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Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 12 octobre 2011 à 11h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel, président :

Je suis très heureux d'accueillir ici pour la première fois l'amiral Bernard Rogel, nouveau chef d'état-major de la marine.

Permettez-moi de retracer brièvement les étapes de votre carrière. Vous l'avez commencée, après l'école navale, comme commandant des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Casabianca puis Saphir. Commandant en second de la frégate anti-sous-marine Tourville puis du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) l'Indomptable, vous rejoignez le cabinet du chef d'état-major des armées en 1998. Vous serez ensuite commandant du SNLE l'Inflexible puis adjoint marine au chef de l'état-major particulier du Président de la République de 2004 à 2006. De 2006 à 2009, vous êtes chef de cabinet du chef d'état-major des armées.

Vous devenez le 12 septembre 2011 amiral et chef d'état-major de la marine à un moment particulier : cette année a été en effet particulièrement riche pour notre marine, qui s'est illustrée de manière éclatante au cours de l'opération Harmattan. Elle y a démontré à la fois la valeur de ses équipages, la qualité de sa préparation ainsi que l'excellent comportement de ses équipements. Vous allez nous préciser, amiral, l'effort fourni dans cette opération et nous présenter, naturellement, le projet de budget pour 2012 de votre armée.

Amiral Bernard Rogel. C'est la première fois que j'ai le plaisir et l'honneur de m'exprimer devant les membres de votre commission à l'occasion de l'examen du projet de budget.

Ce rendez-vous annuel est naturellement pour moi un moment privilégié pour évoquer la situation de la marine et je voudrais dire toute l'importance que revêt à mes yeux cette audition par la représentation nationale.

Avant de vous donner mes éléments d'appréciation sur le projet de loi de finances, je souhaite rappeler les engagements de la marine au cours de cette année – qui ne se limitent pas à l'opération Harmattan, en tirer les principaux enseignements et vous présenter les axes d'effort et les grands chantiers de la marine pour 2012.

Sur les douze derniers mois, le niveau de l'activité de la marine nationale a très fortement augmenté en raison de sa participation, aux côtés de nos camarades des autres armées, à de nombreuses opérations combinées.

Si, en 2010, l'activité est restée maîtrisée dans la limite des potentiels alloués, le premier semestre 2011 se caractérise par une augmentation de l'activité globale de 12 % de l'ensemble des bâtiments. Ainsi, ce sont en moyenne 3 170 marins qui ont été engagés dans des opérations extérieures au premier semestre, contre 1 280 pour l'ensemble de l'année 2010. Aujourd'hui, la consommation de potentiel dépasse l'allocation annuelle de plus de 30 % pour le porte-avions, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) et les avions de patrouille maritime Atlantic 2. En bref, nous venons de vivre une période « extra-ordinaire » au sens très littéral du terme, c'est-à-dire très au-delà de l'ordinaire budgétaire prévu.

Cette intense activité opérationnelle se caractérise par un engagement sur de nombreux théâtres. En Océan indien, tout d'abord : de novembre 2010 à février 2011, le groupe aéronaval y a été déployé, renforçant considérablement les moyens prépositionnés dans cette région. Il a ainsi apporté un soutien précieux aux opérations en Afghanistan.

Je rappelle que l'un de nos bâtiments participe à l'opération Enduring Freedom de lutte contre le terrorisme depuis octobre 2001. D'avril à août 2011, nous avons d'ailleurs assuré le commandement de la Task Force 150.

Notre participation à l'opération Atalanta se traduit aussi par la présence permanente d'une frégate et d'avions de patrouille maritime pour la lutte contre la piraterie. Nous avons dû également renforcer notre dispositif à l'occasion du commandement français de la Task Force 465 d'août à décembre 2010 et, ponctuellement, lors des périodes d'inter-mousson, plus favorables aux pirates, comme c'est le cas en ce moment.

En Afrique, au Sahel, nous avons participé aux opérations antiterroristes de septembre 2010 à avril 2011, avec un dispositif qui a compté jusqu'à trois Atlantique 2, un Falcon 50M et huit équipages.

