Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 17 janvier 2012 à 15h00
Application de l'article 68 de la constitution — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Au contraire, c'est en plein dans le sujet !

En effet, au-delà du présidentialisme, la Constitution de 1958 fut l'instrument du pire fléau contemporain, la délégation de pouvoir, dont la dévastation idéologique de masse est effroyable et souvent masquée. De manière cohérente avec cela, la démocratie est réduite aux élections, et les partis politiques sont cantonnés à devenir des appareils de recrutement d'électeurs.

L'individu, le citoyen devient, quant à lui, objet de pouvoir au lieu d'être acteur de pouvoir. C'est la notion même de citoyenneté qui est en cause.

L'enjeu fondamental est donc la question du « pouvoir par en haut » et du « pouvoir par en bas ». Se pose alors celle de l'État : le « trop d'État » est un slogan du libéralisme qui nous gouverne. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a assez ou trop d'État, il s'agit de savoir de qui l'État est l'instrument de pouvoir. Est-il l'instrument du pouvoir exercé sur le peuple ou l'instrument de pouvoir du peuple sur ses affaires ?

Intolérable aussi est la formule « État-providence », qui ne fait que recouvrir le désengagement social de l'État. Le fait que la dette soit non plus seulement celle du Sud ou de la Grèce mais aussi celle des États-Unis montre que c'est un problème structurel. L'État a pour fonction de satisfaire avec les ressources de l'impôt les besoins publics mais, pour ce faire, il doit rémunérer le profit privé, aux dépens de la satisfaction des besoins publics.

On voit dès lors que la pierre de touche est la notion de souveraineté populaire. Celle-ci a été le cheval de bataille de tous les progressistes du XIXe siècle, contre la confiscation de la révolution par la bourgeoisie. Elle a été portée au rang de valeur universelle par la Charte des Nations unies, dont je rappelle les termes : « Nous, peuples des Nations unies avons décidé d'unir nos efforts. En conséquence, nos gouvernements, etc. »

La souveraineté populaire est le contraire du populisme, qui consiste à flatter le peuple pour qu'il abdique entre les mains d'un chef ou d'une oligarchie : elle implique une intervention permanente, les élus étant l'instrument de sa mise en oeuvre. N'oublions pas, en outre, que la souveraineté populaire ne procède pas d'une idéalisation de la spontanéité du peuple : elle suppose une démocratie de l'éducation et de l'information.

J'en donnerai un bel exemple qui, il est vrai, date de la IVe République.

En 1954, lors du vote sur la Communauté européenne de défense, des délégués de villages, d'ateliers, venus deux par deux avec des paquets de pétition, ont demandé à parler à leur député, formant une file d'attente d'un kilomètre devant l'Assemblée nationale. La majorité a basculé, et la majorité de ratification est devenue une majorité de rejet. La démonstration de la souveraineté populaire était faite ; il est vrai que les institutions le permettaient.

On a beaucoup vilipendé la IVe République et il ne s'agit pas pour moi d'en faire l'apologie. Ses principes démocratiques étaient peut-être néanmoins plus forts que ceux de la Ve République. Il serait intéressant, d'ailleurs, de ressortir des cartons le premier projet de Constitution de la IVe République, hérité de la culture de la résistance populaire et du programme du Conseil national de la Résistance et rejeté sous l'influence du discours prononcé par de Gaulle à Bayeux.

Alors, oui, nous avons besoin d'une constituante comme celle qui s'est mise en place en Islande. Las, les médias français se gardent bien de relayer cette nouvelle, à croire qu'ils ont peur que les citoyens français décident de suivre cet exemple !

À la suite de la mobilisation populaire contre la crise financière, l'Islande a mis en route le processus d'une assemblée constituante. Cette crise était particulièrement brutale pour les Islandais, et la faillite d'une de leurs banques leur aurait coûté 40 % du PIB s'ils avaient dû en assumer le coût. La plupart des souscripteurs de la dette islandaise étant britanniques et hollandais, les gouvernements négocièrent un remboursement avec un prêt à 5,5%, mais les Islandais protestèrent si bruyamment – casseroles à l'appui – que le Président de la République refusa de promulguer la loi ratifiant le dit accord. Les banques furent nationalisées. Il en fut décidé ainsi par 93 % des suffrages, lors d'un référendum auquel participèrent 60 % du corps électoral.

Depuis lors, l'Islande a dévalué sa monnaie, dont la parité avec le dollar a diminué de moitié, ce qui a provoqué la relance des exportations de poisson et d'aluminium et dopé le tourisme.

Le recours à la souveraineté populaire pour adopter une nouvelle Constitution est un effet de la mobilisation de la société contre la crise. C'est un indice de la volonté de changement dans un domaine où les partis restent malheureusement trop conservateurs. Les citoyens sont loin d'être irresponsables, et certains États feraient bien de les écouter et de les entendre.

Au regard de tous ces éléments, et même si certains ont considéré que j'étais hors sujet, il est bien évident que le groupe GDR demande le renvoi en commission : l'heure devrait être non pas à voter les modalités d'application de cet article 68 de la Constitution mais bien à discuter avec l'ensemble des citoyens de la mise en place d'une Constituante – et peut-être à demander aux candidats de s'engager en ce sens –, cette Constituante devant respecter l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en restaurant la séparation des pouvoirs et en redonnant au peuple la maîtrise de son destin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion