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Intervention de Guy Teissier

Réunion du 29 juin 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Teissier, président :

Avant de commencer cette séance, je veux rendre hommage à Cyrille Hugodot, parachutiste du 1er régiment de chasseurs parachutistes, qui a été tué ce samedi 25 juin au cours d'un combat avec les insurgés dans le secteur de Tagab en Kapisa. Il était arrivé en Afghanistan le 25 mai dernier. Nous partageons le deuil de sa famille et de ses camarades et nous avons bien entendu une pensée pour tous les soldats qui se trouvent encore actuellement en Afghanistan.

Nous accueillons ce matin le chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud, à qui je souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue.

Le nouveau décès au sein de notre armée porte à 63 le nombre de soldats tombés en Afghanistan depuis la fin 2001.

La Présidence de la République vient d'annoncer que la France va engager un retrait progressif des troupes, de manière proportionnelle et selon un calendrier comparable au retrait des forces américaines.

Amiral, pouvez-vous nous dire, concrètement, la forme que prendra ce retrait ?

Par ailleurs, quelle est la situation sur place ? Quels sont les progrès que vous pouvez mesurer s'agissant de la formation et de l'efficacité de l'armée afghane ?

Je souhaiterais également que cette audition soit aussi l'occasion de faire un point général sur la situation des opérations extérieures (OPEX), sachant que le général Paloméros nous a présenté, ici même, il y a quelques jours le travail de ses pilotes de l'armée de l'air en Libye. Une délégation de la commission s'est également rendue à Solenzara, il y a à peine quelques semaines pour rencontrer nos pilotes.

Après ce tour d'horizon des OPEX, il serait utile que vous évoquiez la réorganisation du ministère. Quel sera finalement le nombre de bases de défense ? Des chiffres différents ont circulé et, même si « la réforme se fait en marchant », il serait naturel que nous ayons maintenant d'avantage de précisions.

Il nous faudrait aussi un aperçu de la situation budgétaire du ministère et tout particulièrement un premier bilan des recettes dites exceptionnelles pour cette année. Nous aimerions bien les voir se concrétiser.

Amiral Édouard Guillaud, chef d'état–major des armées. C'est toujours un plaisir pour moi de m'exprimer devant la représentation nationale pour faire part de mes préoccupations. Préoccupations qui sont aussi les vôtres, comme vient de le confirmer votre propos monsieur le Président. Et qui sont également celles des citoyens français soucieux de leur défense et de leur sécurité.

Je commencerai évidemment par les opérations. Je vous ferai ensuite un bref rapport d'étape sur notre transformation et puis enfin bien sûr j'évoquerai le « nerf de la guerre », c'est-à-dire les contraintes de nos ressources budgétaires.

Commençons par les opérations. Aujourd'hui nous avons plus de 27 000 militaires français déployés hors de métropole, pour assurer notre défense et notre sécurité. La moitié d'entre eux, 13 500 sont engagés dans des OPEX. À titre de comparaison ils n'étaient que 9 000 le 1er janvier dernier. Si l'on regarde sur les quinze dernières années on tourne sur une moyenne de 10 000 environ, puisque les opérations démarrent, certaines se terminent, mais il y en a toujours de nouvelles qui débutent.

Et il ne faut pas oublier les 2 500 militaires qui, au quotidien, sont engagés dans ce que nous appelons des « missions socle », socle au sens du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui sont les missions liées à la dissuasion nucléaire, à la posture permanente de sûreté aérienne, à la sauvegarde maritime ou encore bien sûr à Vigipirate sans oublier naturellement, les opérations devenues malheureusement permanentes, car les circonstances nous y obligent, de lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, de lutte contre les trafics illicites – nous avons sur les neuf derniers mois saisi neuf tonnes de drogue dans les Caraïbes et en Méditerranée – de protection du centre spatiale guyanais ou bien encore les interventions ponctuelles de nos forces en soutien des services publics. Tout le monde se souvient de la récente catastrophe qui a touché Draguignan ; de même nous allons sans doute fournir une aide pour le transfert de foin pour les éleveurs à la suite de la sécheresse des mois passés.

