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Intervention de Anne Froment-Meurice

Réunion du 11 janvier 2012 à 9h30
Commission des affaires sociales

Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes :

Nous avons expliqué la détermination du champ de l'enquête dans l'avertissement qui se trouve au début de notre rapport. Nous sommes toutefois restés proches de l'objectif de la lettre de saisine que vous nous avez adressée, messieurs les présidents, et qui nous conviait à analyser les transferts possibles de bénéficiaires entre l'allocation aux adultes handicapés et les autres prestations sociales.

Je comprends que cela vous préoccupe, monsieur Méhaignerie, mais à l'époque où vous nous avez saisis, nous ne pouvions étudier les disparités entre départements dans l'attribution de l'AAH car le code des juridictions financières interdisait à la Cour des comptes de contrôler les départements qui relèvent de la compétence directe des chambres régionales et territoriales des comptes – CRTC. La réforme du 13 décembre 2011 permet désormais à la Cour des comptes de procéder aux enquêtes qui lui sont demandées par vos deux commissions sur la gestion non seulement des services et organismes soumis à son contrôle, mais aussi de ceux soumis au contrôle des CRTC. Si vous le souhaitez toujours, nous pourrons donc mener une enquête pleine et entière sur le sujet.

Ce rapport, réalisé à la demande de vos deux commissions, fait suite au travail sur l'AAH que nous avons remis à l'Assemblée nationale en 2010. Ce travail montrait que la forte augmentation de la dépense était due à l'augmentation dynamique du nombre des allocataires et à la hausse du plafond de l'AAH. Il en résultait aussi que l'accroissement du nombre d'allocataires connaissait une inflexion à la hausse à partir de 42-43 ans et que la reconnaissance d'un handicap devenait de plus en plus fréquente avec l'âge.

Il apparaissait dès lors intéressant de regarder si cette hausse des entrées se retrouvait dans d'autres dispositifs de revenus de remplacement et d'examiner ce qui pouvait l'expliquer. Tel est l'objet du présent rapport qui est consacré plus largement aux revenus de remplacement versés aux seniors qui ne tirent pas un revenu suffisant de leur activité, soit parce qu'ils ne travaillent pas, soit parce qu'ils travaillent peu. Je vous en présenterai les conclusions en cinq points : les caractéristiques de ces revenus de remplacement et de leurs sources de financement ; les facteurs pouvant influer sur le nombre de bénéficiaires ; les interactions pouvant exister entre ces différents revenus de remplacement ; les leviers d'action pour limiter le retrait des seniors du marché du travail ; les préconisations de la Cour.

Les revenus de remplacement versés aux seniors sans emploi sont nombreux. La Cour en a dressé un panorama complet qui renvoie à quatre types de situations : les allocations accordées en raison de la seule perte de l'emploi – il s'agit des allocations chômage au titre de l'assurance et de la solidarité ; les revenus de remplacement accordés en raison d'une impossibilité à être maintenu en emploi pour des raisons économiques et de décalage entre les caractéristiques des emplois et les qualifications de la personne – régimes de préretraites ; les revenus de remplacement accordés en raison de l'incapacité de la personne à travailler pour des raisons de santé – AAH, pensions et allocation supplémentaire d'invalidité, bénéfice d'une pension ou d'une rente dans les cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ; revenus de subsistance lorsque la personne sans emploi appartient à un ménage dont les ressources sont très faibles – dispositifs de revenu minimum d'existence, principalement le revenu de solidarité active (RSA) dans ses différents volets.

Au total, et malgré les difficultés d'un chiffrage de ces revenus quel que soit le fait générateur et surtout à partir de sources différentes et non coordonnées, on peut estimer à 2 millions le nombre de personnes concernées par ces revenus de remplacement en 2010. Ce nombre est à rapprocher du nombre total des 50-64 ans, soit un peu plus de 12 millions de personnes, et du nombre de ceux qui, au sein de cette classe d'âge, ne travaillent pas, soit un peu plus de 5,5 millions, dont 2,6 millions sont à la retraite.

La Cour a évalué la dépense globale à environ 20 milliards d'euros, financés par cinq sources différentes :

– le budget de l'État qui prend en charge les allocations chômage au titre de la solidarité, l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation supplémentaire d'invalidité, les préretraites publiques et le volet activité du RSA ;

– l'UNEDIC, ou les fonds gérés par les partenaires sociaux, qui finance les allocations chômage au titre de l'assurance ;

– la sécurité sociale dans ses branches « assurance maladie » pour l'assurance invalidité des ressortissants du régime général et « maladies professionnelles et accidents du travail » pour les rentes servies aux victimes ;

– les entreprises, qui participent avec l'État au financement des préretraites publiques et qui financent les préretraites « maison » ;

– les conseils généraux, qui financent le « RSA socle ».

