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Intervention de Alain Juppé

Réunion du 15 juin 2011 à 15h00
Déclaration du gouvernement préalable au conseil européen et débat sur cette déclaration

Alain Juppé :

Et je constate qu'elles ne manqueront pas, mais je m'y attends ! (Sourires.)

Pourtant, à chaque fois, nous avons su faire émerger ensemble une réponse européenne. À chaque fois, nous avons su engager une modernisation de la gouvernance européenne pour relever ces défis.

Outre la conclusion des négociations d'adhésion avec la Croatie, le Conseil européen des 23 et 24 juin prochains sera consacré à trois questions majeures : la finalisation de la nouvelle gouvernance économique européenne, le renforcement des mécanismes de l'espace Schengen et la rénovation profonde de la politique européenne de voisinage.

Je commencerai par la gouvernance économique européenne. Le Conseil européen marquera d'abord la finalisation de la réponse globale à la crise de la zone euro. La crise de la dette grecque focalise aujourd'hui l'attention générale, mais il faut mesurer le chemin parcouru en un an, grâce à une bonne entente franco-allemande et au rôle décisif du président stable du Conseil européen, Herman Van Rompuy – aujourd'hui même à Paris –, qui confirme, comme la France l'a toujours soutenu, le rôle central et la solidité de l'institution qu'il préside. Il est désormais essentiel que le Conseil européen approuve tous les éléments de cette réponse globale.

Nous sommes pleinement mobilisés pour que l'Eurogroupe arrive à un accord pour faire face aux difficultés que rencontre la Grèce. La troïka formée par le Fonds monétaire international, la Commission et la Banque centrale européenne travaille à un accord technique avec Athènes dans la perspective d'un déboursement, début juillet, de la cinquième tranche de 12 milliards d'euros du plan de soutien de 110 milliards d'euros décidé en mai 2010. La solution dépend aussi de la Grèce. Elle a adopté une nouvelle stratégie budgétaire à moyen terme : des mesures d'économies, des restructurations supplémentaires et une accélération des privatisations afin de lever 50 milliards d'euros d'ici à 2015. Ce plan courageux et nécessaire doit être adopté par le parlement grec et mis en oeuvre sans délai. Il pourra être accompagné, si nécessaire, d'un nouveau programme de financement, dont les modalités sont encore en cours de négociation entre les États de la zone euro, les institutions européennes et le Fonds monétaire international. Un quelconque « défaut » de la dette grecque est en tout cas absolument exclu.

Le Conseil européen devrait aussi clore le premier exercice du « semestre européen », dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance et des objectifs de la stratégie Union européenne 2020. Il évaluera les engagements souscrits par les États membres dans les programmes nationaux de réforme et dans les programmes de stabilité et de convergence. Il endossera les recommandations spécifiques proposées par la Commission, puis débattues et adoptées par le Conseil.

À l'occasion des échanges sur la situation économique, les chefs d'État et de gouvernement rappelleront l'importance des engagements souscrits au titre du «pacte pour l'euro plus ». Cette initiative, portée par l'Allemagne, pour renforcer la convergence des politiques économiques nationales, doit donner toute sa mesure, en particulier en matière de politique de compétitivité et en matière fiscale. Sur ce dernier point, des propositions importantes ont été présentées par la Commission concernant un projet d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés ou la fiscalité de l'énergie. Nous souhaitons aussi développer le dialogue entre les partenaires européens sur les pratiques fiscales dommageables.

Ce Conseil européen verra aussi la signature du traité intergouvernemental sur le mécanisme européen de stabilité, appelé à prendre la suite en juillet 2013 de l'actuel fonds européen de stabilité financière et doté de 500 milliards d'euros de capacité de prêt effective. Grâce à ce mécanisme, grâce aussi à la révision de l'accord-cadre sur le fonds de stabilité, qui portera notamment sa capacité effective de prêt à 440 milliards d'euros, la zone euro sera dotée de moyens de réponse rapide aux chocs que peuvent connaître ses États membres.

Nous souhaitons enfin que le Conseil européen puisse constater l'accord entre le Conseil et le Parlement européen sur l'ensemble du paquet législatif sur la gouvernance économique, qui prévoit un renforcement des volets préventif et correctif du pacte de stabilité, une surveillance budgétaire renforcée et la mise en place d'un mécanisme de surveillance et de prévention des déséquilibres macro-économiques excessifs entre pays de l'Union européenne.

Deuxième enjeu majeur de ce Conseil européen : le renforcement de la gouvernance de l'espace Schengen.

