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Intervention de Armand Jung

Réunion du 13 décembre 2011 à 15h00
Position abolitionniste de la france en matière de prostitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArmand Jung :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat pour réaffirmer la position abolitionniste de la France en matière de prostitution n'est pas un exercice quelconque ou anodin. Il touche à ce qu'il y a de plus sensible, de plus intime dans notre personne, dans notre humanité, à savoir notre sexualité, notre rapport à l'autre.

Je ne suis pas connu pour être un puritain. Je ne suis animé par aucune considération philosophique ou religieuse. Mais, dans ce débat sur la conception et le sens des relations physiques et sentimentales entre les humains, les mots ont un sens et la sémantique utilisée n'est pas neutre. Dans le journal Le Monde, récemment, Mme Elisabeth Badinter, hélas, laisse entendre que les femmes, pour gagner plus et travailler plus librement, auraient plus intérêt à la prostitution qu'à être « caissières de supermarché ». Dans le même journal, ce qui est rappelé aujourd'hui dans Libération, une responsable du Syndicat du travail sexuel déclare que « certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s'occuper de personnes âgées ».

À partir d'un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable, sans arrière-pensée, tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron et sans horaires. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? Même les milieux les plus réglementaristes que j'ai rencontrés ont reconnu que le libre choix n'était finalement qu'un leurre, une désillusion et, en fin de compte, un désespoir, un désespoir personnel, affectif et parfois physique. Non seulement, dans ce domaine particulièrement sensible, les mots ont un sens – caissières, abattoir, usine –, mais les grands principes auxquels se réfèrent les tenants du réglementarisme sont dévoyés : liberté, égalité, amour. De quelle liberté parle-t-on ? De quelle égalité hommes-femmes ? Et surtout, où est l'affection, où est l'amour censé régir nos relations personnelles et sociales ?

Chers collègues, il n'y a pas de « plus vieux métier du monde », rien n'est écrit, rien n'est inéluctable. Nous ne sommes ni des juges ni des censeurs de la vie sexuelle des uns et des autres, mais nous avons le droit, et même l'obligation, à moins de nous renier, de nous exprimer, d'exprimer notre désapprobation face à la marchandisation du vivant, face à l'exploitation du corps humain, que ce soit pour de la chair à canon, des ventres à reproduire ou du sexe à vendre.

Des intégristes de tous bords veulent dénier au Parlement le droit de légiférer sur des problèmes de société : la bioéthique, la famille, le couple homme-femme. Telle n'est pas ma conception du rôle du législateur, qui doit penser l'éducation de la société dans son ensemble. C'est pourquoi je voudrais saluer le travail réalisé par la mission d'information sur la prostitution en France, présidée par notre collègue Danielle Bousquet et rapportée par Guy Geoffroy. Je voudrais également rendre hommage à l'action menée par de nombreuses associations, notamment à l'action quotidienne sur le terrain du Mouvement du Nid, dont j'ai pu apprécier personnellement la sensibilité et l'efficacité.

Aujourd'hui, où en sommes-nous ? La France se définit toujours comme abolitionniste. En 2003, la loi sur la sécurité intérieure a renforcé l'interdiction de la traite des êtres humains, de la prostitution des mineurs, et introduit le délit de racolage passif. Ce dispositif n'a pas eu les effets escomptés : la prostitution, notamment d'origine mafieuse, est plus que jamais active, les femmes restent les principales cibles, les principales victimes que l'on montre du doigt, mais sans leur tendre la main pour leur venir en aide.

Je demande la suppression de ce délit qui stigmatise uniquement la prostituée. Je souhaite la mise en oeuvre de dispositifs plus dignes pour accueillir ces femmes et leur donner la possibilité et l'espoir d'une autre voie, d'une autre vie.

Alors, que faire ? Je ne peux me résoudre à l'inaction. Au-delà de la réaffirmation de la position abolitionniste de la France, je propose, avec d'autres collègues, de tous bords politiques, que la loi responsabilise le client, au sens pénal du terme, ce qui porterait à l'évidence un coup très dur à la prostitution, à sa légitimité et à son essence même.

Plusieurs pays, en Europe et ailleurs, mettent en oeuvre cette solution. Elle donne des résultats probants. Nous devons nous engager dans cette voie, au nom de nos valeurs communes. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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