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Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 8 juin 2009 à 21h30
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarylise Lebranchu :

C'est pourtant ce que vous venez de faire !

Vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, par le sujet que j'ai choisi d'aborder. Après quelques mois de retard, vous avez profité de ce décalage pour glisser dans cette loi quelques dispositions qui ne sont pas anodines. Il y a là, me semble-t-il, un exemple supplémentaire de cette attitude « anti-magistrats » qui se manifeste depuis quelques années, et peut-être même une tentative de restriction des libertés publiques.

Parmi ces dispositions figurent les articles 12 à 14 qui traitent du secret de la défense nationale. L'article 12 répond à un vide juridique constaté par le Conseil d'État qui, dans son avis du 5 avril 2007, en appelle au législateur pour régler le manque de cohérence des procédures de perquisition dans des lieux abritant des éléments susceptibles d'être couverts par le secret de la défense nationale.

Le Conseil d'État précise qu'un « juge d'instruction qui confierait par commission rogatoire le soin d'effectuer un acte qu'il est dans l'impossibilité d'exécuter lui-même ne peut conférer à l'intéressé plus de pouvoirs que ceux qu'il tient de ces dispositions ».

Dans notre monde globalisé où la menace est multilatérale et asymétrique, protéger les intérêts suprêmes de la nation est une priorité et une nécessité, nul ne le conteste. On peut cependant se demander si l'extension que vous proposez du secret de la défense répond bien à cette exigence. Sous couvert de bonnes intentions, vous allez trop loin. Le secret de la défense n'est plus une notion maîtrisée, claire et précise en droit. Il peut être invoqué pour tout.

Vos solutions ne sont pas bonnes, car elles créent un profond déséquilibre entre les intérêts de l'administration et le juge. Tout est fait pour empêcher le juge d'accéder à la vérité.

Ainsi, l'article 12 institue d'abord une liste de lieux connus pour abriter des éléments classifiés. Celle-ci est arrêtée par le Premier ministre, mais pas sous le contrôle de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Elle demeure confidentielle, n'est pas susceptible de recours et peut être régulièrement actualisée. Cette brèche laisse la voie libre à des dérives interprétatives, à des ajouts de circonstance. Cette liste pourra fluctuer au gré des inspirations ou des peurs du pouvoir en place.

De même, si la loi était votée en l'état, les conditions d'intervention du juge d'instruction seraient telles que la perquisition perdrait toute efficacité : qu'en reste-t-il, en effet, si une perquisition doit s'arrêter dès que sont invoquées les mentions « secret défense » ou « confidentiel défense », et qu'aucun scellé n'est apposé.

Vous imposez une saisine préalable, par courrier, de la CCSDN, qui fait perdre tout son sens à la perquisition, dont l'efficacité repose en partie sur son caractère impromptu.

Je me réjouis que la commission des lois ait relevé cette dérive et que, dans sa sagesse, elle ait souhaité rétablir un équilibre entre la justice et l'administration, pour garantir l'efficacité des perquisitions. Je me réjouis aussi qu'elle ait adopté notre position en la matière, et j'invite tant M. le ministre que les membres de la commission de la défense à faire preuve de la même sagesse en rétablissant l'équilibre entre les deux intérêts et les deux parties. Sur ce premier point, nous devrions pouvoir, je l'espère, trouver un accord au cours de la discussion des articles.

Mais l'article 12 institue également un nouveau concept : celui de « lieu classifié ». Jusqu'à présent, seuls des fichiers, des données et des documents pouvaient faire l'objet d'une classification. Demain, des lieux divers pourront être classifiés et leur accès sera interdit au juge. La procédure que vous créez le prive de tout pouvoir, puisqu'il ne peut plus accéder aux lieux classifiés. Quand bien même il demanderait à y accéder, il faudrait qu'il sache et qu'il écrive ce qu'il y cherche. Or, comment pourrait-il le savoir, puisque aucune information ne peut lui parvenir sans qu'il se rende coupable de recel d'éléments couverts par le secret défense ? Cet article est donc une usine à gaz qui crée une zone de non-droit sans précédent dans notre histoire.

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