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Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 5 juillet 2011 à 15h00
Régulation du système de distribution de la presse — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le marchand de journaux est un acteur du lien social ; il anime un lieu de sociabilité et de rencontres irremplaçable.

Un kiosque qui ouvre ou qui renaît, c'est un nouvel espace et une chance pour l'exercice de la démocratie. Vous l'aurez compris, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui revêt à mes yeux une signification culturelle et politique non négligeable : à l'ère de l'« entre-soi », souvent analysé par les travaux des sociologues, c'est un signal fort en faveur de la culture de l'écrit, de la proximité, qui doivent pouvoir garder toute leur place face à l'avènement de ce que certains appellent une « société des écrans ».

Vous examinez, mesdames, messieurs les députés, une proposition de loi sur un sujet qui est au coeur des préoccupations des professionnels de la presse et des pouvoirs publics : l'amélioration du système de distribution de la presse écrite dans notre pays, qui doit redonner la vitalité indispensable à un réseau de vente au service d'une offre pluraliste et diversifiée.

Malgré le développement récent de nouveaux modes de diffusion de l'information sur des supports numériques, la presse n'a pas abandonné – loin de là – le support papier. Il demeure un support essentiel de diffusion des idées et des opinions auprès de chacun de nos concitoyens, notamment ceux qui n'ont pas accès à internet, ou tous ceux qui restent très attachés au support physique. La matérialité du papier pose la question de la viabilité économique de sa distribution. Vous le savez, celle-ci est encore en grande difficulté malgré les efforts conjugués de l'État et de la profession.

Le recul des ventes de la presse réalisées par les diffuseurs de presse en 2010 est particulièrement préoccupant. Pour prendre un exemple, les ventes au numéro de la presse quotidienne ont reculé de plus de 8 % en 2010 ; en 2009, la diminution avait été de 5,3 %. Cette forte baisse s'explique non seulement par la disparition de nombreux titres de presse, touchés de plein fouet par la crise – trente-sept ont disparu en 2010 –, mais aussi par la diminution du nombre comme de l'activité des points de vente de la presse au numéro, plus particulièrement les points de vente spécialisés.

Après s'être redressé en 2009, le réseau des points de vente a enregistré à nouveau un solde négatif de 455 en 2010. Ce recul se conjugue malheureusement à une tendance à l'appauvrissement de l'offre, puisque les créations se sont surtout concentrées sur les points de vente complémentaires à offre réduite, dont le volume d'affaires représente en moyenne un dixième de celui d'un vendeur spécialisé.

Globalement, l'activité du réseau de la vente est en diminution de plus de 6 % toutes messageries confondues, avec un décrochage de près de 8 % pour les quotidiens et un fléchissement de 4,4 % pour les magazines. Le recul persistant des ventes ne fait ainsi qu'ajouter à des difficultés inhérentes au système français.

Les origines de ces difficultés ont été examinées dans le détail à l'occasion des états généraux de la presse écrite. Elles sont essentiellement liées à un déséquilibre dans la répartition de la valeur entre les différents niveaux de la chaîne de distribution : messageries de presse, dépositaires régionaux, diffuseurs.

Comme j'ai souvent eu l'occasion de le rappeler à la profession, nous nous attachons à poursuivre une politique volontariste en faveur des diffuseurs de presse, dont le développement reste une des conditions prioritaires du redressement des ventes de la presse. Je prendrai pour exemple le soutien exceptionnel de l'État aux diffuseurs spécialisés, que mes services s'apprêtent à reconduire. Ou encore le plan de développement des kiosques, commerce culturel de proximité par excellence, puissant outil en faveur du lien social, qui a conduit à la signature, le 22 mars dernier, d'une convention entre le ministère de la culture et de la communication, le Conseil supérieur des messageries de presse et l'Association des maires de France. Son objectif est de parvenir à la création en France de 300 nouveaux kiosques en trois ans, pour une progression d'environ 40 %.

La revalorisation du métier de diffuseur reste l'objectif prioritaire du Gouvernement. Ce dernier est au coeur de la relation que les éditeurs de presse entretiennent avec leurs lecteurs. Son rôle dans ce lien si singulier, dans ce véritable pacte de lecture entre la presse et ses lecteurs, ne peut être envisagé indépendamment de la question de la distribution de la presse dans son ensemble.

