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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 13 décembre 2011 à 15h00
Position abolitionniste de la france en matière de prostitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Mes chers collègues, aujourd'hui, à cette tribune, nous affirmons que la France ne doit pas se résigner à ce que des hommes et des femmes soient contraints à vendre leur corps.

Prostitution de rue, prostitution étudiante, prostitution sur internet, trafic d'êtres humains : ces réalités sont les différentes facettes d'un même phénomène.

Cosigné par Marie-George Buffet et Martine Billard au nom du groupe GDR, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous exprimer porte haut et fort la revendication de l'abolition de la prostitution. Il s'agit là d'un combat de longue date pour le parti communiste français.

Dix-sept associations se sont réunies pour porter le projet d'une loi d'abolition, parmi lesquelles ATTAC ou « Choisir la cause des femmes ».

Ce mouvement réclame dans son appel, « Abolition 2012 », la pénalisation des clients, le renforcement de la lutte contre le proxénétisme ou encore la mise en place de politiques publiques d'éducation.

Avec lui, nous pensons qu'il faut supprimer les mesures répressives mises en place par Nicolas Sarkozy à l'encontre des victimes de la prostitution.

Avec ce mouvement, nous militons pour la mise en place d'un système d'accompagnement social – incluant l'accès à la santé et au logement – et l'ouverture de droits effectifs pour toutes les personnes prostituées, y compris étrangères.

Cet appel a été signé par de très nombreuses féministes ainsi que par beaucoup d'élus communistes et du Parti de gauche. Nous pensons en effet que la France doit s'engager plus avant dans le combat abolitionniste.

Ayant ratifié en 1960 la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, notre pays reconnaît la prostituée comme victime d'un système prostitutionnel et le proxénétisme est condamné par la loi.

Mais en dépit de ce positionnement sur la scène internationale, quel a été le signal envoyé ces dernières années ?

La création du délit de racolage passif par Nicolas Sarkozy et sa majorité UMP a concentré la répression sur les prostituées, fragilisant par là même leur rapport aux clients et aux proxénètes.

La loi sur la sécurité intérieure de 2003 a chassé les prostituées des centres urbains et des quartiers résidentiels, où elles risquaient l'interpellation par les forces de l'ordre. Reléguées à la périphérie des villes, elles se trouvent donc fragilisées, à la merci des agressions comme des mafias.

La totalité des associations traitant de la prostitution, qu'elles soient abolitionnistes ou réglementaristes, réclament depuis près de dix ans la suppression du délit de racolage passif. Il est plus que temps d'agir dans ce sens.

Citons le Mouvement du Nid, association très mobilisée pour l'abolition : « Bien qu'excellente, cette proposition [de résolution] n'est pas à la hauteur de nos attentes puisqu'elle ne demande pas l'abrogation immédiate du délit de racolage. Pour nous, c'est le préalable indispensable à la pénalisation des clients que nous demandons par ailleurs. […] La première mesure d'abolition du système prostitueur doit être la suppression de toute forme de répression à l'encontre des personnes prostituées. » Le message est clair.

À ce sujet, mes chers collègues de l'UMP, je me réjouis que vous ayez cosigné cette proposition de résolution et que vous vous apprêtiez à la voter. Je suis certain que vous faites partie de ceux qui, comme nous, s'opposent à l'expulsion des prostituées sans papiers, et qui refusent d'envoyer les polices municipales déloger les filles des quartiers résidentiels. Je suis persuadé que, comme nous, vous n'approuvez pas la commisération et les discours de charité de certains de nos collègues qui prétendent tendre la main aux personnes prostituées tout en leur rendant par ailleurs la vie impossible.

Voter ce texte, c'est prendre un engagement fort. En effet, trois principes y sont développés.

Premièrement, celui de la non patrimonialité et du refus de la marchandisation du corps, auquel nous, communistes, sommes particulièrement attachés.

Que la sphère de l'échange marchand se soit étendue jusqu'aux relations sexuelles, c'est un autre symptôme, une autre preuve des carences du système capitaliste, plus que jamais créateur d'aliénations.

Que le fétichisme de la marchandise ait triomphé au point de faire du vivant et des organes du corps humain eux-mêmes l'objet de transactions, c'est la preuve qu'il nous faut transformer ce système.