Toutes ces opérations sont ordonnées par le président de la République, chef des armées, commandées par le chef d'état-major des armées et mises en oeuvre par l'état-major des armées.

L'évolution à la hausse de ces chiffres traduit à mon sens une évidence et une exigence, avec une conséquence.

L'évidence, c'est l'imprévisibilité des crises et donc la fragilité de la situation internationale. Les révolutions arabes nous l'ont rappelée.

Pour l'exigence, c'est l'impérieuse nécessité d'avoir l'outil de défense de nos ambitions pour assumer à la fois notre sécurité, notre rang et nos responsabilités sur la scène européenne et internationale.

J'observe, à cet égard que la réciproque est vraie : si notre outil de défense diminue, nos ambitions, mécaniquement, diminuent également.

Enfin la conséquence de cette évidence et de cette exigence nous conduit à faire le choix d'un modèle d'armée qui soit complet, cohérent, réactif, flexible et – ce que les derniers événements nous ont fortement rappelé – un modèle qui soit associé à un positionnement géographique qui appuie nos ambitions.

C'est cet outil de défense qui nous a permis d'intervenir dans la crise des otages au Sahel en quelques heures ; d'évacuer les ressortissants français mais aussi étrangers de Côte-d'Ivoire, du Japon à la suite du tsunami qui a frappé l'archipel ; de soutenir le président légitimement élu, M. Ouattara ; ainsi que de sauver Benghazi in extremis d'un massacre.

Avec cet outil, nous sommes capables de peser sur la scène internationale et d'assumer nos responsabilités de façon simultanée sur six théâtres différents. Peu de pays sont capables d'intervenir simultanément sur six théâtres à la fois. Quels sont ces théâtres d'opérations ?

Je vais commencer par l'actualité immédiate avec la Libye. L'opération Harmattan, représente le volet français de l'opération de l'OTAN baptisée Operation Unified protector (OUP). La France avec 8 navires fournit un tiers des bâtiments, 80 % des hélicoptères d'attaque, c'est-à-dire 18 hélicoptères au total, 30 % de l'aviation de combat, autrement dit 40 chasseurs dont 23 de l'armée de l'air et 17 de l'aéronavale et enfin 20 % des avions de soutien, c'est-à-dire aussi bien des avions ravitailleurs, que des avions de transport, ainsi que des avions de patrouille maritime. Ce dispositif nous permet de réaliser plus de 30 % des frappes de la coalition et permet de confirmer le rôle moteur de notre pays.

La France consent donc un effort militaire conséquent au sein de l'OTAN, en coordination étroite, avec nos alliés britanniques.

Je considère que la situation évolue favorablement, bien que trop lentement peut-être, et que le point de rupture du régime reste difficilement prévisible.

Nous avons porté et nous continuons à porter des coups sévères aux forces du colonel Kadhafi : je vous le disais, nous avons évité le massacre de Benghazi, nous avons stoppé l'offensive sur Misratah, nous avons également empêché la répression contre les populations berbères du djebel Nafoussa, qui se situe dans la chaîne montagneuse à une centaine de kilomètres au sud de Tripoli.

Les forces du colonel Kadhafi sont affaiblies ; l'attrition est lente, trop lente sans doute, mais elle est régulière. Les gains du Conseil national de transition (CNT), bien que limités, sont réels. Les forces de l'opposition s'organisent mais elles ne sont malheureusement pas encore en mesure d'exploiter tous les bilans de l'OTAN et de la coalition.

C'est pour cette raison que la coalition doit poursuivre son effort. Mais une fois encore, le temps opérationnel et le temps diplomatique ne sont pas le temps médiatique.

L'Afghanistan est le deuxième théâtre que vous avez évoqué, monsieur le Président.

À la suite des récentes décisions politiques concernant notre début de retrait de ce théâtre, nous planifions dès aujourd'hui la mise en oeuvre opérationnelle du désengagement.

