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Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 2 novembre 2011 à 9h30
Cessation de mandat et remplacement d'un député — Recherche et enseignement supérieur

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Fioraso, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques pour l'énergie :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche a toujours été présenté comme une priorité de votre gouvernement, conformément à l'engagement du Président de la République d'y consacrer chaque année 1,8 milliard d'euros supplémentaires. Les effets d'annonce relatifs à de nouveaux moyens affectés à l'autonomie des universités, aux plans campus, au plan réussite en licence, aux investissements d'avenir, n'ont toutefois pas toujours été suivis de résultats et, lorsqu'ils l'ont été, cela a été au détriment du budget courant des universités et des organismes de recherche.

C'est ainsi que les organismes de recherche ont vu leur budget diminuer considérablement depuis quatre ans : le CNRS a subi une baisse de 11 % de ses crédits en 2011 et se voit appliquer un mauvais traitement similaire pour 2012 ; la situation est comparable pour le budget des agences, des organismes et des universités.

Les responsables d'organismes aussi différents que le CEMAGREF, la direction de la recherche technologique du CEA, l'Institut français du pétrole, tous très actifs dans le secteur de l'énergie, ont indiqué lors de leurs auditions qu'ils devaient refuser des partenariats industriels ou des expertises extérieures utiles au développement d'applications dans les secteurs de l'environnement, de la santé, de l'énergie et utiles à la compétitivité de notre économie, faute de pouvoir embaucher des experts de façon pérenne.

D'ailleurs, si les engagements financiers avaient été à la hauteur des annonces, comment expliquer le recul constant de la France dans les classements internationaux ?

Nous sommes passés en dix ans de la sixième, puis huitième et aujourd'hui dix-huitième place mondiale pour l'innovation. La part de la recherche privée dans notre PIB est l'une des plus faibles des pays développés. Loin d'atteindre les 3 % du PIB consacrés à la recherche fixés par la conférence européenne de Lisbonne sur l'économie de la connaissance, nous plafonnons à un peu plus de 2 %, en dessous des 2,28 % de 2002.

Il y a beaucoup de raisons à ce recul : il ne peut pas être imputé à la qualité de notre recherche, qui reste appréciée sur le plan mondial ; il est lié à l'absence d'une politique de fond dans un secteur pourtant capital pour l'avenir de notre économie, donc de l'emploi.

Je me contenterai ici de développer deux points, auxquels il me semble urgent de réfléchir, surtout si nous voulons garder nos emplois industriels, menacés de disparition progressive s'ils ne sont pas tirés vers le haut par l'innovation et, en amont, par la recherche et la formation.

Le premier point, c'est la faiblesse de la part du privé dans les investissements de recherche et développement. Cette part privée reste plus faible que dans d'autres pays comparables, malgré un crédit d'impôt recherche multiplié par quatre depuis 2008 et qui dépasse les 5 milliards d'euros cette année, malgré les pôles de compétitivité, malgré le Fonds stratégique d'investissement.

La raison principale de cette faiblesse, c'est la cible que vous avez privilégiée. Votre cible prioritaire, ce sont les grands groupes du CAC 40, et non les PMI-PME ou les entreprises de taille intermédiaire, celles qui créent des emplois attachés au territoire et plus difficilement délocalisables. Les grands groupes, on le voit bien, ont une logique de plus en plus fondée sur la finance ; ils externalisent une part toujours plus grande leur production, mais aussi de leur recherche – et cela d'autant plus facilement qu'aucune contrepartie aux aides qui leur sont accordées ne leur est demandée.

Au minimum, des contreparties en termes de créations d'emplois, sous forme d'embauches de docteurs par exemple, auraient pu être exigées. Les crédits qui leur sont accordés si généreusement pourraient utilement être réorientés vers les PMI-PME à fort potentiel de développement et les entreprises de taille intermédiaire qui nous manquent tant en France – nous en avons quatre à cinq fois moins qu'en Allemagne, et pourtant elles exportent et créent des emplois.

Je demande donc une mission parlementaire d'évaluation et de contrôle du crédit d'impôt recherche. Il ne s'agit pas de stigmatiser l'ensemble des grands groupes, mais de mettre fin à des pratiques abusives connues, d'encourager les établissements locaux de ces groupes à investir davantage en France, dans des partenariats avec notre recherche publique, et de recentrer le CIR et les autres dispositifs, dont le FSI, sur la pérennisation des entreprises de taille intermédiaire existantes et le développement des PMI-PME à fort potentiel pour en faire des ETI. Les jeunes entreprises innovantes, injustement déstabilisées, s'inscrivent dans cette logique et les exonérations dont elles bénéficiaient doivent, notamment dans le domaine des biotechnologies, être rétablies.

Le second point que je voudrais évoquer concerne l'insuffisance de jeunes d'une même classe d'âge ayant accès à une formation supérieure. En effet, pour sauver notre industrie et créer de nouveaux emplois par l'innovation – je pense notamment à toutes les filières de la croissance verte –, il faut s'appuyer sur une main-d'oeuvre formée, qualifiée, capable de s'adapter aux mutations très rapides d'une économie mondialisée. Or, ce que l'on constate dans notre pays, c'est le nombre très insuffisant de jeunes diplômés de l'université : 25 % d'une même classe d'âge arrive à un niveau équivalent à la licence, contre 45 % par exemple au Danemark.

Ce phénomène se double, comme le soulignent un récent rapport de la Cour des Comptes ainsi que de nombreuses études sociologiques, d'une autre caractéristique : c'est l'accès de plus en plus difficile aux études supérieures pour les jeunes issus de milieu modeste.

Et l'on ne peut que constater l'échec global du plan pluriannuel pour la réussite en licence ; seules 17 % des universités aidées par ce plan ont diminué leurs heures de cours dans des amphis surchargés. Pourtant, tout le monde sait que le gage de la réussite en premier cycle, surtout pour des jeunes dont les parents n'ont pas les moyens de payer des rattrapages extérieurs ou des « prépas » privées, tient à la qualité d'un parcours personnalisé, utilisant des pédagogies diversifiées et adaptées.

L'innovation pédagogique n'est d'ailleurs pas encouragée financièrement dans les universités qui la pratiquent.

Alors, tout cela renvoie, en amont, à la suppression de 67 500 postes d'enseignants en dix ans, mais aussi à une conception dépassée de notre enseignement supérieur, trop cloisonné, sans contacts avec le secondaire, avec des passerelles qui restent à développer entre filières dites courtes – bacs professionnels, bacs technologiques, BTS, DUT – et filières plus longues pour permettre à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, de bénéficier d'études plus longues.

Cela nous permettrait au passage de diversifier nos élites, formées dans des moules uniques, ce qui ne favorise ni la créativité, ni la connaissance pragmatique du terrain pourtant indispensables à une société innovante, entreprenante et créatrice d'emplois.

Avec cinq enseignants pour cent étudiants, l'université française est d'ailleurs celle qui dispose de l'encadrement le plus faible en Europe, à l'exception de la Grèce.

En conclusion, pour toutes les raisons expliquées dans mon rapport pour avis, je ne peux donner un avis favorable à ce budget. Sur les deux points que j'ai développés, l'insuffisance de la part du privé et du nombre insuffisant de jeunes diplômés, je vous remercie à l'avance, Monsieur le ministre, de vos réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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