La modernisation de la distribution de la presse vendue au numéro et son indispensable régulation s'inscrivent dans le cadre du système coopératif instauré par la loi Bichet du 2 avril 1947. Ce fut l'un des grands chantiers des états généraux de la presse écrite qui se sont tenus d'octobre 2008 à janvier 2009.

En clôturant les états généraux le 23 janvier 2009, le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une réforme ambitieuse de l'instance de régulation. Cette dernière devait se traduire dans la révision de sa composition, de ses compétences et le renforcement de son indépendance. Il a alors demandé à M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, de lui remettre des propositions dans ce sens.

Dans son rapport, Bruno Lasserre recommandait la création d'une autorité administrative indépendante sous la forme d'un collège resserré de cinq membres, seul cadre adapté permettant selon lui d'exercer à la fois une mission de régulation sectorielle efficace et une mission de règlement des différends non contestable.

Dans le schéma préconisé, les membres du collège n'avaient aucun lien avec les intérêts du secteur. Les professionnels ne devaient intervenir qu'au sein de commissions consultatives statutaires et de groupes de travail pour préparer les décisions de l'instance collégiale. Le choix d'une autorité administrative indépendante traduisait clairement un ancrage de la régulation dans la sphère publique, indépendante à la fois de l'État et des entreprises concernés par la régulation. Si ce choix représentait une réelle innovation pour le secteur de la distribution de la presse, il ne l'était pas au regard du mode de régulation adopté dans des secteurs aussi différents que l'audiovisuel à travers le Conseil supérieur de l'audiovisuel, les télécommunications et les postes à travers l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'énergie à travers la Commission de régulation de l'énergie, ou les marchés financiers à travers l'Autorité des marchés financiers.

La profession dans son ensemble a cependant exprimé ses réticences à l'égard de ce mode de régulation. Elle l'estimait susceptible de déstabiliser un secteur déjà fragilisé. Elle le considérait comme un frein dans la mise en oeuvre des réformes importantes engagées par la profession sous l'égide du Conseil supérieur des messageries de presse à l'issue des états généraux de la presse écrite.

Selon la profession, la régulation du secteur par une seule autorité administrative indépendante dans laquelle le pouvoir de décision et l'expertise échapperaient aux éditeurs ne constituerait pas la meilleure réponse face aux évolutions, qu'elle considère pourtant indispensables, du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau.

Sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, la concertation s'est donc poursuivie entre les éditeurs et le Conseil supérieur des messageries de presse afin de définir une voie médiane, une position équilibrée, tenant compte à la fois des recommandations du Livre vert des états généraux de la presse écrite et des préconisations du rapport de M. Bruno Lasserre.

Cette voie médiane de régulation du secteur est plus sage et plus respectueuse des équilibres qui ont été à l'origine du développement de la presse ces cinquante dernières années, en contribuant à l'irrigation des quotidiens et des magazines d'information sur l'ensemble du territoire. C'est cette voie que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat s'est proposée de suivre dans la proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse présentée par son président, M. Jacques Legendre. C'est également de cette solution que vous allez débattre aujourd'hui.

Elle associe étroitement un collège professionnel, le Conseil supérieur des messageries de presse rénové, et une autorité administrative indépendante, en donnant une définition précise des missions et des compétences de chacun. Elle entend répondre au souhait de la profession de conserver son indispensable expertise sur la régulation de la distribution de la presse. Elle entend aussi répondre à la nécessité d'un contrôle objectif des décisions de l'instance professionnelle et d'un arbitrage des différends par une autorité indépendante.

Le Sénat est ainsi parvenu à un texte équilibré, à l'issue d'une large concertation qui a permis à tous les acteurs du secteur de faire valoir leurs positions. Je tiens à rendre hommage à la commission des affaires culturelles et de l'éducation de votre assemblée qui a oeuvré pour que cette recherche d'équilibre puisse être approuvée également à l'Assemblée nationale, dans les termes votés par le Sénat. Cette proposition de vote conforme révèle le souci du Parlement de voir cette nouvelle organisation de la distribution de la presse entrer en application dès que possible, sans risquer d'être repoussée par le calendrier des différentes échéances politiques et électorales qui approchent.

Vous l'aurez compris, mesdames, messieurs les députés, j'apporte mon plein soutien à cette démarche en vue d'une meilleure régulation du système de distribution de la presse.

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