Avec 4 000 hommes déployés, nous avons fait des progrès significatifs en matière de contrôle effectif de notre zone de responsabilité, notamment dans la zone verte de la vallée de Tagab, celle dans laquelle un de nos camarades est mort la semaine dernière, et qui est désormais sous notre contrôle permanent avec tous les risques associés.

Néanmoins, l'insurrection est affaiblie : globalement dans notre zone le nombre d'accrochage a diminué ; les insurgés se tournent davantage vers des modes d'action du type IED (engin explosif improvisé) et vers les attaques suicides. Vous avez sans doute noté qu'il y a une dizaine de jours, dans la capitale de la province de Kapisa une tentative d'attentat suicide s'est produite, peu de temps avant l'arrivée de notre ambassadeur.

En revanche, les avancées s'agissant de la gouvernance et du développement sont encore limitées. J'estime néanmoins que la situation générale dans la zone française permet d'envisager le début de la transition en Surobi dès l'automne 2011.

Le Liban est le troisième théâtre sur lequel nous sommes engagés, dans des conditions différentes. Aujourd'hui notre contribution à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), représente 1 350 hommes. Elle constitue depuis la réorganisation de la FINUL la réserve du Commandant de la force, alors que jusqu'au mois de décembre dernier nous occupions une zone territoriale.

L'essentiel des objectifs de la résolution 1701 est désormais atteint avec l'arrêt des combats depuis cinq ans et le retour des forces armées libanaises (FAL) au sud Liban. Il s'agit à présent de réfléchir à la suite, parce que la dégradation de la situation régionale et la complexité de l'échiquier sécuritaire militent pour sortir d'un immobilisme pernicieux.

Cela passe évidemment par une accélération du processus d'autonomisation des FAL. Cela passe également par une coopération renforcée, avec l'aide de nos partenaires internationaux, pour permettre aux FAL d'être réellement autonomes, notamment dans le sud Liban. Comme vous le savez elles sont assez régulièrement redéployées plus au nord de la zone couverte par l'ONU, en raison de la situation sécuritaire, notamment intérieure.

La Côte-d'Ivoire représente le quatrième théâtre d'opérations pour nos troupes, qui fort heureusement est en train de baisser en intensité.

Le traitement général de la crise ivoirienne est un exemple particulièrement intéressant d'une stratégie globale qui a parfaitement fonctionné.

Je note l'application effective du chapitre VII par l'ONU ; je note également une parfaite coordination politique, diplomatique et militaire. Au final, je remarque que cet ensemble a permis l'étouffement diplomatique du régime de Laurent Gbagbo depuis la tenue du deuxième tour des élections présidentielles en décembre dernier. In fine un emploi de la force extrêmement ciblé, limité dans l'espace et dans le temps a permis de conduire à la sortie de cette crise. Parler de «frappes chirurgicales » me paraît ici parfaitement justifié.

Je mentionne aussi la pertinence de notre dispositif pré positionné qui a permis l'emploi optimisé de nos capacités militaires et nous a donc épargné de longs et coûteux transferts depuis la métropole, qui se seraient révélés déstructurants.

Évidemment la fin de cette crise nous permet d'envisager le retrait d'une grande partie de la force Licorne.

Néanmoins comme le ministre de la défense l'a annoncé, nous allons entamer des négociations avec la Côte-d'Ivoire afin de conclure un accord militaire. En effet, à la demande du président Ouattara, une force française d'environ 250 hommes restera sur le camp de Port-Bouët. Elle permettra, d'une part, d'assurer la sécurité de nos ressortissants qui reviennent s'installer en Côte-d'Ivoire, et plus particulièrement à Abidjan, et d'autre part, elle aura pour mission, à la demande des autorités ivoiriennes, de former la nouvelle armée ivoirienne.

La piraterie dans l'océan Indien représente pour nos troupes un autre théâtre d'opérations, ou plus exactement une crise permanente.

