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Intervention de Pierre Cardo

Réunion du 19 janvier 2012 à 10h15
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Pierre Cardo, président de l'Autorité des activités ferroviaires :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les parlementaires, en tant que président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), votre convocation m'a quelque peu surpris dans la mesure où nos compétences et nos responsabilités ne nous amènent pas à intervenir pour la RATP, qui n'est pas considérée comme relevant du réseau ferroviaire au même titre que la SNCF. Cependant, comme élu de banlieue, je me suis senti interpellé car la problématique en région parisienne recouvre un grand nombre de thèmes. La politique de la ville, c'est en effet l'aménagement du territoire, les zones d'emploi, ou encore la fiscalité locale sur la réforme de laquelle je reviendrai.

D'abord, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'une grande partie du réseau parisien est saturée depuis des années. Le problème est qu'on nous demande, à nous acteurs de la périphérie, notamment de la grande banlieue, de continuer à construire des logements pour remédier à la pénurie criante qui sévit dans Paris intra muros et la petite couronne, alors que le système de transport n'est pas du tout adapté en grande couronne. Les cartes font apparaître de vastes déserts. Et le Grand Paris n'apportera parfois aucune amélioration. Ainsi, nous relevons du seul contrat de territoire de l'ouest parisien à ne pas être concerné par Arc Express. C'est tout à fait regrettable ! Dans la mesure où les zones d'emplois ne se situent pas forcément chez nous, comment les habitants, actuels et futurs, de nos quartiers pourront-ils rejoindre leur lieu de travail ? Le réseau est vieillissant et saturé, le matériel est inadapté, les rames à deux niveaux se font toujours attendre, et les dysfonctionnements sont quasi quotidiens. Il est indispensable de développer un réseau de transport adapté.

La zone de la confluence est concernée par l'opération d'intérêt national « Seine Aval », l'Axe Seine, le Grand Paris, et notamment le contrat de territoire qui réunit les villes de Cergy-Pontoise, Poissy, Achères, Conflans, Maurecourt et les territoires de notre communauté d'agglomération. Cet ensemble représente 400 000 habitants et plus de 150 000 emplois. Nous assurons à nous seuls la construction de plus de 400 logements par an, et l'agglomération dans sa totalité, avec les villes que je viens de citer, plusieurs milliers, alors que toutes les lignes du RER A sont saturées. La ligne Paris Saint Lazare–Mantes-la-Jolie par Conflans-Sainte-Honorine, un véritable « tortillard », est elle-même saturée aux heures de pointe.

Chercher à remédier à la pénurie de logements en région parisienne est une excellente chose. Mais la réforme des finances locales pose le principe selon lequel nos ressources seront basées essentiellement sur les recettes de la taxe d'habitation et beaucoup moins sur celles provenant du développement économique. Si ce principe me paraît adapté à Paris intra muros et à la petite couronne, où le nombre de logements doit être augmenté et le développement économique freiné, il ne l'est pas pour la grande couronne où la construction de logements va inciter les gens à continuer à habiter dans notre secteur, alors que les zones d'emploi ne vont pas se déplacer. Ainsi, la réforme des finances des collectivités locales ne va pas dans le sens d'un règlement de la problématique des transports en grande couronne.

De la même manière, si la taxe sur les bureaux se justifie, là encore, pour Paris et la petite couronne, il n'est pas logique que la grande couronne y soit soumise alors que, dans le même temps, on continue à développer La Défense pour épargner un déficit à l'EPAD. Je l'avoue, tout cela me laisse perplexe.

À un moment donné, il faudra bien s'interroger sur l'incidence des décisions prises en matière de fiscalité locale et de développement. On ne peut pas considérer que seul le transport va régler les problèmes de la région Île de France : il faut tenir compte aussi de l'aménagement du territoire et de la fiscalité locale dont la réforme, même si je la comprends, globalement mériterait d'être ciblée.

Par ailleurs, si nos axes sont saturés dans de nombreux endroits, il n'y a jamais eu de déclaration de saturation sur une partie du réseau. Or des priorités sont données. Le président de Réseau ferré de France (RFF) a ainsi récemment déclaré donner la priorité aux transports de voyageurs par rapport au fret, ce dernier trouvant davantage sa place la nuit, quand le réseau n'est pas saturé. J'entends bien cela, sauf que les directives européennes prévoient qu'en l'absence de déclaration officielle de saturation, il ne peut y avoir de priorité. La déclaration de saturation permettrait de donner des critères de priorité et, éventuellement, d'imposer certaines contraintes en termes d'investissement.

Les grands projets, comme Eole, permettront de prendre en charge une partie du trafic de voyageurs du RER A. Quant au tracé de la ligne nouvelle Paris Normandie, il règlera en partie le problème de la saturation du RER A, et même de la ligne Paris-Saint-Lazare –Mantes-la-Jolie par Conflans, mais à la condition qu'une gare soit prévue au niveau de la Confluence, faute de quoi les sillons ne seront pas soulagés. Alors que le port d'Achères occupe quelque 450 hectares, avec tout ce que cela implique en termes de trafic, de populations nouvelles et d'emplois, il paraît difficile de ne pas envisager une gare digne de ce nom dans cette ville. Elle permettrait d'assurer la connexion avec la tangentielle Ouest puis la tangentielle Nord. La ligne à grande vitesse (LGV) Paris Normandie n'aura qu'un intérêt relatif si elle ne sert qu'à aller à Caen ou au Havre.