En Côte d'Ivoire, je souhaite insister sur le rôle déterminant du BPC – et du TCD (transport de chalands de débarquement) qui lui a succédé – pour l'opération Licorne. Resté 63 jours à la mer, sans toucher terre, il a apporté un renfort de troupes essentiel et discret. Grâce à sa polyvalence, de nombreux flux de matériel et de personnel ont été programmés, alors que la logistique par voie aérienne et terrestre était devenue très difficile.

En Méditerranée, nous sommes engagés, depuis le 23 février 2011, dans l'opération Harmattan. Par son caractère littoral et son intensité, cette opération a nécessité un niveau d'engagement exceptionnel de l'ensemble des composantes de la marine.

Nos unités ont appareillé en quelques jours, voire en quelques heures. Cet exercice de vérité nous a permis de mesurer notre réactivité, mais aussi notre capacité à mener des opérations de haute intensité, exigeant un niveau de coopération interarmées, inter-composantes et interalliée, dont très peu de marines sont aujourd'hui capables.

Jusqu'à présent, 29 bâtiments se sont succédé au large de la Libye pour assurer la permanence du volet naval de notre engagement militaire, contrôler l'espace aéromaritime, opérer des missions de renseignement et conduire des frappes coordonnées impliquant des avions de chasse, des hélicoptères, des avions de patrouille maritime et des bâtiments de surface en appui-feu naval. À lui seul, l'engagement du groupe aérien a permis d'effectuer 1 573 missions de guerre, tandis que les hélicoptères d'attaque de l'aviation légère de l'armée de terre ont effectué une quarantaine de raids à partir du BPC.

Cette opération n'a pas mobilisé seulement les équipages mais l'ensemble de la marine, tant dans le domaine des ressources humaines que dans celui du maintien en condition opérationnelle (MCO) et de la chaîne du soutien.

Les missions de combat, que je viens d'évoquer, ont été menées de manière concomitante à nos missions permanentes même si, et j'y reviendrai, il a fallu faire des choix pendant cette période. En effet, la marine nationale agit au quotidien pour défendre les intérêts de notre pays avec toutes ses composantes et dans chacune des autres fonctions stratégiques que sont en premier lieu la dissuasion, mais aussi la connaissance et l'anticipation, la prévention, la protection et l'intervention.

La dissuasion demeure la garantie fondamentale de notre sécurité. La marine y participe grâce à la permanence à la mer de la force océanique stratégique et la capacité de la force aéronavale nucléaire (FANU) à partir du porte-avions.

Pour les autres missions permanentes, je voudrais citer quelques exemples. Dans la lutte contre le narcotrafic dans l'arc antillais, cinq navires ont été déroutés et près de neuf tonnes de cocaïne saisies. En matière de lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte en provenance des Comores, 2 236 migrants et 132 passeurs ont été interceptés. La police des pêches, qui représente plus de 1 000 jours de mer et 200 heures de vol, a contrôlé plus de 3 000 navires et en a dérouté près de 50. La recherche et le sauvetage en mer ont permis de sauver un peu moins de 400 vies. Je peux enfin signaler le remorquage d'urgence de neuf navires en difficulté et la vingtaine d'escortes réalisées.

Je voudrais maintenant revenir sur l'opération Harmattan. S'il est évidemment trop tôt pour en dresser le bilan final, puisque la crise n'est pas terminée, je souhaite m'y arrêter car cette opération est déjà riche d'enseignements significatifs.

Tout d'abord, elle a amplement validé et confirmé les grandes orientations capacitaires, actuelles ou futures, retenues pour la marine. Elle a aussi souligné l'indispensable complémentarité interarmées pour les opérations de projection « d'entrée en premier » et d'action vers la terre.

Elle a notamment montré la remarquable efficacité, la fiabilité et la polyvalence du Rafale marine, la justesse de nos choix pour le BPC qui ont conduit à privilégier la fonction « porte-hélicoptères d'assaut », la forte implication des frégates et des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) dans l'action vers la terre et notre capacité de frappe dans la profondeur (missile SCALP, complété demain par le MDCN).

Elle a également conforté la valeur de notre modèle de préparation opérationnelle, grâce aux trois principes de notre socle organique renforcé : un niveau de disponibilité opérationnelle homogène au sein de la flotte, qui a permis d'engager sans délai la plupart des bâtiments de premier rang ; une grande polyvalence de nos bâtiments et de nos équipages qui peuvent changer de mission sans difficulté ; un professionnalisme orienté vers la combativité des équipages grâce à un entraînement permanent et exigeant.

