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Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h45
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, le siècle des Lumières professait une confiance totale dans le monde des idées, ce territoire sans police ni frontières, sans autres inégalités que celles des talents, c'était la République des lettres, l'âge d'or de l'écrit.

Les débats épistolaires qui reliaient l'Europe à l'Amérique, Voltaire à Thomas Jefferson, avaient déjà toutes les caractéristiques d'un réseau d'informations transatlantique.

Depuis, peu à peu, cette République des lettres s'est professionnalisée pour devenir une République du savoir, savoir plus émietté, plus fermé, moins accessible car confronté au grand nombre.

Avec l'ère numérique, émancipatrice du temps et de l'espace, la démocratisation du savoir est désormais à portée de main – enfin, de clic –, du moins son accès est possible. C'est dans cette visée que prend place notre travail parlementaire de ce jour.

Mais que recouvre la proposition de loi qui nous est présentée, quel est son contexte ?

Nous le savons, elle s'inscrit dans l'accord-cadre du 1er février 2011 relatif à la numérisation et à l'exploitation des livres indisponibles du XXe siècle. Il s'agit donc d'un étage de cet accord. Quels sont les termes précis de cet accord ? Nous vous le demandons, car il nous a fallu attendre une décision de la CADA rendue après les travaux en commission pour avoir connaissance de cet accord. Est-il normal que des partenaires de la discussion n'aient pas eu accès à ce document ? C'est dommage.

Cet accord est important parce que nous aurions voulu examiner la viabilité économique du dispositif, qui fait une large part à un partenariat public-privé, que la proposition de loi cherche à mettre en oeuvre. Cet accord, dans son paragraphe F, prévoit : « les parties au présent accord conviennent de réaliser ensemble une étude de faisabilité qui serait réalisée au cours du premier trimestre 2011 et qui permettra de préciser les contours du projet. »

Bien naturellement, monsieur le ministre, nous souhaitons obtenir ces informations. Comment envisagez-vous cette étude ? A-t-elle été réalisée ? Avec qui ? Comment allons-nous pouvoir nous assurer effectivement de la viabilité de cet accord ?

Nous risquons, à défaut de nous assurer de la viabilité de cet accord, de n'avoir d'autre alternative que de traiter avec Google en rase campagne, car nous aurons borné notre réflexion.

Aujourd'hui dans un contexte de crise économique, de triple A perdu, le grand emprunt risque de n'être qu'une grande dette, et quel avenir ont les dettes de nos jours ?

C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'insiste sur le besoin d'informations plus précises concernant l'étude de faisabilité.

Passés ces questionnements, qui ne sont pas anodins, l'objet de la proposition de loi s'inscrit bien dans l'accord du 1er février 2011. Elle vise à organiser une gestion collective obligatoire des livres indisponibles du XXe siècle, afin d'en promouvoir la conservation et l'accès numérique. C'est un objectif louable, que nous devons favoriser et mettre en place.

Ainsi, la question de l'accessibilité est mise sur le devant de la scène. Nous nous en félicitons, elle doit être traitée. Mais comment ? Sur quels fondements ? Il s'agit de veiller à la protection de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Parmi ces préoccupations, la question des droits des auteurs doit être au centre de nos discussions. Le droit des auteurs ne doit pas se transformer en un droit des seuls éditeurs.

Nous nous félicitons à cet égard des avancées permises par nos collègues sénateurs, comme des avancées que nous avons proposées en commission et qui ont été adoptées, notamment pour ce qui concerne les garanties apportées aux auteurs pour sortir du mécanisme d'opt-out, que nous appellerons ici droit de sortir.

Nous proposerons, de nouvelles garanties indispensables pour les auteurs dans la récupération de leurs droits.

Et compte tenu de ces réflexions sur la protection des droits des auteurs, je ne peux que m'interroger sur le dispositif proposé pour le mécanisme de droit de sortir.

Le Sénat a fort heureusement encadré ce mécanisme et nous en sommes heureux, mais cela n'empêche pas une question, soulevée par le rapporteur : pourquoi, aux Etats-Unis, ce mécanisme a-t-il été jugé attentatoire aux droits d'auteur ?

Cela aurait mérité un approfondissement de nos réflexions sur un modèle économique différent, sans que mes propos aient pour objet de remettre en cause le travail très fructueux qui a été réalisé sur le droit de sortir, même s'il est encadré. Sans compter que, dans la dernière version de son règlement, Google a introduit un mécanisme d'opt in, c'est-à-dire de droit d'entrer.

