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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 7 décembre 2011 à 15h00
Lien de causalité entre l'exposition aux radiations à la suite d'un accident nucléaire et la maladie ou le décès. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous me permettrez de commencer mon intervention en rendant hommage au travail accompli par notre collègue Paul Giacobbi, dont je veux saluer l'opiniâtreté – il a consacré dix années à ce sujet – et la tempérance – venant de moi, c'est un compliment de poids –, car il a toujours eu le souci de dissocier scrupuleusement la question de la réparation due aux victimes présentant des pathologies radio-induites de celle du choix stratégique de l'industrie nucléaire.

Par ailleurs, il fait le choix de l'efficacité, en optant pour une proposition de résolution. Il s'agit pour lui de collaborer autant que faire se peut avec le Gouvernement afin d'élaborer des dispositions législatives permettant de traiter correctement cette question, qui – les précédents orateurs l'ont rappelé – n'est pas neuve pour nous, puisqu'une loi relative à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires a été votée en janvier 2010.

Cette proposition de résolution s'inspire d'un certain nombre de principes, au premier rang desquels le respect dû aux victimes. Elle se caractérise également par une grande prudence par rapport aux données médicales et statistiques ; une vraie rigueur, tenant compte de l'état des connaissances ; une attitude d'écoute et de dialogue, parce que nous savons que des controverses subsistent – ce qui n'empêche pas la proposition de résolution d'en appeler à la responsabilité de l'État et des institutions publiques, notamment dans leurs rapports avec les citoyens. Je ne nierai pas que cette proposition de résolution est également inspirée par une certaine empathie à l'égard des victimes : quelles que soient les réparations matérielles ou financières que nous pourrons leur consentir, nous ne serons jamais en mesure de leur restituer l'intégralité de leur capital santé.

Notre démarche est donc à la fois une démarche de responsabilité et de solidarité, visant à préserver la dignité des victimes. Cette dignité est, je le souligne, singulièrement mise à mal par les dénégations qui leur sont opposées et qui constituent implicitement autant d'accusations de fraude et de mensonge. Pour notre part, nous proposons de sortir de cette logique de suspicion pour faire le choix de la confiance, qui est l'un des piliers du contrat social, l'État redevenant alors l'institution ayant vocation à protéger les citoyens.

En 1986, la catastrophe de Tchernobyl a été marquée par deux facteurs créant une combinaison infernale : d'une part, le déplacement d'un nuage radioactif, d'autre part, des événements climatiques particuliers, à savoir des pluies abondantes dans plusieurs régions, notamment celles de Nice, du Rhône et de la Corse. C'est cette combinaison qui fait que l'effet radioactif ne peut pas être contesté dans les régions concernées.

La question de l'opportunité de recourir à une stratégie nucléaire dans les domaines civil et militaire donne régulièrement lieu à des débats très vifs – c'est encore le cas en ce moment. Mais ce n'est pas le sujet de cette proposition de résolution. Certes, nous avons des divergences sur cette question, mais notre proposition de résolution, qui a justement pour objet de nous rassembler sur une éthique de la responsabilité et de la transparence, transcende ces divergences.

Je rappelle que les publics les plus exposés, les plus vulnérables, ont été les femmes enceintes de plus de douze semaines et les enfants en bas âge, en qui il est difficile de voir des ennemis de l'État ! Ce sont pourtant ces victimes qui doivent affronter l'institution judiciaire et faire la preuve, alors même qu'elles disposent de moyens bien inférieurs à ceux de l'État, de l'existence d'un lien de causalité entre les pathologies ophtalmiques, thyroïdiennes, cardiovasculaires, respiratoires, cancéreuses, dont elles sont atteintes, et leur présence sur le parcours du nuage – un nuage qui, nous disait-on, n'avait pas franchi la frontière ! Cette situation est profondément injuste, insupportable et aléatoire. Comment accepter de voir des victimes en butte à un appareil d'État montrant de l'hostilité à leur égard ? Par ailleurs, on ne peut rejeter sur le juge ce qui constitue bel et bien une défaillance de la loi : le législateur et le pouvoir exécutif ne peuvent se défausser de leur responsabilité sur la justice.

Le lien de causalité d'origine est établi depuis une dizaine d'années par le Sénat américain, qui a adopté une loi établissant une liste de dix-huit pathologies radio-induites. En France, la loi du 5 janvier 2010 établit une présomption de causalité – qui a, depuis, été assez largement remise en cause dans son exécution – au profit des victimes d'essais nucléaires. À l'époque de Tchernobyl, tous les pays n'ont pas eu l'attitude de dénégation de la France : ainsi, l'Allemagne et l'Italie ont reconnu que le nuage était passé sur leur territoire, et donné des consignes publiques.

Toute la question qui se pose à nous aujourd'hui est de savoir si nous voulons être cohérents avec le contenu de la loi de 2010, qui n'a donné lieu qu'à deux indemnisations sur 632 dossiers déposés ! Autant dire que nous avons mis en place un système d'indemnisation qui n'indemnise personne ! Il y a deux raisons à cela : d'une part, le fonds d'indemnisation n'est pas autonome, mais géré par l'administration du ministère de la défense ; d'autre part, la méthode mise en oeuvre n'est pas efficace, dans la mesure où elle a consisté à réintroduire sournoisement un effet de seuil.

Force est de reconnaître qu'il y a eu faute. Ce n'est peut-être ni le moment ni le lieu de trancher quant aux responsabilités, mais c'est un fait, il y a eu faute, par tromperie ou par négligence, sous l'autorité de certains scientifiques, de fonctionnaires ou de responsables de l'exécutif, et les victimes ont le droit de réclamer réparation. Nous plaidons donc pour l'adoption de cette proposition de résolution qui accomplit un acte de justice, dans le respect de la dignité des victimes, et rappelle que l'État est là pour protéger les citoyens. Nous vous appelons à voter ce texte sans dévier vers des débats inopportuns relatifs à la pertinence du choix stratégique du nucléaire dans l'industrie civile ou militaire, mais en tenant compte du fait qu'en 1986 des défaillances et des négligences, qui pourront éventuellement être appréciées et jugées par ailleurs – certaines l'ont été –, ont exposé des citoyens à des pathologies qui, aujourd'hui, les pénalisent considérablement dans leur vie quotidienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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