Le phénomène est contenu même si les origines du mal sont toujours au sein d'États faillis que nous connaissons bien. De réels efforts de la communauté internationale ont été conduits pour une meilleure synergie entre les nombreux acteurs que sont notamment l'ONU, l'Union européenne, l'OTAN, mais aussi une task force américaine, ainsi que des forces chinoise, indienne, ou russe.

Cet engagement est appelé à durer tant que l'on ne se sera pas attaqué aux racines de la piraterie. Et ces racines sont à terre. Le traitement juridique des pirates malgré quelques avancées est encore trop limité. En France, les derniers décrets d'application de la loi votée en début d'année dernière vont sortir et tout sera prêt pour la fin de l'été, mais il reste beaucoup à faire sur le plan international.

Le Kosovo, bien que se situant au coeur de l'Europe, est un théâtre d'opérations dont nous parlons moins.

Les progrès politiques ont permis la réduction de la force de l'OTAN à deux bataillons multinationaux. La France y participe avec 300 hommes dans le cadre de la brigade franco-allemande. Normalement nous devrions désengager nos unités de combats en 2012, et ne plus participer à cette opération qu'avec quelques officiers insérés dans l'état-major de la KFOR.

Il s'agit désormais pour nous de réfléchir à une meilleure intégration des efforts dans la région sous la tutelle de l'Union européenne. La principale mission menée actuellement au Kosovo est la mission baptisée EULEX, sécuritaire, avec des gendarmes et des policiers, mais aussi judiciaire avec un certain nombre de magistrats. Elle est dirigée par un Français qui est un général en retraite qui fut d'ailleurs auparavant commandant de la KFOR.

Je souhaiterais à présent faire trois remarques générales sur les opérations.

Première remarque, elles se caractérisent par leur grande diversité et leur complexité avec la variété et l'urgence des capacités et des modes opératoires à mettre en oeuvre.

Deuxième remarque, ces opérations sont des succès sur le terrain. Ces succès, nous les devons d'abord aux femmes et aux hommes des armées. J'observe qu'ils sont bien formés, bien entraînés, bien équipés et surtout, qu'ils possèdent ces forces morales qui font toute leur valeur. Et c'est bien cette valeur qui est aujourd'hui reconnue et appréciée dans le monde entier. Ces succès, nous les devons aussi à notre chaîne décisionnelle particulièrement réactive et efficace et à l'utilisation pragmatique de nos forces pré positionnées. Ils sont aussi les fruits du maintien de notre effort de défense, et ce même pendant la crise financière. Ce ne sont pas seulement les entrées en service de matériels majeurs, comme le Rafale, le Tigre ou les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) mais aussi tous les équipements acquis depuis 2008 dans ce que nous appelons la procédure des urgences opérationnelles.

Contre la morosité ambiante, c'est un motif de satisfaction. Il ne s'agit pas de dire que tout va bien et de nier nos difficultés, mais il y a des succès dont nous pouvons nous féliciter. Les armées peuvent être légitimement fières de ce qu'elles ont accompli et accomplissent depuis plus de six mois.

Troisième remarque, ces opérations nous imposent une véritable endurance opérationnelle. Nous devons en tenir compte dans la préparation de nos forces et dans les budgets consentis. C'est ce qui se trouve dans le terme de « résilience » dans le Livre blanc.

Je voudrais avant de terminer sur les opérations évoquer tous les engagements dont nous parlons un peu moins : nos engagements sur le territoire national.

J'évoquais au début de mon propos les 2 500 soldats qui veillent en permanence sur notre souveraineté nationale ; je vais vous donner quelques chiffres complémentaires qu'il est nécessaire de conserver à l'esprit.

Ainsi, en raison des inondations qui ont durement frappé Draguignan, nous avons mis sur cette zone du 16 juin au 8 juillet 2010, environ 600 hommes par jour en moyenne, et 800 au pic de la crise, avec 20 engins du génie, 11 hélicoptères et un avion de patrouille maritime.

