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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 18 janvier 2012 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, rapporteur :

Avant d'en venir aux relations économiques entre les deux pays, je vais dire quelques mots de notre coopération avec l'Inde dans le secteur du nucléaire et dans celui de la défense et de la sécurité, qui sont deux des trois volets de notre partenariat stratégique (le troisième étant l'espace).

La coopération de la France avec l'Inde dans le domaine nucléaire est ancienne, mais connaît de nouveaux développements depuis que le Groupe des fournisseurs nucléaires a autorisé, le 10 septembre 2008, les transferts de technologies en sa faveur, sous réserve d'un certain nombre de garanties. L'Inde a en effet décidé que la part du nucléaire dans son mix énergétique devait passer de 3 % actuellement à 20 % d'ici 2020, pour une production énergétique qui devrait doubler. Afin d'accélérer le développement de son parc nucléaire, elle souhaite recourir à des technologies étrangères. Elle a conclu des accords dans ce but avec plusieurs Etats, dont la France. Un accord-cadre franco-indien a été signé dès le 30 septembre 2008.

Cette coopération comporte un important volet scientifique, sur lequel je reviendrai tout à l'heure à propos d'un accord bilatéral relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire.

Elle a aussi un volet industriel très prometteur. Le projet franco-indien le plus ambitieux concerne la fourniture par Areva à l'opérateur nucléaire public indien NPCIL de six EPR sur le site de Jaitapur, au sud de Bombay ; les six réacteurs produiraient de l'ordre de 10 000 MW, sur ce qui serait le plus important site de production d'électricité du pays. Un accord (MoU) pour la fourniture de deux premiers EPR et du combustible nécessaire à leur exploitation a été signé en ce sens en février 2009. Depuis, les discussions commerciales sont en cours entre les deux entreprises pour la première phase du projet, consistant en la fourniture de deux EPR.

Plusieurs difficultés doivent encore être résolues, les plus délicates étant relatives à la responsabilité civile nucléaire : contrairement aux règles internationales, la nouvelle loi indienne met à la charge du fournisseur nucléaire une responsabilité illimitée, ce qui est inacceptable pour les industriels. En dépit de ces obstacles, les autorités indiennes comme les responsables d'Areva apparaissent confiants quant aux perspectives de réalisation du projet.

Pour ce qui est de notre coopération de défense avec l'Inde, elle est, elle aussi, à la fois opérationnelle et industrielle. La lutte contre les risques terroristes, d'une part, et contre la piraterie, d'autre part, est au coeur des préoccupations des deux pays, qui en ont fait la priorité de leur coopération en matière de sécurité. Les échanges opérationnels entre les deux armées sont très développés : il existe depuis quelques années un exercice biannuel pour les armées de l'air et un exercice annuel pour la marine, tandis que le premier exercice commun entre armées de terre s'est déroulé en octobre 2011. Le plan de coopération franco-indien est l'un des plus denses de tous ceux que la France met en oeuvre.

La France est aussi un partenaire essentiel de l'Inde pour la fourniture d'équipements de défense. Elle figure en effet parmi ses premiers fournisseurs, derrière la Russie, premier fournisseur historique, et Israël, qui s'est imposé sur ce marché depuis une dizaine d'années, mais au coude à coude avec les Etats-Unis, qui ont signé plusieurs contrats importants depuis 2008. L'Inde apprécie les équipements français pour leur qualité technique, mais aussi parce que notre pays accepte d'accompagner ses ventes de transferts de technologies et respecte strictement la souveraineté d'utilisation des équipements qu'elle lui vend, ce qui n'est pas le cas des Etats-Unis.

En 2005, les industriels français ont conclu un contrat pour la construction à Bombay de six sous-marins Scorpène, actuellement en cours de construction. Le 29 juillet 2011 a été signé un contrat de 1,5 milliard d'euros portant sur la rénovation de 51 Mirages 2000. Des contrats sont en cours de négociation pour le co-développement avec l'Inde d'un nouveau missile sol-air, le SR-SAM, et le co-développement du moteur Kaveri. On attend une prochaine décision indienne pour l'achat de 197 hélicoptères légers, qui pourraient être des Fennec, un premier contrat pour la fourniture d'hélicoptères de ce type ayant été annulé par la justice il y a quelques années.

Mais la décision la plus attendue concerne l'appel d'offres pour l'acquisition de 126 avions de combat multirôles, qui a été lancé en 2007. En avril dernier, à la surprise générale, ont été pré-sélectionnés le Typhoon d'Eurofighter et le Rafale, au détriment d'un avion russe et de deux avions américains – ce qui a provoqué la démission de l'ambassadeur des Etats-Unis à Delhi. Le choix final devrait intervenir très prochainement et l'avion français semble bien placé pour l'emporter.

Lorsque nous l'avons reçu, le délégué général à l'armement a estimé à 35 milliards d'euros sur quinze ans le cumul des ventes françaises potentielles à l'Inde ; 20 à 30 % des matériels seraient produits en France, sans compter la fabrication des kits qui seraient assemblés en Inde. Ces contrats comportent en outre des clauses de compensation (offset). Les perspectives sont ainsi très prometteuses.