La proposition de loi constitue, on le voit bien, une alternative à la tentative de Google de constituer une bibliothèque numérique universelle selon un régime qui peut s'écarter des principes de ce texte imposés par la juridiction.

Mais alors que le Gouvernement dénonçait hier les mécanismes mis en place par le géant, doit-il aujourd'hui s'épargner et nous épargner une réflexion approfondie sur la protection du droit des auteurs comme la justice américaine le suggère ? Nous aurions aimé avoir plus de temps pour prendre la mesure des implications du débat qui se tient aux États-Unis dans les décisions que nous sommes amenés à prendre. Protéger les acteurs de la chaîne du livre, disais-je, c'est là notre objectif.

J'aimerais aborder à présent la question des bibliothèques, dans leur rôle de mise à disposition des oeuvres, que vous avez souligné dans votre intervention, monsieur le ministre.

Le Sénat, une fois encore, a réalisé une avancée importante et équilibrée pour permettre l'accès des bibliothèques et donc des lecteurs des oeuvres orphelines, en autorisant l'exploitation gratuite des oeuvres orphelines par lesdites bibliothèques au bout de dix ans.

Un amendement présenté par le rapporteur a supprimé cette disposition.

S'agit-il d'une nouvelle exception au droit d'auteur ? Non. Il n'y a là aucune suspension du dispositif d'autorisation préalable, puisque celle-là même sera demandée à la SPRD. Il s'agit donc d'un régime d'autorisation.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, comment entendez-vous la notion d'« exception au droit d'auteur » que vous avez mise sur le devant de la scène ? Personnellement, j'y vois un mécanisme instauré par la loi pour traiter d'un cas spécifique relevant de l'intérêt général. Il suspend le principe de l'autorisation préalable des titulaires de droits.

Or qu'en est-il dans le cas de cet alinéa ? La société de gestion collective délivrera bien une autorisation d'exploitation à titre gratuit et non exclusif. À mon sens, le fil contractuel n'est donc pas rompu, mais j'attends vos observations à ce sujet.

Par ailleurs, ainsi que le mentionnait la rapporteure du Sénat, ce dispositif vise à favoriser les recherches avérées des ayants droit par la SPRD, afin que le nombre des oeuvres orphelines diminue substantiellement.

Ce dispositif asséchera-t-il les recettes de la SPRD ? Mettra-t-il à mal le modèle économique des irrépartissables ? Absolument pas.

Puisque la SPRD effectuera les recherches diligentes, le corpus des oeuvres orphelines diminuera. Et combien en restera-t-il après dix années écoulées ? Fort peu.

En quoi le bénéfice qu'elles représenteront alors, passés dix ans de commercialisation au bénéfice de la SPRD, bouleversera-t-il le modèle économique ?

Pourquoi alors souhaiter supprimer un tel dispositif ? S'agirait-il de mettre à mal le projet de directive européenne actuellement en discussion ? Cette directive entend donner aux bibliothèques et autres institutions culturelles la possibilité de numériser et de diffuser des oeuvres orphelines dans des conditions ouvertes.

Par ailleurs, pourquoi supprimer la définition de l'oeuvre orpheline adoptée par le Sénat, qui avait pris le soin de reprendre les termes même du projet de directive ? Il nous a été rapporté que cette directive serait adoptée au printemps 2012. Avez-vous des informations plus précises, monsieur le ministre ?

Gardons-nous de légiférer sans tenir compte de la directive européenne à venir. Cela n'empêchera pas de garder à l'esprit le sens de cette proposition de loi qui, je le rappelle, est louable, car il s'agit de favoriser l'accessibilité des oeuvres.

Un seul objectif doit nous guider, celui de l'équilibre des droits : ceux des auteurs, des éditeurs, des bibliothèques et des lecteurs. C'est dans ce sens que nous défendrons nos amendements, dans le sens d'un juste équilibre entre tous les acteurs de la création et de la diffusion.

Jean Guéhenno déclarait : « Un livre est un outil de liberté. » Oui, un outil de liberté pour l'auteur mais aussi pour le lecteur. Gardons-nous bien de rompre le lien qui existe entre ces deux maillons essentiels sans lesquels la culture n'existerait pas. C'est notre responsabilité et notre travail de l'instant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.– M. le rapporteur applaudit également.)

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