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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 30 novembre 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Comme toujours en deuxième lecture, le débat se concentre sur l'essentiel, en l'espèce sur l'article 5, coeur de la réforme.

Un clivage s'est instauré à son sujet entre l'Assemblée nationale et le Sénat, avant même que ce dernier ne bascule à gauche. Les sénateurs n'ont accordé que quatre voix à l'amendement de M. Guéant, mais 340 à celui du rapporteur du groupe UMP. Le désaccord porte sur l'architecture du fichier le plus important jamais créé dans le pays, ce qui le distingue d'emblée de tous les autres. Il réunirait des données sur 45 millions de personnes selon notre rapporteur – excusez du peu ! – et 60 millions selon celui du Sénat.

L'existence du fichier n'est plus en débat depuis que, par un arrêt du 26 octobre 2011, le Conseil d'État a validé par anticipation la création d'une base centralisée de données à caractère personnel, alors que le règlement de l'Union européenne ne prévoyait pas la création d'un fichier central biométrique. Son objectif est clairement défini : il s'agit de lutter contre les usurpations d'identité. Dès lors, le désaccord ne porte plus que sur les moyens d'éviter d'éventuels dévoiements. Le Sénat a prévu des garanties juridiques et matérielles pour empêcher matériellement toute dérive, alors que notre rapporteur propose, comme le ministre, de ne pas interdire une éventuelle utilisation judiciaire.

Reste à nous poser deux questions.

Premièrement, la taille du fichier correspond-elle à l'objectif initial de la proposition de loi ? Si les informations retenues sont les plus sûres en termes de lutte contre le délit concerné, leur conservation est potentiellement plus attentatoire aux libertés publiques. La création d'un fichier doit concilier deux principes, la nécessité et la proportionnalité, auxquelles on peut ajouter la finalité, conformément à la loi de 1978 portant création de la CNIL. Pour respecter ces deux critères, le Conseil d'État, qui a instruit pendant trois ans la demande des associations requérantes, a demandé la destruction de 40 millions d'empreintes, jugeant leur collecte « excessive au regard des finalités du traitement informatisé ». Sa position dément l'affirmation de notre rapporteur en première lecture, selon lequel le Conseil d'État jugeait la collecte des données adéquate à la finalité du texte.

Le rapporteur a rappelé combien la quantification des victimes d'une usurpation d'identité est délicate. Si la police et la gendarmerie ont constaté 14 000 faits en 2009, les estimations globales se situent autour de 100 000. Même si la vie des victimes de telles infractions – harcelées par les huissiers, déchues de leurs droits, frappées d'interdiction bancaire – vire au cauchemar, faut-il bâtir un « fichier des honnêtes gens », qui constituera, selon le rapporteur du Sénat, une « bombe à retardement pour les libertés publiques » ? Interrogée par le président du groupe SRC, la CNIL a considéré que la proportionnalité de la conservation centralisée de données numériques à l'objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire n'était pas démontrée.

Deuxièmement, des mesures juridiques suffisent-elles à garantir les libertés publiques ? Nous reconnaissons tous qu'il est nécessaire de protéger la vie privée. Or un dispositif, si solide et si sincère soit-il, ne peut être ni définitif ni absolu. La conservation de données biométriques intangibles, immuables et inaltérables nourrira peut-être un jour des tentations aux conséquences involontaires ou imprévisibles. Le droit seul ne pouvant les écarter, le Sénat a proposé d'instaurer des garanties matérielles. Ces verrous limiteront les risques de dérive sans rien retirer à l'intérêt du texte, qui vise non à chercher l'identité du fraudeur, que l'on connaît dans la plupart du cas, mais à le confondre. En matière de libertés individuelles, mieux vaut pécher par excès que par défaut de garantie.

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