La libre circulation des personnes – je tiens à le réaffirmer au nom du Gouvernement – est un acquis fondamental de la construction européenne. Mais, face aux pressions migratoires et aux crises récentes, nous voyons bien que nos instruments et nos moyens actuels sont insuffisants. Pour préserver notre espace commun de libre circulation, fondé sur la confiance mutuelle, il est aujourd'hui indispensable de permettre à l'Union européenne d'en assurer un meilleur pilotage, de la doter des outils concrets pour y parvenir et de renforcer sa capacité à contrôler et à protéger ses frontières extérieures.

Le président du Conseil européen et la Commission ont répondu de façon constructive à la démarche conjointe du sommet franco-italien de Rome le 26 avril dernier. Le Conseil Justice et Affaires intérieures du 9 juin a posé les premiers jalons, en définissant une orientation sur les frontières, les migrations et l'asile, et en adoptant une stratégie en matière de réadmission.

Sur cette base, nous attendons du Conseil européen des orientations claires.

Tout d'abord, une gestion politique de l'espace Schengen mieux organisée, avec des réunions au niveau ministériel d'un « Conseil de direction » de l'espace Schengen et du conseil d'administration de l'agence Frontex.

Ensuite, une évaluation plus exigeante de la façon dont les États membres mettent en oeuvre l'acquis de Schengen. Au-delà de l'évaluation technique, c'est la capacité effective à gérer les frontières extérieures au nom des autres États membres qui doit être appréciée. C'est la condition essentielle de cette confiance mutuelle nécessaire au bon fonctionnement d'un espace de libre circulation.

Troisième orientation : des clauses de sauvegarde mieux adaptées. Les possibilités actuelles de réintroduire temporairement des contrôles aux frontières intérieures devraient être complétées pour permettre, en dernier recours, de tirer les conséquences, soit d'une situation durable et grave de défaillance dans la gestion d'une partie des frontières extérieures communes, soit d'une situation exceptionnelle de pression migratoire irrégulière, comme nous en vivons ces temps-ci. Soyons clairs : il ne s'agit pas de limiter la liberté de circulation, mais au contraire de préserver les conditions de son exercice, en tirant les leçons des dysfonctionnements actuellement constatés dans l'espace Schengen.

Quatrième orientation : la confirmation, conformément à un calendrier fixé par le Conseil européen, de l'objectif de 2012 pour l'établissement d'un régime européen d'asile commun, mais sur des bases plus justes que les projets débattus jusqu'à présent. Il ne me paraît pas admissible d'harmoniser vers le haut les droits des demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne tout en conservant l'hétérogénéité actuelle des taux d'acceptation des demandes d'asile. Alors que la France accepte 30 % des demandes d'asile qui lui sont présentées, je rappelle que ce taux est proche de 0 % dans plusieurs États membres.

Cinquième orientation : la mise en place progressive d'un « système européen des frontières ». Outre les travaux en cours sur le renforcement de l'agence Frontex, la Commission souhaite étudier la faisabilité d'un système européen de garde-frontières. Dans notre esprit, il pourrait s'agir, dans un premier temps, d'un corps d'inspecteurs qui favoriserait le partage des pratiques, des savoir-faire et des procédures.

Enfin, sixième orientation : la poursuite d'une politique équilibrée en matière de visas, permettant des facilitations ciblées et des partenariats pour la mobilité, mais introduisant une clause de sauvegarde générale à l'égard des pays tiers où la politique de libéralisation de visas de l'Union européenne se traduirait par des détournements manifestes, des abus ou des afflux soudains.

Troisième enjeu du prochain Conseil européen : la politique européenne de voisinage.

Le Conseil européen évoquera bien sûr les crises en Libye, en Syrie et au Yémen, ainsi que nos efforts pour une relance du processus de paix au Proche-Orient. Mais, l'enjeu est aussi de poser les orientations d'une action durable de l'Union européenne à l'égard de son voisinage méditerranéen.

Après une communication le 8 mars dernier proposant un « partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée au sud de la Méditerranée », la Haute Représentante et la Commission ont présenté le 25 mai une nouvelle stratégie pour la politique européenne de voisinage. Il s'agit pour l'Union européenne d'accompagner dans la durée les réformes structurelles nées des «printemps arabes ». Il s'agit aussi, dans un souci d'unité d'approche entre le Sud et l'Est, de continuer à inciter nos voisins d'Europe orientale à avancer dans leurs réformes démocratiques et économiques. Trois axes sont proposés par Catherine Ashton et la Commission pour rénover cette politique : appuyer l'établissement de démocraties solides, soutenir une croissance économique durable et solidaire, gérer les liens transfrontaliers de mobilité. Ces orientations seront débattues dès le Conseil Affaires étrangères du 20 juin prochain.