En ce qui concerne les autres secteurs, nos liens économiques sont essentiellement fondés sur des gros contrats. C'est la force et la faiblesse de notre pays, que l'on retrouve évidemment en Inde. Or on ne peut construire une relation durable sur cette seule base. 80 % des entreprises du CAC 40 sont présentes en Inde. Nos échanges commerciaux représentent 7 milliards d'euros, ce qui est peu notamment au regard de nos échanges avec la Chine qui s'élèvent à 48 milliards. Quelques 748 entreprises françaises sont établies en Inde à un titre ou un autre, contre plus de 1 200 en Chine. Notre stock d'investissements directs est de 2,3 milliards d'euros, quand il est de 10,6 milliards en Chine.

Plusieurs raisons peuvent être avancées. La première est l'intérêt absolument récent des industriels pour l'Inde.

La deuxième raison est la fermeture du marché indien, qui perdure dans de nombreux secteurs. La grande distribution en est un exemple mais il y en a bien d'autres. L'Inde est un pays très protégé, avec des tarifs douaniers élevés, des règlementations qui s'accumulent les unes aux autres et une vision de la procédure qui rend la France peu bureaucratique en comparaison. L'exemple le plus frappant est sans doute le volume des exportations françaises dans un secteur phare pour la France avec des besoins immenses en Inde : l'agro-alimentaire. Dans ce secteur, la France exporte vers l'Inde pour 6,3 millions d'euros seulement, contre 566 millions vers la Chine.

La troisième raison est la difficulté pour les entreprises d'avoir une présence durable en Inde et, au fond, de s'adapter au marché indien. Peugeot et Renault en ont fait l'expérience par le passé. Ils se sont implantés par le biais de partenariats qui n'ont pas fonctionné, ont quitté l'Inde et y reviennent aujourd'hui avec une image à reconstruire. Ils n'ont pas compris à l'époque les circuits de décision indiens, les modèles de production adaptés à l'Inde. Ce ne sont pas seulement les retards de l'Inde en matière d'infrastructures qui empêchent les entreprises de venir s'y installer, il y a un contexte économique et social qui explique le retard pris.

Les investissements en Inde ne sont pas des délocalisations. Ce sont d'abord des investissements destinés au marché local. Une entreprise qui n'a pas compris que son débouché est local – et elles sont nombreuses – ne pourra pas réussir en Inde. 5 % seulement des produits qui y sont fabriqués par des entreprises françaises sont réexportés vers la France. 95 % des produits viennent donc nourrir le marché indien et dans une moindre mesure les marchés périphériques.

Cette faculté à se couler dans le paysage indien n'est pas une qualité reconnue aux entreprises françaises, alors qu'elle l'est notamment aux entreprises allemandes. C'est probablement dû au fait que la plupart des grosses PME allemandes sont des entreprises familiales, comme les entreprises indiennes. Les milieux d'affaires parviennent donc à se parler, alors que les entreprises françaises ont du mal à s'intégrer au tissu économique indien. 1 800 entreprises allemandes sont implantées en Inde. Cette question du lien humain est revenue à de nombreuses reprises au cours des dizaines de discussions que nous avons eue sur ce sujet.

Pour faciliter la construction de réseaux franco-indiens, nous proposons de renforcer les réseaux d'appui, qui sont dispersés et distendus. Nous proposons aussi de relancer les lieux de partenariats. Il s'agit notamment de relancer le conseil présidentiel franco-indien des entreprises, créé en 2008, qui réunit des grandes entreprises françaises et indiennes. Il est actuellement présidé en France par M. Bertrand Collomb, Lafarge ayant en Inde des intérêts importants. On s'aperçoit que les Indiens se détournent de cette structure, les réunions sont reportées pour des raisons peu compréhensibles et certains entrepreneurs français comme Paul Hermelin, directeur général de CapGemini, y voient quasiment un « cheval de Troie » pour des entreprises indiennes qui cherchent à remporter des marchés en France et non pas à renforcer la relation entre les deux pays.

Les PME sont évidemment un des maillons faibles de notre présence. Le rapport de la mission d'information sur les faiblesses et défis du commerce extérieur, présidée par le Président Poniatowski, identifiait cette faiblesse générale qui est aussi sensible en Inde. Le CAC 40 ne draine que peu de PME et les PME ne prennent pas spontanément l'initiative de se tourner vers l'Inde.

Pour développer nos relations, il est utile d'identifier quelques secteurs clés dans lesquels la France est bien positionnée et pour lesquels l'Inde a des besoins vitaux. Il est aisé dans ces secteurs, nous semble-t-il, de construire des liens durables.

Nous proposons de définir des objectifs chiffrés d'investissements et d'échanges économiques afin de fixer les ambitions. Il faudrait relever le niveau de nos échanges commerciaux pour parvenir à 13 milliards d'euros en 2015, disposer de 1 000 implantations d'entreprises françaises et d'une part de marché portée à 2 % du marché indien, contre 1,5 % aujourd'hui. Il nous semble possible et même indispensable d'atteindre ces objectifs.

Nous proposons aussi des collaborations utiles dans un certain nombre de secteurs. Nous en identifions particulièrement trois : l'énergie évidemment, les secteurs agricole et agro-alimentaire, dans un pays où 40 % de la production agricole est perdue en l'absence de chaîne du froid, d'infrastructures et de circuits de distribution adéquats, enfin le développement des infrastructures notamment urbaines, où des entreprises françaises excellent, sont reconnues et remportent des marchés en Inde, comme le métro de Bangalore et celui de Bombay, pour lequel Alstom et la RATP se sont alliées.

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