Enfin, cette opération a aussi confirmé la pertinence des choix qui ont conduit à conserver des savoir-faire classiques tels que l'appui-feu naval (85 engagements en tir contre terre), l'intérêt des déploiements réguliers de groupes navals constitués qui favorisent la capacité des forces à être engagées sans délai ainsi que l'importance de la mobilisation organique dans les domaines des ressources humaines et de la logistique, pour répondre, dans la durée, au besoin opérationnel et effectuer des relèves régulières.

Elle a également mis en évidence l'intérêt des drones tactiques embarqués, la nécessité d'une mise à niveau des pods de désignation et de l'extension du spectre d'emploi des armes sur le Rafale marine dans le cadre d'un conflit urbain, l'intérêt d'une artillerie navale optimisée pour le tir contre la terre.

Mais ce fort engagement a conduit à arbitrer entre les opérations. Toutes les demandes, notamment certaines prévues par le contrat opérationnel de la marine, n'ont pu être honorées.

Parmi les plus significatives, je citerai notamment l'interruption de la présence d'Atlantique 2 en Océan indien suite aux déploiements au Sahel puis en Libye, alors que la piraterie ne faiblit pas, l'absence de SNA en Atlantique pendant quatre mois, la réduction de la présence en Océan indien à un seul bâtiment de surface à compter du mois de juin, le gel de la mission Corymbe dans le golfe de Guinée en juillet 2011 ainsi que l'annulation de deux missions sur quatre de lutte contre le narcotrafic en Méditerranée.

Enfin, la disponibilité des forces n'a pu être maintenue qu'au prix d'une tension extrême sur nos moyens de soutien. À titre d'exemple, à peine trois mois après le début des opérations, les taux de prélèvements de pièces sur les bâtiments avaient augmenté de 300 %, la permanence d'une frégate de défense aérienne de type Horizon en état opérationnel a, en pratique, nécessité la mutualisation d'équipements entre les deux frégates (32 prélèvements mutuels sur des composants majeurs comme les conduites de tir, le radar de veille aérienne et la propulsion).

Tout ceci démontre que le format de notre marine est aujourd'hui juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays.

Nos moyens ont été sollicités de manière exceptionnelle et requièrent aujourd'hui toute notre énergie pour le maintien et la régénération de notre potentiel. Mon premier souci sera donc d'assurer le meilleur emploi des ressources.

Cette année, le niveau d'activité de la plupart de nos grands bâtiments de combat a excédé très sensiblement les normes de la loi de programmation militaire (LPM). Il a induit un surcroît de dépenses inhabituel, évalué à moins de 100 millions d'euros sur les périmètres du MCO naval et aéronaval. L'abondement des ressources par la dotation OPEX sera donc déterminant pour l'équilibre de la gestion 2011.

Les ressources du projet de loi de finances sont en légère hausse par rapport à celles de 2011. Elles se partagent essentiellement entre le titre 2 (environ 1,46 milliard d'euros hors compte d'affectation spéciale pensions) et l'entretien programmé du matériel (1,34 milliard d'euros). Cette répartition situe les grands enjeux physico-financiers du budget opérationnel de programme (BOP) et met en évidence mes deux grandes préoccupations au plan budgétaire.

La maîtrise de la masse salariale tout d'abord. Elle se heurte à une sous-dotation classique qui, en cette période de grandes transformations, pourrait obérer les effets des revalorisations catégorielles et de la réforme des retraites. Un travail approfondi est mené depuis plusieurs mois sur les régimes indemnitaires. Nécessaire, il doit néanmoins être poursuivi avec précaution car il pèsera sur le moral et l'attractivité des carrières.

Ma deuxième grande préoccupation est celle de la maîtrise des coûts du MCO sans sacrifier la disponibilité des équipements. Cette dernière est fragile, vous le savez : s'agissant de la flotte de surface, si la disponibilité des plateformes a atteint un niveau satisfaisant et s'y maintient (environ 70 %), la disponibilité des systèmes d'armes reste insuffisante. Un plan d'actions ciblé, mis en oeuvre avec le service de soutien de la flotte (SSF) et les commandants de force, s'attache à y remédier. Les SNA ne peuvent être soutenus qu'au prix d'un gel d'activité de ces bâtiments pendant neuf mois avant leur entrée en longue période d'entretien. Enfin, la disponibilité des aéronefs (environ 50 %) peine à se redresser.