De même à l'occasion du sommet du G3 à Deauville qui s'est tenu les 18 et 19 octobre 2010 et réunissait des chefs d'États et de gouvernements étrangers, 400 militaires ont été mobilisés dans le cadre d'un dispositif de sécurité maritime et de sécurité aérienne.

Nous avons également contribué au profit du tribunal spécial pour le Liban (TSL) à la reconstitution de l'attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri avec environ 200 de nos militaires.

En outre à l'occasion de l'épisode neigeux de décembre 2010, une centaine d'hommes et vingt camions ont été mobilisés, et 13 500 rations ont été distribuées.

Il faut également rappeler que le sommet du G8 qui s'est tenu à Deauville du 12 au 30 mai 2011 a nécessité plus de 1 000 hommes par jour en moyenne, et 2 330 hommes pendant les deux jours du sommet. Cet événement a également mobilisé trois M2000, 17 hélicoptères, un drone Harfang, 30 camions, trois engins du génie, sans compter l'ensemble des moyens maritimes.

Je pourrais poursuivre avec nos engagements des mois à venir en évoquant notamment HEPHAISTOS qui commence le 1er juillet prochain ; comme tous les ans, la lutte contre les feux de forêts mobilise 300 hommes. Ou encore le mariage du prince de Monaco qui va mobiliser 450 hommes, puisque la présence de chefs d'État à cet événement impacte directement notre espace maritime et notre espace aérien. Le prochain G20 qui se tiendra à l'automne à Cannes nécessitera 1 000 hommes en moyenne, sans compter « l'imprévisible imprévu » qui ne manque jamais de nous surprendre.

Pour conclure sur l'emploi opérationnel de nos forces armées que ce soit en OPEX ou sur le territoire national, je ferai une dernière remarque : pour la première fois depuis 60 ans, nous sommes confrontés à un triple phénomène : la simultanéité d'un taux d'engagement particulièrement élevé, de contraintes budgétaires importantes et une transformation sans précédent dictée tant par la mise en oeuvre du Livre blanc que par la révision générale des politiques publiques. Par le passé nous avions déjà dû faire face à deux de ces trois phénomènes combinés, mais aujourd'hui nous devons continuer d'oeuvrer en supportant de façon concomitante ces trois phénomènes. Nous parvenons à remplir nos missions, nous remplissons notre contrat. C'est, je crois, un véritable tour de force à mettre encore une fois au crédit du personnel de la défense, à sa volonté de réussir, à son dévouement et à son sens opérationnel. C'est là un autre motif de satisfaction.

La transformation de nos armées est conduite avec discrétion, dans l'ordre et la discipline, qui sont notre marque de fabrique. Mais ce n'est pas parce que cette transformation n'est pas fortement médiatisée qu'elle se fait sans labeur ni douleur.

Quelques chiffres vous permettront de bien mesurer les efforts entrepris par nos armées, alors même que nous soutenons un effort opérationnel conséquent. Cette année, plus de 50 000 personnes connaîtront une mobilité géographique et fonctionnelle avec la dissolution de cinq régiments, de cinq états-majors de l'armée de terre, d'une base aéronavale, et de deux bases aériennes. Nous aurons également le retrait du service d'un escadron de chasse et de trois bâtiments de guerre de la Marine. Nous verrons aussi 122 transferts d'unités.

Dans le même temps, les bases de défense montent en puissance, elles sont toutes officiellement créées depuis le 1er janvier dernier, et le 1er juillet prochain près de 89 % des effectifs auront déjà rallié leur poste. Le système devrait être stabilisé en 2012 avec le déploiement attendu des principaux systèmes d'information qui permettront la rationalisation voire la dématérialisation des procédures. Cette phase de transition est sensible et fragile à la fois.

En effet 20 000 postes sont encore à supprimer d'ici à 2015 : ce sera une phase plus compliquée parce que ces déflations ne seront plus la conséquence de dissolutions d'unités mais bien de la rationalisation de notre fonctionnement, notamment pour les métiers du soutien. Ces déflations vont aussi dépendre du déploiement de nouveaux systèmes d'informations et des infrastructures adaptées.