Quels sont les éléments qui influent sur le nombre total de bénéficiaires de revenus de remplacement ? La Cour en a identifié plus particulièrement quatre qui peuvent jouer dans des sens contraires.

Le dynamisme démographique des classes d'âge concernées, les 50-64 ans, est un facteur explicatif majeur, le nombre des 50-64 ans étant passé de 8,8 millions en 1990 à un peu plus de 12 millions en 2010.

Mais plus nombreux, les seniors sont aussi ceux qui sont le plus susceptibles de connaître des problèmes de santé les éloignant de l'emploi – c'est le deuxième facteur explicatif : la prévalence des problèmes de santé qui peuvent se traduire par un recours à l'AAH ou à l'invalidité augmente avec l'âge.

Certaines réformes peuvent avoir un effet plus ou moins direct sur les revenus de remplacement servis aux seniors. La Cour, qui a examiné deux dispositifs récents de la législation sur le travail – la rupture conventionnelle du contrat de travail et la suppression de la dispense de recherche d'emploi –, montre dans son rapport que ces réformes n'ont pas eu d'effets sur les revenus de remplacement. En revanche, la législation sur la retraite, elle, a un impact sur ces revenus. Les conséquences de la dernière réforme sont difficiles à estimer et les effets possibles peuvent jouer en sens contraire. Le recul de l'âge de la retraite doit en principe conduire à maintenir plus largement qu'aujourd'hui les 60-64 ans sur le marché du travail. Si tel est le cas, le recours aux revenus de remplacement baissera, mais si ce maintien concerne des seniors qui ne trouvent pas d'emploi ou ne peuvent plus travailler pour des raisons de santé, alors la réforme des retraites se traduira, au moins à court terme, par une augmentation des dépenses de revenus de remplacement. C'est cette dernière hypothèse qui l'emporte dans les estimations réalisées.

Enfin, la situation d'emploi des seniors est, avec le facteur démographique, ce qui explique le mieux le recours aux revenus de remplacement. Le tableau que l'on peut en brosser est ambivalent. D'un côté, les taux d'activité et d'emploi des seniors, qui s'étaient effondrés au début des années 1980, ont progressé depuis 2000. Mais, de l'autre côté, cette amélioration, qui se situe dans un contexte démographique où ces classes d'âge sont nombreuses, s'accompagne depuis 2009 d'une très forte progression du nombre de chômeurs âgés. Cela a bien sûr un impact sur certains revenus de remplacement : allocations chômage et RSA.

J'en arrive aux éventuels phénomènes de transferts ou d'interactions entre ces revenus. Ces transferts sont la résultante de divers facteurs.

D'abord, l'analyse montre que les revenus de remplacement qui s'adressent à des publics et des situations comparables sont insuffisamment coordonnés. Ils trouvent leur origine dans des sources de droit différentes et sont financés par de nombreux contributeurs, eux aussi différents. Cette gestion, avec des critères et des objectifs non homogènes, ne permet pas d'éviter des transferts imprévus, de maîtriser véritablement la dépense, d'offrir un dispositif compréhensible pour les intéressés. Et elle ne permet pas, parfois, d'éviter des effets d'exclusion. Le rapport insiste tout particulièrement à cet égard sur la complexité des règles et des circuits d'attribution pour les dispositifs d'indemnisation de l'invalidité et du handicap.

Les transferts entre les revenus de remplacement peuvent également résulter de la suppression de certains revenus de remplacement qui se traduit par l'augmentation des flux d'entrée dans d'autres dispositifs : plusieurs indices convergent pour donner à penser que la suppression des préretraites publiques se traduit par une augmentation des congés de maladie de longue durée, puis des entrées en invalidité.

La bascule entre différents revenus de remplacement peut être due aussi aux décisions des financeurs. Ainsi, entre le régime d'assurance chômage et le régime dit « de solidarité », ou encore entre les régimes d'allocations chômage et le RSA, ou entre le budget de l'État financeur des préretraites et le régime d'assurance chômage.

S'agissant des revenus liés à la santé, l'analyse ne conclut pas pour l'instant à un effet de report significatif résultant d'un moindre recours aux cessations anticipées d'activité, mais on observe cependant une croissance continue des entrées en AAH à partir de 45 ans et les dernières évolutions relatives aux indemnités journalières longue maladie incitent à suivre de près les entrées en invalidité. Les reports du RSA vers l'AAH, qui pourraient résulter des montants respectifs des allocations servies, restent pour l'instant limités en volume et accompagnent, semble-t-il, le délai nécessaire pour la reconnaissance des droits liés au handicap.