En ce qui nous concerne, nous soutenons d'abord l'augmentation de 1,2 milliard d'euros des crédits européens pour les seize pays couverts par la politique de voisinage pour la période 2011-2013. Cela portera l'enveloppe totale à 7 milliards sur cette période. À cela s'ajoute le relèvement du niveau des prêts de la Banque européenne d'investissements aux pays partenaires méditerranéens à 6 milliards d'euros sur la même période. Dans cet effort, la France veillera à ce que la priorité financière continue d'aller au Sud, au minimum selon le ratio deux tiers pour le Sud, un tiers pour les partenaires de l'Est.

Nous soutenons aussi la logique de différenciation qui est proposée, et notamment le renforcement de la conditionnalité des aides, selon une démarche que nous voulons incitative – j'ai parlé de conditionnalité intelligente. L'idée est d'accorder davantage de soutien financier à ceux qui iront plus loin dans les réformes démocratiques, économiques et la coopération migratoire. Pour nous, cette approche devra aussi permettre un soutien massif à la Tunisie, à l'Égypte, au Maroc et, je l'espère le plus vite possible, à la Libye nouvelle débarrassée de Kadhafi.

À l'inverse, là où les réformes n'avanceront pas, il est proposé que l'Union européenne « réexamine, voire réduise son aide » : la situation en Syrie ou en Biélorussie confirme la nécessité d'utiliser aussi ce levier, en réorientant les crédits européens vers le soutien à la société civile.

En ce qui nous concerne, nous serons très fermes sur les trois points suivants.

Premièrement, nous estimons que, outre les réformes démocratiques et économiques, la coopération effective des pays partenaires en matière de réadmission et de lutte contre l'immigration illégale, tant au Sud qu'à l'Est, devra constituer un élément intrinsèque des nouveaux partenariats qui seront négociés. C'est cette coopération, notamment la conclusion préalable d'accords de réadmission, qui nous permettra d'avancer vers la signature de partenariats pour la mobilité avec l'Arménie, le Maroc, la Tunisie ou l'Égypte, et vers des facilitations ciblées de délivrance des visas, afin de favoriser les migrations circulaires. Nous voulons en effet promouvoir une approche globale des migrations, fondée sur une coopération migratoire effective avec les pays partenaires, pour assurer une gestion concrète, confiante et efficace de nos liens transfrontaliers de mobilité.

Deuxièmement, nous considérons que le soutien financier de l'Union européenne à l'Union pour la Méditerranée doit être accentué. Fin mai, les quarante-trois États de l'Union pour la Méditerranée ont enfin désigné, à l'unanimité, un nouveau secrétaire général de grande qualité, M. Youssef Amrani, actuellement secrétaire général du ministère des affaires étrangères marocain, qui a tout notre soutien. Nous demandons maintenant que l'Union européenne appuie concrètement, par les crédits de l'instrument européen de voisinage et de partenariat, à la fois le secrétariat de l'Union pour la Méditerranée et les projets qu'il présentera. J'en citerai trois qui me paraissent prioritaires : l'office méditerranéen pour la jeunesse, sur lequel nous avons déjà beaucoup avancé ; le plan solaire méditerranéen, dont la nécessité paraît de plus en plus évidente dans le cadre de la réflexion sur la politique énergétique que mènent nos pays ; enfin, la coopération en matière de protection civile et les réseaux d'appui aux PME.

Troisièmement, nous souhaitons que le partenariat oriental prenne toute sa place au sein de la politique de voisinage et que l'Union européenne avance vers la conclusion d'accords d'association et la négociation d'accords de libre-échange. Ce sera l'objectif du sommet du partenariat oriental que la présidence polonaise de l'Union européenne tiendra à Varsovie, à la fin du mois de septembre. En revanche, nous ne souhaitons pas rouvrir les débats, tranchés sous la présidence française en 2008, sur l'idée de reconnaître une « perspective européenne » au partenariat oriental, formule très diplomatique qui désigne une adhésion potentielle à l'Union européenne. Mon homologue allemand et moi avons clairement signifié à la future présidence polonaise qu'à nos yeux, la consolidation de la démocratie ainsi que le renforcement de l'association politique et de l'intégration économique devaient être privilégiés.

Permettez-moi avant de conclure de vous dire quelques mots des négociations d'adhésion de la Croatie, …

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