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Intervention de Sandrine Mazetier

Réunion du 6 octobre 2011 à 9h30
Urbanité réussie de jour comme de nuit — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

L'évolution des modes de divertissement nocturnes a fait apparaître de nouveaux lieux hybrides, tour à tour restaurants, salles de spectacle, d'exposition, de danse. J'ai choisi, compte tenu de ces évolutions et de leur absence de prise en compte, de traiter deux questions ciblées.

La première est celle de la régulation du commerce sur le domaine public. Le sujet est connu : des terrasses de plus en plus nombreuses, qui font le charme de nos villes, l'animation de nos rues, mais peuvent aussi entraîner des installations qui débordent sur le trottoir, gênant, voire empêchant, la circulation des piétons, des personnes à mobilité réduite, des poussettes, et qui créent de surcroît une distorsion de concurrence insupportable entre une majorité d'exploitants respectueux de leur droit de terrasse et une minorité d'exploitants indélicats. Or, face à des situations d'occupation illégale de la voie publique, les outils existants sont, dans les faits, insuffisants, inadaptés et donc peu utilisés.

Les contraventions de police, forfaitaires, sont d'un montant de seulement 35 euros. Les quelques contraventions de voirie routière sont, quant à elles, prononcées par le tribunal de police, au terme d'une longue procédure. La préfecture de police a d'ailleurs estimé qu'elles ne dépassaient pas, en pratique, 500 euros.

Aussi cette proposition de loi confère-t-elle au maire une nouvelle compétence pour mettre en demeure la personne responsable d'une installation en infraction de mettre celle-ci en conformité, et ce, passé un certain délai, sous astreinte.

Je ne reviens pas sur le détail du dispositif, étudié en commission et présenté dans mon rapport. Je rappelle simplement que le montant de l'astreinte est fixé par le conseil municipal, selon un barème qui permet la prise en compte du réel : caractère répété ou non de l'illégalité, adaptation du montant de l'astreinte au préjudice commercial subi, selon la commercialité de la zone.

D'aucuns ont fait part, en commission, la semaine dernière, de leurs doutes quant à la constitutionnalité de cette mesure, invoquant même des dérives possibles. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des articles, mais je voudrais déjà indiquer qu'il n'est pas illégitime de confier à une autorité administrative et non juridictionnelle le pouvoir de prononcer des astreintes. C'est déjà le cas de la procédure prévue dans le code de l'environnement en cas de publicité ou d'enseignes illégales. C'est le cas aussi du dispositif de la proposition de loi de notre collègue Sébastien Huyghe visant à lutter contre les marchands de sommeil, adoptée par notre assemblée en novembre dernier sans que personne y trouve rien à redire ni que quiconque prononce même le mot de « Constitution ».

Je redis aussi que l'astreinte ne constitue pas une sanction au sens juridique du terme. Juridiquement, l'astreinte s'analyse davantage comme une mesure destinée à mettre fin à un comportement donné. L'objectif poursuivi est bien de dissuader l'intéressé de demeurer dans une situation illégale.

La critique semble avoir également porté sur l'intervention du conseil municipal. Sur ce point, je rappelle que le maire reste seul compétent pour prononcer l'astreinte. Il le fait sur le fondement d'un barème encadré par la loi. L'article 2 prévoit un montant maximum, et je propose par amendement d'ajouter un minimum.

La délibération du conseil municipal fixant ce barème serait-elle inconstitutionnelle ? Il me semble, au contraire, qu'elle apporte de nombreuses garanties. Cette délibération sera publique, collégiale et soumise, en outre, au contrôle de légalité de droit commun. L'information de tous avant même qu'une illégalité soit commise est donc assurée : les règles du jeu seront connues.

De même, l'équité de la mesure est, elle aussi, garantie puisque l'astreinte sera proportionnée à l'illégalité. Ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel ni celle du Conseil d'État ne s'opposent à ce que des traitements différents soient appliqués à des situations différentes. C'est le cas, par exemple, en matière de droits de stationnement, où les communes appliquent des tarifs différents selon les zones d'une même ville.

