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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h45
Remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, convenons qu'à en lire le titre, ce projet de loi dont nous débattons pour la deuxième fois semble important. Philippe Richert nous l'avait d'ailleurs présenté en décembre comme étant « ambitieux ». Le fait est qu'il concerne l'organisation de l'élection présidentielle, c'est-à-dire le scrutin autour duquel se structure la vie politique de notre pays.

On peut dès lors regretter que nous soyons contraints de l'aborder dans le cadre de la procédure accélérée, qui n'a jamais autant mérité son nom : la réunion de la commission paritaire n'a pas excédé cinq minutes. À vrai dire, ce n'est pas réellement une nouveauté, c'est même un rythme assez classique dans les législatures : durant les premiers mois, la majorité tout juste élue veut avancer à marche forcée pour concrétiser ses engagements de campagne ; dans les derniers mois, le Gouvernement veut boucler, voire bâcler, des chantiers ouverts ou les sujets qu'il a pu délaisser.

On peut aussi s'étonner de son contenu. Comme le notait le sénateur Hugues Portelli lors d'un projet comparable en mars-avril 2006, l'usage républicain veut que l'on ne modifie pas les règles d'un scrutin dans l'année qui le précède.

Il fallait donc que le motif soit impérieux pour que vous nous proposiez cette entorse. Or de quoi s'agit-il ? Simplement de faire économiser 3,7 millions d'euros sur un total de 220 millions d'euros de dépenses liées à l'organisation de l'élection présidentielle. Chacun pourra apprécier l'ampleur du gain espéré mais on me permettra de le considérer comme symbolique au regard d'un déficit public cumulé de 1 600 milliards d'euros. Je rappelle aussi que cette somme de 220 millions d'euros correspond à une dépense de moins de 6 euros par électeur.

Dès lors, on comprendra que la pertinence du texte ne me saute pas aux yeux, d'autant que son bénéfice potentiel ne pourra être mesuré qu'a posteriori.

Tout autre est l'intérêt du texte adopté par le Sénat qui, loin d'être extravagant, monsieur le rapporteur, contribuait à dissiper les zones de flou que j'avais évoquées dans mon intervention lors de la première lecture, le 19 décembre dernier.

Paradoxalement, le cadre législatif et réglementaire applicable aux élections présidentielles est aujourd'hui moins rigoureux que celui des élections cantonales, et c'est à bon droit que le Sénat a pu estimer que des précisions étaient nécessaires. Celles-ci visaient non seulement à mettre fin à des pratiques discutables auxquelles peuvent se livrer certains candidats mais aussi à inviter le Conseil constitutionnel à revenir sur sa jurisprudence et à appliquer des sanctions financières s'il constate l'existence de dons de personnes morales.

Il est en effet choquant que l'intervention a posteriori d'un remboursement par le biais de recettes autorisées puisse faire obstacle à la mise en oeuvre d'une sanction alors même que les dons de personnes morales font partie des atteintes les plus graves à la législation sur la transparence financière de la vie politique.

Certes, ce rappel peut être considéré comme redondant, voire symbolique, mais on peut aussi le juger pédagogique. Il incitera les candidats à la prudence. Si de telles précisions avaient existé en 2007, le compte de Nicolas Sarkozy n'aurait peut-être pas été réformé pour non-respect du code électoral en matière de dons de personnes physiques.

Le texte du Sénat comble également une lacune de notre appareil normatif. L'élection présidentielle est la seule élection pour laquelle le non-respect des règles relatives au financement n'est pas sanctionné autrement que par une réformation du montant du remboursement. Cette spécificité n'est plus acceptable depuis que nous avons eu connaissance avec un peu plus de précision de la curieuse séance du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995 au cours de laquelle fut validé le compte de Jacques Chirac.

Ainsi, que lisons-nous dans le récent livre de Jean-Jérôme Bertolus et Frédérique Bredin intitulé Tir à vue et sous-titré La folle histoire des présidentielles ? Roland Dumas, qui était alors président du Conseil constitutionnel, s'exprime ainsi : « La France avait besoin d'un Président de la République. La France venait d'élire Jacques Chirac. Même au prix de quelques anomalies, il était là. Les choses ont dont été négociées, c'est vrai, mais convenablement à mon avis. On est arrivé à un consensus sur la réintégration ou l'exonération de certaines sommes, et de fait le Conseil a statué “dans sa sagesse” pour que la France ait un Président de la République ». Le même Roland Dumas était encore plus explicite lors de l'émission de Guillaume Durand Face aux Français, le 4 mai 2011, quand il affirmait : « Jacques Cheminade – dont les comptes avaient été annulés, après un score de 0,28 % – était plutôt maladroit, les autres – il parlait de Jacques Chirac et d'Édouard Balladur – étaient adroits ».

Pouvons-nous nous satisfaire d'un système qui institutionnalise l'hypocrisie : un système qui, comme l'a dit l'un de mes collègues du Sénat, n'est rigoureux que pour les petits maladroits et qui s'avère compréhensif pour les gros malins, un système dans lequel le vainqueur a toujours raison, quelles que soient les libertés que celui-ci a pu prendre avec la loi ?

La commission mixte paritaire a échoué et vous nous proposez de revenir au texte adopté en première lecture par notre assemblée. Nous le regrettons et souhaitons un retour au texte adopté par le Sénat.

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