Notre difficulté principale sera d'atteindre cette cible de déflation dans le respect du format défini par le Livre blanc, en tenant compte également des mesures nouvelles intervenues depuis 2008 comme la création de la base aux Émirats arabes unis, mais aussi la montée en puissance indispensable de la cyber défense, ainsi que le maintien de certains sites qu'il n'était pas initialement prévu de maintenir. C'est-à-dire l'équivalent de 4 000 postes supplémentaires. Il faudra de plus tenir compte des effets de la loi sur les retraites.

Naturellement, nous devons aussi ne pas obérer l'avenir et pouvoir nous adapter à la révision prévue du Livre blanc de 2012. Ces éléments que j'évoque devant vous sont des facteurs supplémentaires de déséquilibre et de fragilité, notamment pour le moral des armées.

Et celui-ci est inégal. Le moral des troupes déployées en opérations est excellent. Ces hommes et ces femmes font leur métier, ils ont la priorité en termes d'équipements et de maintien en condition opérationnelle (MCO). Si vous interrogez le personnel en garnison, leur moral est mitigé. Il dépend du degré d'impact des restructurations, des réformes en cours et des difficultés du MCO. Enfin, c'est dans les échelons centraux qu'il est le plus bas. En effet les officiers d'état-major aux prises quotidiennes avec la complexité de la transformation et les contraintes budgétaires sont ceux qui vivent le plus difficilement ces réorganisations. Il y a un climat de morosité, qui est en partie, paradoxalement contrebalancé par le fait que nous remportons des succès en opérations extérieures,.

Enfin je terminerai par la situation actuelle de la programmation militaire.

La loi de programmation militaire (LPM) de la période 2009-2014 a traduit des ambitions reposant sur le principe simple suivant : les marges de manoeuvre acquises grâce à notre transformation – tant en termes de masse salariale, que de fonctionnement – devaient être réinvesties dans les programmes de renouvellement des équipements.

Mais cette programmation reposait aussi sur des hypothèses budgétaires avec des ressources gagées sur la masse salariale, sur des ressources exceptionnelles et sur les exportations de nos fleurons technologiques comme le Rafale. Au bout de presque trois années d'exécution, elles ne se sont pas concrétisées. Les recettes exceptionnelles ne sont pas au rendez-vous au rythme et à la hauteur de ce qui était prévu. Il en est de même des exportations, avec néanmoins quelques réussites, comme les bâtiments de projection et de commandement (BPC).

Cette situation a rigidifié notre programmation et aujourd'hui nos marges de manoeuvre sont nulles, à ambitions constantes. De plus, la crise financière de 2008 a imposé une nécessaire maîtrise des déficits publics.

Cela s'est traduit concrètement par une triple pression. Tout d'abord, sur le fonctionnement courant avec un impact direct sur le fonctionnement des bases de défense. Ensuite sur les conditions de notre préparation et de notre endurance opérationnelles avec un impact sur notre « rapidité de régénération ». Enfin une pression, sur le renouvellement de nos équipements : c'est sans doute l'un des enjeux majeurs puisque cela affecte la réalité de notre modèle d'armée et donc la viabilité de nos ambitions affichées sur la scène internationale. Aujourd'hui, je ne connais pas la future trajectoire des ressources : elle dépendra de notre santé économique et financière et des décisions politiques à venir. L'année 2012 est à la croisée des chemins de la programmation militaire. Elle combine des échéances électorales majeures, l'actualisation du Livre blanc, et la révision de la programmation militaire (LPM pour la période 2013-2018).

Le maintien à niveau comme le renouvellement de nos capacités militaires nécessite, sur le long terme, une préservation de l'effort de défense. La question se pose de savoir si nous aurons la volonté de consentir cet effort pour disposer d'un outil de défense cohérent et complet. La réponse ne m'appartient pas. En revanche, je connais l'Histoire et ses « surprises stratégiques ». Nous pouvons être surpris et nous le serons ; mais nous n'avons pas le droit d'être démunis.

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