Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marc Dolez

Réunion du 1er février 2012 à 15h00
Protection de l'identité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis son dépôt en juillet 2010, cette proposition de loi a fait l'objet d'un long feuilleton marqué par l'obstination du Gouvernement à établir une base de données à lien fort. Notre conviction est à la hauteur de cette obstination. La carte d'identité biométrique associée à un fichier central de grande ampleur, portant sur plus de 40 millions de Français, pourrait se transformer en outil dangereux voire liberticide.

La traçabilité des individus est susceptible de générer des contrôles et surveillances à leur insu, comme l'a brillamment démontré l'ancien président de la CNIL, le sénateur du Nord Alex Türk, dans un ouvrage intitulé La vie privée en péril, des citoyens sous contrôle.

Les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres. Elles présentent la particularité de permettre à tout moment l'identification de la personne concernée sur la base d'une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps, et dont elle ne peut s'affranchir. Cette spécificité implique une vigilance toute particulière quant à leur utilisation ; en respectant les deux principes fondateurs du droit à la protection des données à caractère personnel : la finalité et la proportionnalité.

Or c'est précisément à cet égard que cette proposition de loi suscite de vives inquiétudes. La Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui n'a pas été consultée sur cette proposition de loi, a pris l'initiative de présenter des observations le 25 octobre dernier. Si elle n'est pas hostile par principe à l'utilisation de la biométrie dans le cadre de la délivrance des titres d'identité, la CNIL estime en revanche que « la proportionnalité de la conservation sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l'objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n'est pas à ce jour démontrée. »

Cet avis est également partagé par le Comité consultatif national d'éthique et par la Commission nationale consultative des droits de l'homme. La Cour européenne des droits de l'homme, par un arrêt du 4 décembre 2008, a jugé que la pratique du « fichage génétique », comportant notamment les empreintes digitales de la population, était incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a ainsi estimé que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais non condamnées [...] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».

Cet arrêt s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure qu'il vient systématiser autour de trois propositions principales, comme le relève le professeur Frédéric Sudre. En premier lieu, la mémorisation des données relatives à la vie privée d'un individu constitue une ingérence dans le droit garanti par l'article 8, que ces données soient utilisées par la suite ou non.

En second lieu, pour déterminer si les données conservées relèvent de la « vie privée », et donc du champ protégé par l'article 8, la Cour recourt à plusieurs critères : la nature des données et le contexte dans lequel elles ont été consignées ; les modalités de leur conservation et de leur traitement ; la finalité de leur utilisation.

En troisième lieu, rappelant que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour affirme le principe, déjà énoncé à propos des informations relatives à la santé, du contrôle rigoureux de la proportionnalité de l'ingérence au but poursuivi.

Cela implique que, pour être conforme à l'article 8, la conservation et l'utilisation de données à caractère personnel sans le consentement de la personne concernée doit s'accompagner de garanties adéquates contre les abus, lesquelles sont précisées par la Convention du Conseil de l'Europe de 1981 sur la protection des données.

Si elle était adoptée, cette proposition de loi s'exposerait donc à des recours devant la Cour européenne des droits de l'homme, et le risque est grand que la France soit condamnée.

Le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l'homme ont vivement dénoncé dans un communiqué commun ce fichage à terme de l'ensemble de la population française qui représente, selon eux, « une disposition démesurée et dangereuse pour les libertés publiques, unique dans les pays démocratiques, et qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion