les présidents successifs n'ont pas non plus eu de politique latino-américaine. Ni Georges Pompidou, ni le Président Giscard d'Estaing, ni le Président Mitterrand n'ont manifesté d'intérêt particulier pour cette zone. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont chacun à leur manière considéré l'Amérique latine comme le général de Gaulle : comme une alliée utile au plan géopolitique, que ce soit dans le cadre du multilatéralisme à renforcer, dans le cadre du bras de fer avec les Etats-Unis, ou dans celui de l'association des BRICs à la gouvernance mondiale, sur les grandes problématiques actuelles, comme le réchauffement climatique.

En d'autres termes, l'Amérique latine n'a jamais été en soi une priorité politique de notre diplomatie, malgré les atouts dont la France dispose dans l'ensemble de la région. Qui dit manque d'attention politique dit inévitablement, un jour ou l'autre, baisse des moyens. C'est ce qu'on constate aujourd'hui : nous avons des moyens de qualité, des partenariats culturels, scientifiques notamment, souvent remarquables et extrêmement appréciés, la France est dans certains cas encre très bien positionnée, comme au Chili et au Brésil, mais les moyens des postes baissent dans des proportions considérables. C'est le cas de notre coopération bilatérale – dont les crédits ont diminué de 30 % sur les dix dernières années en moyenne ; et même de 50 % en 6 ans en Equateur. On ne compte plus les cas où les boursiers viennent désormais étudier en France sur financements de leurs pays d'origine.

Le même constat peut être fait en ce qui concerne nos investissements et nos échanges commerciaux : il y en Amérique latine des IDE français installés depuis des décennies et les grands groupes du CAC40, notamment, sont quasiment tous au Brésil aujourd'hui, occupant des positions parfois enviables. Dans plusieurs pays, les entreprises françaises sont même le premier employeur étranger, comme en Colombie ou au Pérou. Sans surprise, les PME sont quasiment absentes et ne semblent pas avoir l'intention de se risquer à l'aventure latino-américaine.

Il faut s'arrêter un instant sur le Brésil. C'est le pays dans lequel nos IDE sont les plus importants et de très loin : il y aujourd'hui plus d'IDE français au Brésil qu'en Inde, en Chine et en Russie réunies. Fin 2009, nous avions un stock d'IDE de plus de 17,1 milliards d'euros au Brésil, à comparer aux 8,4 milliards en Chine, 5,1 en Russie et 2,3 en Inde. C'est donc le Brésil qui est la véritable terre d'accueil de nos investissements à l'étranger. Néanmoins, par rapport à celles de nos concurrents, nos positions sont relativement limitées et en moyenne, nos investissements dépassent rarement les 3 % des flux d'IDE que reçoit aujourd'hui la région.

En ce qui concerne nos échanges commerciaux, le constat est identique : nos positionnements sont modestes et globalement déficitaires. Une fois encore le Brésil occupe une place à part : c'est notre premier partenaire en Amérique latine, notre troisième partenaire hors OCDE. Les échanges sont dynamiques puisque nos exportations vers le Brésil augmentent régulièrement, et même fortement, mais moins que les importations globales du Brésil et au final, nos positions tendent à s'effriter. Nous occupons 2,7 % des parts de marché, quand la RFA est à 6,9 %.

En d'autres termes, on ne peut pas dire que la situation soit catastrophique, loin de là, elle est même parfois bonne ou très bonne, mais une analyse de ce que font nos partenaires européens notamment invite à relativiser le panorama car elle montre surtout que nous ne savons sans doute pas profiter comme nous le pourrions du dynamisme actuel de la région qui, depuis quelques années est en train de changer considérablement.

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