Deuxièmement, il s'appuie sur le principe du respect de l'intégrité du corps humain. Nous considérons en effet que la relation prostitutionnelle induit une violence dont sont victimes les prostituées.

Cette violence se matérialise bien sûr par les agressions physiques auxquelles elles sont exposées, mais aussi par les viols, sans parler de la violence invisible, celle des relations contraintes.

Il ne faut pas oublier que les réseaux de proxénétisme n'exploitent pas seulement des femmes, mais aussi des enfants. La France est d'ailleurs signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant qui condamne la prostitution des enfants dans son article 34.

Troisièmement, la présente résolution repose sur le principe de l'égalité entre les sexes. La pierre de touche du combat abolitionniste, c'est de considérer qu'il ne pourra y avoir d'égalité véritable entre les hommes et les femmes tant que la prostitution demeurera. Car la grande majorité des clients sont des hommes et la grande majorité des personnes prostituées sont des femmes.

L'égalité entre les sexes aura beau progresser par les lois, par les actes, dans les mentalités, l'existence des relations de sujétion permises par le système prostitutionnel demeurera une butée, un point d'achoppement empêchant l'achèvement du processus égalitaire.

Il ne peut y avoir d'égalité accomplie entre les sexes sans que soient bannies les possibilités d'emprise mercantile d'un sexe sur l'autre.

Il est à noter que, sur ces fronts, les institutions européennes semblent aller dans la bonne direction. Ainsi, la directive du Parlement européen et du Conseil de l'Europe du 5 avril 2011 a posé les jalons d'un renforcement de la lutte contre la traite dans les pays membres.

Ce texte récent établit des règles minimales pour la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains. Il introduit des dispositions communes pour renforcer la prévention de cette infraction et la protection des victimes. Il prévoit, dans son article 8 que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ». Cela doit être entendu sur tous ces bancs.

Puisque, sur ce sujet, les institutions européennes ne promeuvent pas l'extension infinie du marché, ne boudons pas notre plaisir : c'est suffisamment rare pour être souligné.

Les élus du Front de gauche sont conscients que la pénalisation des clients ne saurait à elle seule éteindre les relations prostitutionnelles et améliorer le quotidien des personnes prostituées. Personne ne se fait d'illusion : il ne suffit pas de décréter l'interdiction des relations tarifées entre adultes pour qu'elles cessent soudainement. Les aliénations qui en sont la racine ne seront pas dissoutes par un texte de loi.

Nous demandons donc que l'État mette en place des politiques d'accompagnement social des personnes prostituées, fondées sur des campagnes de prévention, d'accueil et de réinsertion, sur un renforcement des aides au logement et au retour à l'emploi pour les victimes des réseaux de proxénétisme.

Si nous saluons l'indispensable travail des associations sur ces questions, force est de constater que c'est à l'État que devraient incomber de telles missions.

La revendication d'une aide réelle à la sortie de la prostitution est importante, car, une fois voté le principe d'une pénalisation des clients, que deviendront les personnes prostituées, comment et où vivront-elles ? Il faut organiser concrètement la sortie du régime prostitutionnel et ne pas s'en tenir aux déclarations solennelles.

Ce qui importe, c'est aussi de responsabiliser les clients, afin de faire prendre conscience que leur demande maintient et alimente le système prostitutionnel dans son ensemble. Cette responsabilisation doit se faire de façon intelligente, pour ne pas pénaliser encore plus les personnes prostituées, pour ne pas induire une clandestinisation supplémentaire.

Une chose est sûre, il nous faut lutter contre la résignation, celle qui pousse certains d'entre nous à accepter le phénomène prostitutionnel comme un moindre mal.

Le combat abolitionniste sera long et difficile, il n'en reste pas moins qu'il est la seule voie vers l'émancipation des femmes et des hommes. Il est la condition indispensable du progrès humain véritable.

Vous l'avez compris, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche voteront cette résolution en considérant qu'il s'agit là d'un premier pas, et en regrettant – mais le travail législatif se poursuivra avec nos collègues auteurs de la proposition – qu'elle n'envisage pas clairement la suppression du délit de racolage passif. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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