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Intervention de Jean-Jacques Guillet

Réunion du 5 octobre 2011 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet, rapporteur :

Dans ce rapport, nous avons souhaité aller au-delà des questions nucléaires et géopolitiques, qui sont elles aussi traitées, naturellement, en approfondissant l'étude de la situation politique, économique et sociale de l'Iran. Contrairement à la Mission précédente, nous n'avons pas effectué de déplacement dans le pays, craignant que l'accueil des autorités iraniennes ne soit doublé d'un encadrement de notre programme qui nous aurait empêchés de mener des investigations utiles. Nous avons donc tiré nos informations de nombreuses auditions à Paris et dans les villes où nous nous sommes rendus, Moscou, New York et Washington, Londres et Vienne. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'Iran avait des forces et des faiblesses, mais que ces dernières l'emportaient actuellement, tant au plan politique qu'au plan économique.

La situation intérieure iranienne peut être qualifiée de « bipolaire » au sens où elle est marquée par la conjonction d'un champ politique clos issu de la révolution islamique et d'une société qui a beaucoup changé au cours des dernières décennies, la distance entre les deux étant apparue au grand jour à l'occasion des événements de juin 2009, même si les manifestations étudiantes de 1999 puis les mouvements sociaux actifs pendant la présidence de M. Khatami en étaient les premiers témoignages.

Depuis la révolution islamique et surtout depuis la fin de la guerre Iran-Irak, le pays a connu une urbanisation rapide, s'éloignant rapidement de la société rurale que le Chah voulait moderniser par sa « révolution blanche », et la société présente désormais des caractéristiques occidentales, en matière d'éducation (le taux d'alphabétisation est très élevé, le pays compte 2 200 universités, le nombre d'étudiants a explosé et la part des femmes atteint 60 % parmi eux), de place de la femme (éduquées, les femmes ont acquis une place importante dans le monde du travail, représentent 30 % des fonctionnaires, ont développé des mouvements féministes et une presse féminine), d'utilisation des techniques de l'information (38 % des Iraniens sont des internautes, contre 28 % des Turcs, dont le pays est pourtant plus développé économiquement), de modes de vie (qui sont « mondialisés », sinon occidentalisés).

Mais, dans le même temps, la classe politique est restée fermée sur elle-même, animée par des luttes de pouvoir déconnectées à la fois des aspirations de la société et de la réalité du monde extérieur. Il est clair que l'accession à la fonction de guide suprême de l'ayatollah Khamenei, dont la légitimité religieuse et politique est très inférieure à celle de l'ayatollah Khomeiny, a contribué à attiser les luttes pour le pouvoir, qui étaient déjà très visibles sous la présidence de M. Khatami et le sont plus encore depuis l'arrivée au pouvoir de M. Ahmadinejad. Ce dernier a été réélu en juin 2009 dès le premier tour, à l'issue d'un scrutin entaché de fraudes massives, mais il aurait très bien pu être élu au deuxième tour si le scrutin s'était déroulé normalement. Les fraudes visaient certainement à conférer une légitimité incontestable à sa réélection ; elles ont eu l'effet inverse, sapant encore plus la position du Guide, qui en étaient à l'origine, et accentuant les luttes entre clans. Celles-ci ont atteint une visibilité nouvelle depuis le printemps dernier, autour de nominations de ministres, en particulier celle du ministre en charge du pétrole, mais aussi sur des questions de fond, comme le rôle de l'Iran dans le monde.

Le pouvoir repose actuellement sur trois pieds : le Guide, qui est à la tête de l'armée, des Gardiens de la révolution et de la politique étrangère du pays, le président de la République, qui utilise régulièrement son pouvoir de désignation pour placer des proches aux postes clés du régime, et le corps des Gardiens de la révolution, dont la légitimité s'est forgée pendant la guerre Iran-Irak, qui contrôle la quasi-totalité de l'économie, en dirigeant à la fois les entreprises publiques et celles qui ont été privatisées et forme ainsi une classe de privilégiés très attachés au maintien du système. Des experts nous ont indiqué que, en cas de décès du Guide, les Gardiens de la révolution obtiendraient probablement la nomination d'un homme de faible envergure qui se contentera de servir leurs intérêts.