Par ailleurs, il convient de ne pas oublier les infrastructures portuaires qui doivent être adaptées pour accueillir les frégates multimissions (FREMM) et les Barracuda. De même, la refonte des installations électriques des ports de Brest et Toulon, la poursuite de la modernisation des infrastructures de l'Île Longue et la réorganisation de la base aéronavale de Lann-Bihoué – pour accueillir les équipages de la base de Nîmes-Garons – sont autant de chantiers importants lancés dans un contexte budgétaire contraint.

Cet effort de maîtrise des coûts, dans le périmètre budgétaire confié à la marine, doit être mené dans un contexte de réformes qui est aussi l'un des grands défis à relever par la marine, comme par les autres armées.

La marine poursuit et consolide la transformation en s'assurant de l'adhésion de son personnel. Elle prend notamment part aux évolutions du commandement organique outre-mer, des espaces et des zones maritimes, de la fonction garde-côtes, dont la mise en place, il y a tout juste un an, représente une avancée très significative.

2011 a vu également l'aéronautique navale faire évoluer son format et ses implantations – fermeture de deux bases d'aéronautique navale et de deux établissements d'aéronautique navale, tout en menant à bien les premières externalisations de soutien de flottes particulières – F10 et Xingu – ainsi que l'adossement au service industriel de l'aéronautique (SIAé).

Les trois années qui viennent verront l'échelon central de la marine rejoindre le site de Balard et le commandement s'organiser en conséquence.

Ces réformes s'accompagnent d'une déflation des effectifs sans précédent qui se traduit pour la marine par la suppression de 6 000 emplois entre 2008 et 2015. Il s'agit d'atteindre un modèle défini à 32 000 marins militaires et 3 000 civils sans compter les 5 000 marins militaires employés en dehors de la marine. Un tiers de la déflation est lié au regroupement des capacités opérationnelles – les équipages des frégates vont passer de 350 à une centaine avec l'arrivée des FREMM, un autre tiers correspond aux rationalisations décidées.

Dans un tel mouvement, rendu compliqué par la réforme des retraites qui vieillit le personnel en poste et ralentit l'avancement, c'est toute la diversité des métiers de marins qui est en jeu. À cet égard je m'attacherai tout particulièrement à maintenir les compétences et les savoir-faire de la marine (53 métiers, dont certains gérés en microflux, notamment les atomiciens) et à maintenir les flux de recrutements et de départs. Cette transformation est résolument engagée et les choix faits par la marine sont orientés, en priorité, vers les forces opérationnelles et leurs équipages. Car ma préoccupation première reste bien le moral de nos équipages. Il est primordial. On ne fait pas un tel métier, avec de telles contraintes, sans être heureux.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait qu'en 2012, la marine va poursuivre avec détermination l'effort d'adaptation qu'elle a entrepris depuis 2008. Je suis aujourd'hui à la tête d'une marine de premier rang, efficiente et réactive qui permet à notre pays de répondre aux enjeux de sécurité et de défense de notre pays dans un monde qui se mondialise, donc se « maritimise ». Cette marine, elle l'a démontré dans les mois qui viennent de s'écouler, est bien équipée, bien entraînée et vous pouvez compter sur les forces morales de ses femmes et de ses hommes dont l'unique but est de servir notre pays. Mais cela n'a pas été sans arbitrage et mon souci majeur, à l'issue d'une période d'activité intense, est de gérer les sollicitations opérationnelles et les moyens disponibles.

Ma mission est de mettre à la disposition du chef d'état-major des armées une marine équilibrée, polyvalente, prête à faire face rapidement à toute sollicitation pour répondre aux ambitions de sécurité et de défense de notre pays, protéger ses intérêts en mer comme à terre, promouvoir ses valeurs et l'aider à remplir ses obligations internationales. Soyez sûrs de ma détermination à remplir ces objectifs, sous les ordres du chef d'état-major des armées et l'autorité du ministre de la défense.

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