Enfin, il n'y a en rien substitution du conseil municipal aux tribunaux. Ceux-ci gardent leurs compétences de droit commun pour prononcer, le cas échéant, des astreintes, des contraventions, mais on ajoute, en amont, aux instruments existants, insuffisants et inefficaces, une possibilité complémentaire, plus adaptée aux réalités de terrain, plus dissuasive, plus efficace.

Cela n'est pas, bien sûr, synonyme d'absence de dialogue ; je proposerai, d'ailleurs, tout à l'heure, un amendement sur la médiation, autre instrument indispensable.

La seconde question est celle du développement de nouvelles formes de divertissement nocturne.

La question du « vivre ensemble », comme on l'appelle parfois, est certes souvent affaire de bonnes pratiques ou d'ordre réglementaire. Il reste que, sur un certain nombre de points, il revient à la loi de définir de nouvelles règles, voire d'initier la réflexion. Il est essentiel de donner une reconnaissance aux lieux et aux acteurs qui, de jour comme de nuit, font la vie de la cité, de favoriser ces bonnes pratiques, les solutions qui tendent à la médiation, les adaptations réglementaires, bref, une forme d'intelligence collective dans la résolution ou la prévention des litiges.

Cette proposition de loi crée une nouvelle infraction : l'abus de recours aux numéros d'urgence pour tapage nocturne. Sur ce sujet aussi, les débats en commission ont montré qu'il pouvait y avoir méprise : il ne s'agit pas de systématiser la répression mais, au contraire, de privilégier les actions de médiation via les commissariats lorsque c'est possible, sans passage par les numéros d'urgence. Cette disposition pourrait d'ailleurs être utilement complétée par la désignation, dans chaque commissariat, d'un « référent bruit », afin que les plaintes ne demeurent pas lettre morte, au grand désespoir des riverains de bonne foi. C'est ce qu'ont préconisé nos collègues Philippe Meunier et Christophe Bouillon dans leur rapport d'information sur les nuisances sonores.

Par ailleurs, le présent texte prévoit deux mesures destinées à favoriser l'évolution de la réglementation applicable aux établissements à vocation nocturne : la remise par le Gouvernement au Parlement d'un rapport sur les conditions de sécurité dans ces établissements, car les règles sont aujourd'hui inadaptées au caractère hybride de certains lieux que j'évoquais ; l'expérimentation d'une durée d'autorisation d'ouverture de nuit de six mois, s'agissant de la première demande, car il est nécessaire de ne pas borner de manière excessive l'horizon d'un établissement à vocation nocturne qui commence son activité.

J'ajoute que je présenterai un amendement sur une autre question importante, celle de l'information des personnes s'installant dans un nouveau logement urbain, s'agissant de l'exposition aux bruits diurnes et nocturnes de ce logement. Sur ce sujet délicat, il est essentiel de lancer au moins la réflexion.

Je voudrais, pour conclure, vous inviter à considérer, loin des clivages partisans, la réalité de ces questions de terrain. Les échanges que nous avons eus sur le sujet à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la protection des consommateurs ont suscité le même intérêt, et ce sur l'ensemble des bancs. La commission a rejeté un peu hâtivement cette proposition de loi. Une fois de plus, pourtant, les débats ont montré qu'elle soulève de vraies questions, et nous avons été nombreux au groupe socialiste, mais aussi dans les rangs de la majorité, à estimer que les solutions proposées vont dans le bon sens. J'invite chaque parlementaire à se saisir de ces outils nouveaux au service de la prévention, du dialogue, de la promotion des bonnes pratiques. Cette proposition de loi correspond à de réelles préoccupations de nos concitoyens et à celles des acteurs économiques, sociaux ou culturels qui manquent de la considération qui leur est due.

Je le dis solennellement : l'un des poisons de la vie publique dans notre pays, c'est l'impuissance déclarée de l'action publique à résoudre les problèmes et à apaiser les conflits, et, plus encore, de ne rien faire pour s'en donner les moyens. Cette proposition de loi est un de ces moyens. Elle n'est pas celle d'un camp politique contre un autre, mais une réponse à des questions que doivent affronter l'ensemble des formations politiques républicaines.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous demande d'adopter cette proposition de loi et les amendements que m'ont inspirés les auditions, pour une urbanité réussie, de jour comme de nuit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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