Autre grand problème : le trafic de banlieue à banlieue. Si je veux me rendre de Chanteloup-les-Vignes à Versailles, il me faudra d'abord aller jusqu'à Saint-Lazare pour emprunter ensuite le RER. Ce sera long. Par le bus, il faudra passer par Poissy et Saint-Germain avant d'arriver à Versailles. Tout cela n'est pas très cohérent. Dans la grande couronne, qui peut encore accueillir des entreprises et des populations, il faudra bien, si l'on veut éviter l'incohérence de la sur utilisation des radiales, se préoccuper aussi des rocades, et pas seulement au niveau autoroutier, d'autant que la Francilienne n'est pas encore achevée chez nous. Je note au passage que, si la route doit parfois épauler le rail, je vois mal comment on pourra augmenter le trafic sur l'A13 ou l'A14 par le biais de la Francilienne alors que le classement il y a quelques années de la plaine de Versailles bloque toute possibilité d'une liaison vers Saint-Quentin-Versailles.

En outre, il faut prendre conscience des difficultés rencontrées par nos concitoyens dans le RER, en soirée ou la nuit, du fait des horaires et de la fermeture de certaines gares. Dans notre secteur, nous avons mis en place le bus A14, qui va jusqu'à La Défense. Les bus de cette liaison rapide et efficace sont pleins sans toutefois être saturés le matin alors qu'ils le sont le soir. C'est tout simplement que les usagers, en premier lieu des femmes, y trouvent davantage de sécurité et de confort que dans un train. Il serait intéressant de voir comment on peut améliorer le confort, voire la sécurité, le soir, sur les lignes du RER ! Le Syndicat des transports d'Île de France (STIF) considère néanmoins que le développement de cette ligne, réclamé par les usagers, constitue une forme de concurrence par rapport au réseau ferré. Je pense pour ma part que si les usagers souhaitent utiliser préférentiellement le bus dans certaines circonstances, il est de notre devoir de favoriser le développement des lignes concernées. Je ne suis par là pour empêcher le développement du ferroviaire, bien au contraire ; encore faut-il que les infrastructures le permettent, ce qui n'est pas le cas actuellement. Du reste, l'intermodalité ne doit pas être négligée. Quand les lignes seront moins saturées, que les moyens de transport seront plus adaptés, nous pourrons alors peut-être moins utiliser la route. Nous en sommes loin, pour l'instant.

S'agissant de la sécurité, à la suite de l'agression de chauffeurs de bus lors des émeutes des années quatre-vingt-dix, j'avais mis en place un réseau de médiateurs. Les choses n'ont pas très bien fonctionné au départ car les jeunes initialement engagés n'étaient pas véritablement formés. Mais ils ont bénéficié ensuite d'une formation adaptée grâce à la mise en place de structures appropriées, et la SNCF m'a demandé d'en prévoir pour ses trains. Ils ont toutefois mis du temps à se faire accepter, notamment par son Service de surveillance générale (SUGE)… Aujourd'hui, sur la ligne Paris-Mantes par Conflans et sur la ligne Nord qui mène à Cergy, l'action des médiateurs est efficace. Le dispositif règle cependant davantage les problèmes d'incivilité que d'insécurité. En tout état de cause, je constate que la SNCF a passé contrat avec l'association de formation de nos médiateurs, c'est donc qu'elle y a trouvé un certain bénéfice au regard des problématiques de dégradations des matériels, de non-paiement des tickets de transport, et d'autres comportements inacceptables.

Le dispositif a permis de régler un autre problème : celui des signaux d'alarme. Pour échapper à une interrogation, certains collégiens ou lycéens n'hésitaient pas en effet à actionner le signal d'alarme afin d'obtenir une dispense de la SNCF pour cause de retard ou d'annulation du train. Il n'est donc pas inintéressant d'essayer d'améliorer la régularité du trafic par le biais de ce type d'intervention, qui ne coûte pas très cher. Si nous avons fait le choix de la médiation, c'est aussi parce que, dans un grand nombre de circonstances, la police ne pourrait pas agir.

Toujours au titre des dysfonctionnements, si les grèves sont plus ou moins bien supportées par nos concitoyens, désormais elles sont au moins annoncées et permettent de s'organiser, dans la mesure du possible Les annulations ou les retards des trains compliquent en revanche considérablement la vie des gens. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui ont perdu leur travail pour cause de dysfonctionnements du réseau ! En outre, j'ai beaucoup de mal à accepter l'usage abusif du droit de retrait : il n'est pas censé servir à mettre en exergue des revendications. Ce n'est pas parce qu'on est solidaire d'un agent victime d'une agression inacceptable qu'il faut bloquer le réseau. Imaginez la situation des femmes, souvent parent isolé, lorsqu'elles sont « coincées » à Paris alors que la crèche va fermer ! Je comprends parfaitement que des droits protègent les salariés, mais il faut éviter les dérives auxquelles nous assistons Elles pénalisent les familles, confrontées ainsi à des difficultés insurmontables. On ne dit pas assez combien il est difficile d'être un parent isolé en banlieue. C'est un cri du coeur de l'ancien maire de banlieue que je suis. J'ai une relation affective avec ma population et il m'est insupportable de voir les gens souffrir à cause d'un dysfonctionnement dans les transports en commun. La vie est déjà bien assez pénible pour certains en dehors des problèmes de transport...

Pour finir, je dirai que l'amélioration du réseau passe d'abord par la résolution des problèmes de gouvernance et de répartition des responsabilités. Il faudra bien s'attaquer à ces problèmes, et pas seulement pour la région parisienne.

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