Progressivement, la République islamique issue de la révolution de 1979, qui avait des attributs démocratiques réels, s'est transformée en un régime proche de l'Union soviétique de Léonid Brejnev, entré dans une phase de glaciation à l'issue incertaine car menacé d'implosion par le centre.

Au plan économique, l'Iran est un pays riche dont les atouts sont peu exploités. Deuxième producteur mondial de pétrole, il tire 70 % de ses revenus de la rente pétrolière. Ses autres produits d'exportation sont encore les tapis et les pistaches, ce qui témoigne de son faible degré d'industrialisation, qui contraste avec le développement industriel de la Turquie. Les industries sont rares, même si certaines sont françaises ! Les exportations de pétrole sont nécessaires à la survie du régime : le budget de l'Etat repose actuellement sur un baril de brent à 80 dollars ; comme celui-ci est actuellement à 100 dollars, le pays, qui est en équilibre budgétaire, garde des marges de manoeuvre, mais son développement est lent. Alors qu'il possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz, il en est importateur net, faute d'investissements suffisants dans ce secteur. L'ensemble du secteur des hydrocarbures aurait besoin de 150 milliards de dollars d'investissement au cours des cinq prochaines années, niveau qui ne pourra être atteint en l'absence des grandes compagnies occidentales, que les sanctions des Nations unies empêchent d'intervenir en Iran ; les compagnies chinoises, qui ne sont pas aussi respectueuses de ces sanctions, ne sont pas très pressées d'investir en Iran et elles ne détiennent pas toutes les technologies, comme celle du gaz naturel liquéfié (GNL) dont le pays a besoin. Je signalerai le récent raccordement au réseau électrique de la centrale nucléaire de Busher, la première du pays : un parc nucléaire civil contribuerait aussi à mettre l'Iran en position d'exporter du gaz.

Le pays est en outre confronté à la question de l'utilisation de sa rente pétrolière, et de sa redistribution. Comme souvent dans les pays pétroliers, l'Iran a longtemps pratiqué le subventionnement des produits de première nécessité et de l'énergie. Le Président Ahmadinejad a engagé un programme de réformes économiques qui incluait la création d'une taxe sur la valeur ajoutée, la hausse de la taxe sur le commerce et la suppression des subventions en cinq ans. La pression des bazaris a conduit à l'abandon du premier chantier et à la limitation de la taxe sur le commerce, mais le désubventionnement a commencé, même si le régime a eu la prudence d'accorder au préalable une aide directe aux personnes les plus modestes. Cette aide ne compensera pas intégralement les surcoûts et les conséquences sociales de la mesure sont incertaines, bien qu'elle soit rationnelle du point de vue économique. On peut aussi légitimement s'interroger sur l'utilisation qui sera faite de l'économie (de plusieurs dizaines de milliards de dollars) que cette réforme va générer : alimentera-t-elle la corruption si répandue dans le régime ? financera-t-elle l'aide de l'Iran à des mouvements étrangers comme le Hezbollah ? contribuera-t-elle à l'accélération du programme nucléaire ?

Avant de conclure sur la situation intérieure, je dirai un mot de la présence des entreprises françaises en Iran : Peugeot, dont l'Iran est le deuxième marché mondial après la France, Renault, Carrefour, qui y emploie 1 200 personnes, Systra, Legrand sont implantés en Iran et en sont satisfaits. Dans la mesure où leurs activités restent à l'écart du champ des sanctions (c'est-à-dire les technologies ou produits d'usage dual et le secteur des hydrocarbures), leur maintien est souhaitable, notamment pour préparer l'avenir.

Au final, alors que le Président de la République est vivement critiqué, en particulier sur le faible rythme de la croissance, qui reste inférieur à 1 %, et que le risque social est important, la situation est très fragile dans ce pays déchiré entre une société prête à l'ouverture et des systèmes politiques et économiques qui n'ont pas évolué avec elle.

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