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Intervention de Lionel Tardy

Réunion du 5 février 2009 à 9h30
Attribution de fréquences de réseaux mobiles — Reprise du débat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Madame la présidente, madame et monsieur les secrétaires d'État, mes chers collègues, notre débat se tient aujourd'hui, conformément à ce que prévoit l'article 22 de la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, que nous avons examinée il y a un peu plus d'un an.

J'ai encore en mémoire les débats d'alors, d'autant que j'avais eu l'occasion de défendre un certain nombre d'amendements, destinés notamment à promouvoir une concurrence loyale entre différents acteurs économiques d'un même secteur : à l'époque, il s'agissait surtout de la grande distribution.

Nous ne faisons aujourd'hui que poursuivre ce débat sur notre système concurrentiel, et je souhaite en profiter pour attirer l'attention du Gouvernement, tout autant que la vôtre, mes chers collègues, sur un certain nombre d'écueils, voire d'idées reçues, sur la quatrième licence de téléphonie mobile.

Il n'est pas évident de faire entendre un autre son de cloche dans le tintamarre ambiant visant à nous persuader qu'à coup sûr l'entrée d'un nouvel acteur, quel qu'il soit – il semble d'ailleurs qu'il soit déjà choisi et on pourrait aussi s'interroger sur ce choix –, développera la concurrence et obligera les opérateurs mobiles actuels à revoir leurs tarifs et à libérer du pouvoir d'achat pour leurs clients.

Cette équation part du postulat que plus il y a d'acteurs sur un marché, plus les prix baissent, avec à la clé une amélioration des services rendus : c'est presque trop simple pour que nous y souscrivions les yeux fermés. Pour illustrer mon propos, je prendrai simplement l'exemple du coût moyen de la « minute voix » en France qui est de 30 % inférieur à ce qu'il est en Allemagne où 4 opérateurs se partagent le marché.

Le secteur de la téléphonie mobile en France est animé, vous le savez, par trois acteurs principaux, opérateurs de réseaux, détenteurs de fréquences. Il est aussi animé, depuis quatre ans, par une douzaine d'opérateurs et une trentaine de marques qui peinent à se développer. On les appelle les MVNO ou opérateurs de réseau mobile virtuel ; ils fournissent 5 % des clients en France. Beaucoup de questions se posent d'ailleurs concernant le développement de ces MVNO. Je pense que la renonciation de réguler le marché de gros des offres pour MVNO a été une erreur, qui a fait perdre quatre ans au développement de la concurrence. Il y a là, à mon sens, une voie de substitution à la création d'une quatrième licence mobile.

Mais permettez-moi d'aborder le sujet qui me tiens le plus à coeur, à savoir les conséquences de l'arrivée d'un nouvel opérateur sur la couverture mobile et par conséquent sur l'aménagement de notre territoire. Il ne faut pas oublier que notre pays, un des territoires les plus vastes d'Europe, est marqué par une densité relativement faible de la population, caractéristique qui impose aux opérateurs français des investissements supérieurs à ceux de leurs concurrents européens : un opérateur français doit, pour toucher le même nombre d'abonnés qu'un opérateur allemand ou italien, couvrir un territoire deux fois plus important.

Cela explique que chaque opérateur de réseau consacre aujourd'hui près d'un milliard d'euros chaque année à l'amélioration de la couverture, alors que le candidat déclaré ne prévoit d'investir en tout et pour tout qu'un seul milliard d'euros pour la totalité de son réseau !

Pouvez-vous, madame et monsieur les secrétaires d'État, nous garantir que l'investissement des opérateurs existants et l'amélioration indispensable de la couverture mobile ne feront pas les frais de l'arrivée d'un quatrième opérateur ?

En effet, le candidat « attendu » pour cette nouvelle licence souhaite visiblement, vu les investissements limités qu'il annonce, ne prendre que des obligations de couverture extrêmement limitées et prévoit surtout de bénéficier de ce que l'on appelle le roaming, en français l'itinérance, c'est-à-dire la faculté pour ses clients d'utiliser le réseau de ses concurrents.

Il serait donc en l'espèce inéquitable que le nouvel opérateur se contente de remplir des obligations de couverture minimales, en pratique 25 % de la population, celle des seuls bassins les plus denses et donc les plus rentables, laissant aux concurrents les endroits les plus isolés. Cela ne manquerait pas de décourager ces derniers à investir dans les zones blanches et grises et conduirait certainement à une chute de leurs investissements tout à fait dommageable. « Rien ne sert d'arroser les zones déjà mouillées », disait hier matin François Brottes, en commission.

Les licences 3G actuelles comportent quatorze obligations. Elles doivent toutes s'imposer au quatrième opérateur. Pour éviter les mésaventures qu'a subies le Wimax, l'ARCEP doit donc exiger des candidats un business plan crédible sur dix ans, assorti d'un engagement des actionnaires et des banques, avec les montants d'investissements prévus.

Il doit aussi exiger, à l'ouverture et avant de donner l'accès au réseau des concurrents, une qualité de couverture sur les 25 % de la population équivalente à celle proposée par ses concurrents et qu'il lui appartiendrait de contrôler.

L'opérateur devra enfin fournir la preuve du financement des investissements nécessaires pour assurer la couverture nationale, soit une garantie effective des actionnaires et un financement bancaire irrévocable ayant fait l'objet d'une syndication.

Enfin, il y a un dernier élément à prendre en compte et d'une portée bien plus importante que notre débat de ce matin : je veux parler de la condamnation en appel d'un opérateur, hier après-midi, par la Cour d'appel de Versailles qui a confirmé l'existence d'un trouble anormal de voisinage du fait de l'angoisse subie et créée pour les riverains, et donc ordonné le démontage de ladite antenne.

Cette décision ne tient pas compte des avis des autorités sanitaires nationales et internationales, lesquelles ne retiennent pas l'hypothèse d'un risque à vivre à proximité des antennes, et l'arrêt est par ailleurs en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d'État et de quatre précédents arrêts de cours d'appel. Il remet néanmoins en cause l'existence et le développement de l'ensemble des réseaux de téléphonie, de radio et de télévision, qui fonctionnent en France depuis plus de cinquante ans sans danger pour la santé.

Il faut que les pouvoirs publics prennent au plus vite leurs responsabilités, pour que les opérateurs puissent être en mesure de satisfaire leurs obligations réglementaires : couvrir au minimum 99 % de la population française avec 90 % de taux de réussite à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments. À défaut, les opérateurs se trouveront confrontés à l'impossibilité d'exploiter les fréquences attribuées par l'État sur l'ensemble du territoire, et ce malgré un strict respect de la réglementation.

Comme vous le voyez, madame et monsieur les secrétaires d'État, je crois que tous ces éléments doivent nous inciter à prendre le temps nécessaire pour examiner l'ensemble des conséquences d'une telle décision, et non à nous précipiter sur des recettes, certes immédiates, mais ponctuelles et qui pourraient se révéler in fine néfastes à l'investissement durable, mais également à l'emploi, sujet que je n'ai pu développer, compte tenu du temps qui m'était imparti.

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