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Intervention de Annick Girardin

Réunion du 22 juin 2011 à 15h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette intervention a été préparée par ma collègue Sylvia Pinel qui ne peut être présente aujourd'hui.

La justice de notre pays n'a sans doute jamais connu d'aussi grande crise que celle qu'elle traverse actuellement, et ce depuis quelques années. Sous-dotée en moyens et en personnel, elle peut de moins en moins assurer sa mission. La raison ? Un budget très faible, classant la France au trente-septième rang européen, ainsi qu'une politique gouvernementale qui se trompe de priorités et multiplie frénétiquement les projets de loi contradictoires et trop souvent inspirés de faits divers.

Bâti dans la hâte, ce projet n'a fait l'objet d'aucune évaluation préalable ni de la moindre concertation, notamment avec les professionnels du droit, qui n'ont jamais demandé cette réforme soumise en force au Parlement par le biais de la procédure accélérée. C'est qu'en l'occurrence ne compte que l'affichage médiatique.

Réformer la procédure d'audience et la justice des mineurs n'aura d'autre conséquence que de ralentir et d'alourdir le fonctionnement de notre justice.

À commencer par la création des citoyens assesseurs, appelés à siéger dans les tribunaux correctionnels aux côtés des magistrats. Qui seront-ils ? Des citoyens tirés au sort qui, comme nombre de jurés d'assises, faiblement rémunérés, iront à reculons siéger au tribunal.

Le point le plus préoccupant est la méconnaissance juridique dont ils souffriront ; il est permis de le penser, la majorité d'entre eux ne bénéficiant que d'une très courte formation. Vous proposez, dans ce texte, une journée de formation pour maîtriser la procédure et le droit pénaux. Pensez-vous, monsieur le garde des sceaux, que juger puisse s'apprendre en une seule journée ? Juger est un métier, qui exige des connaissances et une expérience acquises sur le long terme. Votre argument consiste à avancer que les citoyens assesseurs seront cantonnés à des domaines spécifiques, les violences, les vols avec violence, les agressions sexuelles, afin d'exclure de leur compétence les affaires qui nécessitent connaissances juridiques et expérience, comme les délits d'initiés, les affaires de corruption, les scandales financiers.

Ne craignez-vous pas de créer ainsi une justice correctionnelle à deux vitesses, l'une requérant la présence du peuple, pour des actes portant une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays, comme le prévoit votre texte, et l'autre pour des actes tout aussi graves mais sans citoyens assesseurs parce que plus techniques ? Ce qui reviendrait à dire que les magistrats qui jugent des affaires complexes ne seraient pas aptes, seuls, à en juger de plus simples.

Pire, vous proposez d'écarter de nos juridictions des citoyens qualifiés reconnus pour leurs compétences juridiques, sociales et médicales, puisque, en matière d'application des peines, qui exige un suivi spécifique du condamné, le représentant de l'association d'aide aux victimes et le représentant de l'association de réinsertion, qui interviennent aux côtés des magistrats, seront remplacés par deux assesseurs citoyens non spécialisés. Pourquoi remplacer des citoyens qualifiés par d'autres tout simplement tirés au sort ? Pensez-vous réellement que la participation de non-professionnels permettra de répondre aux enjeux centraux pour notre société que sont l'application des peines, la lutte contre la récidive et la réinsertion ?

Conséquence : un inéluctable alourdissement de l'activité des juridictions, qui devront former en une journée ces citoyens assesseurs, leur communiquer le dossier de l'enquête ou de l'instruction, ce qui entraînera un allongement de l'audience et des délibérés.

Alors qu'un code des mineurs est supposé être en préparation, ce projet de loi entend par ailleurs réviser la justice des mineurs, c'est-à-dire modifier pour la trente-cinquième fois l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dont la pierre angulaire est que l'éducation doit primer sur le répressif, soit l'exact contraire de l'ambition et de la politique du Gouvernement.

Or les mineurs ne peuvent être jugés pareillement aux adultes, ce vers quoi, malgré tout, vous nous proposez aujourd'hui de tendre, en alignant peu à peu le droit pénal des mineurs sur celui des majeurs, c'est-à-dire en portant atteinte au principe de la spécialisation des juridictions.

Le projet de création d'un tribunal correctionnel des mineurs de seize à dix-huit ans, inscrit dans ce texte, en est une parfaite illustration. En effet, les compétences et le fonctionnement de ce tribunal seront très proches de ceux d'un tribunal correctionnel, notamment parce qu'un seul juge pour enfants siégera aux côtés de deux magistrats non spécialisés.

Marginaliser le tribunal pour enfants est votre point de mire, au risque d'outrepasser un principe fondamental énoncé par le Conseil constitutionnel, selon lequel doivent être reconnues l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge et la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur responsabilité. Ce que défend également la Convention internationale des droits de l'enfant.

Nous devons le répéter, pour le jugement des mineurs, la sanction doit rester éducative. Ce projet de loi est donc contre-productif, car il allongera les délais de jugement, et irresponsable, puisqu'il créera des coûts supplémentaires non financés, soit le contraire des priorités urgentes pour soigner une justice qui souffre cruellement d'un manque de moyens.

Mais il ne faut pas être dupe : la volonté sous-jacente de ce texte est, pour l'exécutif, de dénigrer le travail des magistrats qui, parce qu'ils seraient coupés du monde et trop laxistes dans les peines prononcées, devraient être encadrés par des citoyens.

On ne peut pas laisser croire aux Français que la présence de simples citoyens auprès de magistrats sera un frein, qu'il s'agisse du jugement des mineurs ou des libérations conditionnelles. Les juges ne sont pas responsables de l'échec de votre politique pénale, pas plus qu'ils ne le sont de la délinquance.

Ce qu'attendent nos concitoyens de la justice, c'est une justice plus proche et accessible, y compris aux plus faibles d'entre eux, avec une aide juridictionnelle revalorisée, une justice sereine et indépendante siégeant dans des conditions dignes et jugeant sans pression politique ou médiatique. C'est pourquoi les députés radicaux de gauche et apparentés s'opposeront à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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