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Intervention de Thomas Ferenczi

Réunion du 27 mai 2008 à 17h00
Mission d'information sur les questions mémorielles

Thomas Ferenczi :

Devoir de mémoire, droit à l'oubli mentionne par ailleurs à plusieurs reprises ces deux mémoires dont il a été souvent question : la mémoire mélancolique et lancinante d'une part, la mémoire vive ou infinie servant aux combats présents d'autre part.

Les travaux des historiens sont bien entendu indispensables, ne serait-ce que pour ne pas laisser les mémoires partisanes ou communautaires occuper tout le terrain, mais les appels de telle ou telle communauté à la reconnaissance de leur expérience doivent également pouvoir s'exprimer de manière à ce que mémoire et histoire ne s'opposent pas mais se complètent. Les commémorations, qu'elles soient orchestrées par les médias – comme celles concernant Mai-68 en ce moment - ou les pouvoirs publics – déclarations, manifestations, lois, programmes scolaires – doivent servir le même objectif. La lutte contre l'oubli, en outre, peut prendre la forme d'une action judiciaire – que l'on songe au procès de Maurice Papon ou aux commissions de vérité et de réconciliation dans certains pays.

L'expression des politiques me semble on ne peut plus légitime en la matière. Dans Vivre avec de Gaulle, un témoin raconte ainsi une visite du Général au Struthof. Il déclara alors : « Saint-Exupéry avait raison : il est plus difficile d'être un otage que de combattre sous l'uniforme. La déportation est la voie la plus douloureuse de la Libération. Il faudra que les Français s'en souviennent. » Ces questions mémorielles étant toutefois difficiles à manier tant elles provoquent de passions, les pouvoirs publics doivent également faire preuve de prudence et de discernement. Il importe donc de trouver le juste équilibre entre le travail des historiens, les demandes des communautés et les interventions des politiques. Le travail historique doit permettre en particulier d'éviter les amalgames et les surenchères.

Il importe en outre de rechercher le consensus le plus large possible. Cela ne signifie pas qu'il faut rejeter les mémoires minoritaires au motif qu'elles susciteraient des discordes et des polémiques mais qu'il faut tenter de les intégrer, par le débat et la reconnaissance mutuelle, dans une mémoire nationale.

Il faut, enfin, prendre son temps pour que le plus grand nombre possible de citoyens se reconnaissent dans l'ensemble de ces discussions. Lorsque Lionel Jospin a appelé à la réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la Grande Guerre, il a choqué, certes, mais il a eu le mérite de lancer le débat. M. le secrétaire d'État aux anciens combattants, aujourd'hui, envisage me semble-t-il une réhabilitation au cas par cas de ces soldats. De la même manière, souligner le rôle positif de la présence française outre-mer constitue sans doute un message légitime adressé aux Pieds-noirs et aux Harkis, même s'il est exprimé d'une manière contestable, la colonisation étant fondée sur la domination et le déni de l'autre, quels qu'aient été par ailleurs les comportements personnels des colons.

Il est donc difficile de construire une mémoire collective non conflictuelle et je ne suis pas sûr que l'on y parvienne en usant de contraintes légales. Les sanctions pénales contre le négationnisme me laissent ainsi perplexe tant le risque de porter abusivement atteinte à la liberté d'expression est patent. Cette question a d'ailleurs profondément divisé l'Union européenne lors de la discussion d'une décision-cadre sur la lutte contre le racisme et la xénophobie. L'Union a choisi de sanctionner l'apologie ou la négation des crimes contre l'humanité ou des crimes de génocide, en particulier la Shoah, mais les pays scandinaves et la Grande-Bretagne restant très attachés au strict respect de la liberté d'expression, le texte finalement adopté précise que les États ont le choix de ne punir l'apologie ou la négation du génocide que si ce comportement apparaît comme une incitation à la haine et à la xénophobie. Cette législation a le mérite d'introduire un critère laissé à l'appréciation du juge.

Par ailleurs, tout ce qui peut favoriser la construction d'une mémoire européenne sera bienvenu, même si cela ne sera pas facile. Nous savons que les anciens pays communistes sont particulièrement sensibles aux crimes qui ont été commis au nom de cette idéologie mais ils n'ont pas obtenu que ces derniers soient assimilés à ceux du nazisme, le conseil des ministres s'étant contenté d'inviter la Commission à réfléchir à la question de savoir si l'apologie ou la négation de ces crimes pouvaient faire également l'objet d'une législation.

Enfin, il existe à ce jour deux manuels d'histoire communs franco-allemands ; un manuel germano-polonais est également en cours de rédaction. Il s'agit-là, me semble-t-il, d'une bonne façon de construire une mémoire commune.

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