En ce qui concerne les revenus liés à l'emploi, des possibilités importantes de transferts existent entre RSA et indemnisation du chômage et, à l'intérieur du système d'indemnisation du chômage, entre les dispositifs financés par l'assurance et ceux financés par l'impôt.

Ces transferts ont plusieurs conséquences : ils complexifient l'analyse des évolutions globales ; ils rendent difficile l'interprétation des inégalités territoriales constatées pour tel ou tel revenu ; ils peuvent s'exercer au détriment des publics visés et poser des problèmes d'équité territoriale et de niveau de ressources procurées.

Au terme de ses travaux, la Cour considère que le recours aux revenus de remplacement renvoie à des situations qui, pour partie, auraient pu être évitées, limitant ainsi la dépense que représentent ces revenus.

Ces situations concernent l'activité et l'emploi des seniors : leur état de santé et leur situation vis-à-vis de l'emploi sont ainsi fortement corrélés. Il a notamment semblé à la Cour que l'un des points cruciaux était la sortie précoce du marché du travail des actifs connaissant les conditions de travail les plus pénibles.

Il ne peut donc y avoir d'évolution du taux d'emploi des seniors sans une politique active de conditions de travail et de santé des actifs et sans une gestion des âges différente, assise notamment sur la formation professionnelle tout au long de la vie.

Sur ces questions, la Cour constate que, si des décisions fortes ont été mises en oeuvre – quasi-disparition des préretraites, suppression de la dispense de recherche d'emploi, réforme des retraites –, les outils de la politique de l'emploi sont peu orientés vers les seniors et l'amélioration des conditions d'emploi et de travail est renvoyée à la négociation collective, sans véritables incitations à conclure des accords permettant d'escompter des progrès rapides. Elle souligne donc la timidité des mesures à l'oeuvre qui fixent surtout des obligations formelles d'élaboration de plans ou d'accords, qui au demeurant ne concernent pas les entreprises de moins de 50 salariés.

Quelles sont les recommandations de la Cour ?

S'agissant de la connaissance des mécanismes à l'oeuvre, la Cour estime qu'un travail technique additionnel est nécessaire afin de mieux estimer le coût des revenus de remplacement et le nombre des bénéficiaires sans double compte. La Cour préconise en particulier de conduire des travaux sur les niveaux globaux des revenus perçus par les seniors sans emploi, ou faiblement employés, et l'effet de ces niveaux, d'une part, sur la pauvreté et, d'autre part, sur l'attractivité du travail.

S'agissant de la coordination de revenus de remplacement dont la gestion et le financement sont éclatés, la Cour considère qu'il est difficile d'envisager, sans difficultés techniques et politiques majeures, une reconstruction globale de dispositifs qui renvoient à des constructions historiques très spécifiques et qui répondent le plus souvent à des situations bien identifiées. Mais il est nécessaire de veiller à la mise en cohérence des dispositifs régissant les revenus de remplacement s'adressant à des personnes et des situations comparables. Aussi la Cour recommande-t-elle de poursuivre les réflexions en cours sur l'allocation supplémentaire d'invalidité, sur la déconnexion entre taux d'incapacité et aptitude au travail, et encourage-t-elle fortement le rapprochement du droit de l'invalidité des dispositifs existant en faveur des personnes handicapées.

Enfin, sur l'adaptation des leviers d'action pour le maintien dans l'emploi des seniors, sans méconnaître la difficulté de l'exercice dans un contexte de chômage élevé, la Cour estime nécessaire d'amplifier fortement l'action publique pour mieux anticiper le vieillissement au travail en améliorant les conditions de travail et l'accès à la formation de façon à prévenir la désinsertion professionnelle, et pour maintenir les seniors dans l'emploi et favoriser le retour sur le marché du travail de ceux qui en ont été éloignés et qui ont la capacité d'y revenir.

Les pouvoirs publics ont largement renvoyé ces deux points à la négociation collective. Cette voie d'action est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Le moment va arriver, fin 2012, de négocier la seconde vague d'accords sur l'emploi des seniors : la Cour préconise que les mois qui viennent soient mis à profit pour mettre en place un nouveau cadre de négociation obligeant à des contenus d'accords ou de plans d'action plus directement favorables à l'emploi des seniors. Les pouvoirs publics doivent également créer les conditions pour que les petites entreprises, qui ne sont pas concernées par la négociation collective, progressent en matière d'emploi des seniors et de conditions de travail. Enfin, les outils classiques de la politique de l'emploi – contrats aidés, prestations de Pôle emploi – doivent être plus fortement mobilisés pour les seniors.

La Cour rappelle que les évolutions démographiques ne permettront pas une diminution spontanée du recours par les seniors aux revenus de remplacement, le nombre des 50-64 ans, aujourd'hui de quelque 12 millions, devant avoisiner les 12,4 millions en 2060.

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