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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 12 janvier 2012 à 9h30
Nomination d'un député en mission temporaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Je voudrais donc rétablir les faits : dans cette affaire, qui touche aux libertés publiques, l'opposition n'est pas isolée face à la majorité.

Quant au petit coup de force que constitue la précipitation avec laquelle le Gouvernement nous a « proposé », hier à seize heures trente, d'examiner ce texte dès ce matin, je n'y reviens pas. Nous sommes peu nombreux mais, je l'espère, la qualité y est.

Je le rappelle, cette proposition de loi était destinée, à l'origine, à lutter contre une délinquance très perturbante pour les victimes, celle de l'usurpation de leur identité, qui peut causer des dégâts financiers mais aussi psychologiques.

Le problème, au regard des libertés publiques, c'est que vous avez choisi de mettre en place ce que le ministre appelle une « base », c'est-à-dire un fichier généralisé des données biométriques, ce qui, je persiste à le penser, contrevient au principe, posé par la CNIL, de proportionnalité entre l'étendue du fichage et l'objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire.

Vous prétendez vouloir surtout lutter contre l'usurpation d'identité et affirmez que la méthode du lien faible que nous préconisons n'est pas efficace en la matière. Mais regardons les articles auxquels vous vous référez pour l'utilisation de cette base données biométriques et les infractions auxquels ils renvoient.

Il s'agit d'abord de l'usurpation d'identité elle-même, visée à l'article 226-4-1 du code pénal, et de l'escroquerie par fausse identité, visée aux articles 313-1 et 313-2 du même code. Est également mentionnée l'atteinte aux services spécialisés de renseignement, ce qui suscite de ma part quelques questions, car il me semble que cela relève d'un autre cadre que l'usurpation d'identité.

Sur l'atteinte à l'état civil des personnes, nous sommes d'accord, mais que recouvre l'entrave à l'exercice de la justice, mentionnée à l'article 434-23 du code pénal ?

Sont encore concernés le faux et l'usage de faux, visés à l'article 441-1, le faux commis dans un document délivré par une administration publique, visé à l'article 441-2, la détention frauduleuse d'un tel document, visée à l'article 441-3, le faux en écriture publique, visé à l'article 441-4, le fait de se faire procurer frauduleusement – en conséquence de l'usurpation d'identité – un document délivré par une administration publique, visé à l'article 441-6, et l'établissement d'un faux certificat, visé à l'article 441-7.

J'accepte la fraude au permis de conduire, visée à l'article L. 225-8 du code de la route, et qui relève bien de l'usurpation d'identité, mais la fraude aux plaques d'immatriculation concerne plutôt, quant à elle, l'identité du véhicule, même si, j'en conviens, elle témoigne d'une intention délictueuse ou criminelle. Quant à la mention d'une fausse adresse ou identité aux agents assermentés des transports, bien qu'elle soit un délit, il ne s'agit plus vraiment d'usurpation d'identité.

Enfin la demande indue de délivrance d'un extrait du casier judiciaire d'un tiers, visée à l'article L. 781 du code de procédure pénale, clôt une liste pour l'heure limitative, mais malgré tout inquiétante, car elle déborde très largement le simple cas de l'usurpation d'identité.

Pour lutter contre toutes ces infractions, vous entendez donc constituer ce que le sénateur Pillet, rapporteur de la proposition de loi, appelle le « fichier des gens honnêtes », qui recensera toute la population française au-delà de quinze ans, au fur et à mesure qu'elle renouvellera sa carte d'identité. Il comptera à terme 45 millions d'entrées, soit le plus grand fichier de France ! Or quand je vois, monsieur le ministre, les difficultés que rencontrent vos services avec le STIC, fichier des infractions constatées qui recense plusieurs millions de personnes et qui, d'après les études de la CNIL, comporte 30 à 40 % de données erronées ou caduques, je ne crois pas à la sécurité juridique, mais redoute au contraire l'incertitude.

La seule façon de neutraliser ce fichier effrayant est de revenir à la disposition dite du lien faible, qui permettrait – j'emploie le conditionnel, car il s'agit de techniques nouvelles sur lesquelles nous manquons de recul – d'identifier 99,9 % des cas d'usurpation d'identité sans attenter à la vie privée.

Au contraire, le lien fort rend possible l'identification d'une personne à partir de ses seules empreintes digitales par la consultation du fichier centralisé. On voit ainsi l'usage qui pourrait en être fait, car les « gens honnêtes » laissent leurs empreintes digitales partout, et ni le ministère de l'intérieur ni les services de gendarmerie et de police n'ont pour mission de suivre à la trace les citoyens en empiétant ainsi gravement sur leur vie privée.

Ces démarches intrusives seront aggravées par l'existence d'une deuxième puce, dite commerciale, sur la future carte d'identité biométrique, accessible en lecture aux magasins, aux administrations, et indispensable pour les paiements à distance. Malgré toutes vos dénégations, rien n'empêchera un de ces hackers capables de s'introduire dans des bases aussi sécurisées que celles des ministères, ou même du Pentagone, de faire le lien entre ces deux puces, et nous risquons demain le dévoilement de nos déplacements privés avec la liste de nos achats. Toutes nos craintes seront alors vérifiées : aucun de nos déplacements, aucun de nos actes n'échappera plus à Big Brother !

Certes, les auditions fort complètes que nous avons menées nous ont permis de comprendre les importants enjeux industriels sous-jacents à cette affaire, et nous savons que quelques entreprises françaises – il faut les en féliciter – sont en pointe dans ce domaine, en particulier à l'export, pour monter un système fiable de documents d'identité dans des pays où l'état civil est incertain.

Pour autant, dans notre pays la question se pose différemment. Malgré quelques ratés que le système COMEDEC devrait permettre de corriger, l'usurpation d'identité peut être combattue par des méthodes biométriques plus respectueuses de la protection des libertés individuelles. D'autres grands pays européens n'ont pas fait le choix que vous voulez imposer au Parlement – cela mérite d'être rappelé sans se limiter à votre version un peu partisane de la CMP, monsieur le président de la commission des lois – et le système que vous voulez mettre en place serait unique en Europe par son étendue et ses capacités intrusives.

Vous avez parlé des garanties qu'offre la loi, mais il me revient en mémoire un exemple que nous avons souvent déploré, celui du suivi sociojudiciaire mis en place par la loi de 1998. Réservé à l'origine aux seuls délinquants sexuels, il a été, au fur et à mesure des lois nouvelles, étendu aux incendiaires, puis aux délinquants de droit commun dont la dangerosité est sans commune mesure avec celle des délinquants sexuels. Aujourd'hui, au bout du compte, son efficacité se dans la masse des personnes susceptibles d'y être soumises.

Certes la loi prévoit des limitations par rapport à vos intentions d'origine, mais rien ne nous dit, monsieur le rapporteur, qu'appelé demain à de hautes fonctions – ce que je ne souhaite pas pour l'avenir de notre pays, même si je forme le voeu que vous puissiez continuer à travailler en notre compagnie –,…

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