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Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 25 septembre 2007 à 15h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est saisie en première lecture d'un projet de loi, adopté par le Sénat, qui crée une nouvelle autorité indépendante chargée d'exercer un contrôle extérieur, indépendant et effectif de l'ensemble des lieux de privation de liberté, quelles que soient les structures concernées : établissements pénitentiaires, locaux de garde à vue, dépôts des palais de justice, centres hospitaliers spécialisés, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés, etc.

Ce contrôle est confié à une autorité unique, qui aura ainsi une vue d'ensemble des lieux de privation de liberté dans notre pays.

Ce texte fait l'objet d'une attente très forte, y compris des administrations en charge des lieux privatifs de liberté et des personnels de surveillance – il est important de le souligner. J'ai pu d'ailleurs rencontrer, de même que certains de mes collègues qui m'accompagnaient lors des auditions, les directeurs d'administration concernés ainsi que les syndicats de personnels : tous se sont déclarés favorables à l'instauration de ce contrôle.

De fait, faire ainsi entrer un regard extérieur dans un lieu clos présente un double intérêt.

Il s'agit tout d'abord de prévenir d'éventuels abus qu'un milieu fermé pourrait favoriser. Les lieux de privation de liberté sont par nature des lieux de violence : il s'y exerce une coercition légitime, institutionnelle, qui doit respecter certaines règles, dont il s'agit de vérifier le respect effectif. Mais il existe aussi une autre violence, non légitime celle-là, une violence entre les personnes privées de liberté. Tous ceux parmi vous qui ont usé – et ils sont nombreux – de leur faculté de visiter ces lieux le savent !

Mais il s'agit aussi de lever la suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées. C'est pourquoi il est demandé par tous – ce qui, reconnaissez-le, est plutôt bon signe.

Le projet de loi s'inscrit aussi dans un contexte international : il permet à la France de respecter les stipulations du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture que notre pays a signé et s'est engagé à ratifier avant septembre 2008. Ce Protocole prévoit la mise en place d'un « mécanisme national de prévention » indépendant, dans un délai maximum d'un an après la ratification du Protocole.

Notre pays prend donc – soulignons-le – un peu d'avance avec ce projet de loi puisque nous nous apprêtons à mettre en place ce mécanisme national avant même que les accords internationaux ne nous y obligent !

L'inscription de ce texte à l'ordre du jour des deux sessions extraordinaires que le Parlement aura tenues en juillet et en septembre, qui auront permis un examen tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale dès les tous premiers jours de la législature, souligne la volonté politique forte du Gouvernement de mettre en oeuvre rapidement le contrôle extérieur des lieux de privation de liberté – volonté que je tiens à saluer, comme, du reste, la persévérance de Mme la garde des sceaux.

Le projet de loi a été adopté par le Sénat sans qu'aucune voix ne se prononce contre le texte. Je tiens à rendre hommage à l'excellent travail réalisé par la Haute Assemblée. Le texte a été notablement amélioré, précisé et enrichi : pas moins de vingt-six amendements parlementaires ont été adoptés, certains émanant de l'opposition. Je ne doute pas que tel sera également le cas à l'Assemblée ! Les garanties accompagnant le statut du Contrôleur général ont été accrues, notamment sur le fondement des recommandations du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation présenté en 2006 par le sénateur Gélard sur les autorités administratives indépendantes.

Je tiens à préciser qu'en matière de contrôle extérieur, l'état de la réflexion est déjà bien abouti dans notre pays. Tant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, présidée par M. Mermaz et M. Floch, que celle du Sénat sur la situation des prisons françaises, en juin 2000, ont plaidé pour l'instauration d'un tel contrôle. Plusieurs propositions de loi, déposées par M. Hyest et M. Cabanel au Sénat, et M. Hunault et Mme Lebranchu à l'Assemblée nationale, ont eu pour objet de mettre en place un contrôle extérieur des prisons. Je voudrais ici tout particulièrement faire référence au rapport rendu en 2000 par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, chargé par Mme Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, « d'étudier les manières d'améliorer le contrôle extérieur des prisons ». Ce rapport plaidait pour l'instauration d'un contrôle extérieur indépendant, distinct des fonctions de médiation et chargé de contrôler les conditions générales de la détention. Le projet de loi atteint cet objectif et va même plus loin, puisqu'il l'étend à tous les lieux de privation de liberté.

Les lieux d'enfermement sont d'ores et déjà soumis à de nombreux contrôles, qui apparaissent cependant dispersés et souvent trop limités : magistrats, commissions diverses et variées, inspections, organismes internationaux sont chargés d'une parcelle du contrôle, mais il manque une vision d'ensemble. La situation des établissements pénitentiaires est de ce point de vue paradoxale : peu d'administrations sont soumises à un nombre aussi élevé de contrôles et, pourtant, ces contrôles apparaissent insuffisants, notamment du fait de leur éclatement, ainsi que le dénonçait le rapport de M. Canivet.

Le projet de loi fixe le statut et les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions du projet, qui viennent d'être exposées par Mme la garde des sceaux.

Je souhaite cependant vous faire part de trois préoccupations majeures qui ont guidé ma réflexion sur le texte.

La première a trait au statut du Contrôleur général et des contrôleurs auxquels il pourra déléguer ses pouvoirs. L'indépendance de toute autorité tient à son statut. Nous devons donc veiller à doter le Contrôleur général d'un statut garantissant pleinement son indépendance.

En la matière, le Sénat a apporté de très nombreuses garanties supplémentaires par un régime complet d'immunités, d'incompatibilités et d'inéligibilités. Mais je suis aussi soucieux du statut que le décret en Conseil d'État doit conférer aux contrôleurs et qui devra réussir la difficile conciliation de l'exigence de leur indépendance et leur nécessaire compétence.

Ma deuxième préoccupation concerne le contexte international dans lequel s'insère cette nouvelle autorité : le législateur doit veiller à ce que la loi qui institue le Contrôleur général respecte au mieux les stipulations du Protocole facultatif de l'ONU que la France devra prochainement ratifier, avec les nécessaires adaptations à notre droit.

Ma troisième préoccupation est celle de la nécessité de mettre en cohérence les différents contrôles qui vont coexister.

La pluralité des mécanismes de contrôle n'est pas une mauvaise chose en soi, bien au contraire : elle garantit des visites régulières des différents lieux. Il faudra pour autant veiller à clarifier les compétences des uns et des autres et à les coordonner.

Les clarifier, pour éviter la déresponsabilisation des organes de contrôle et les coordonner, pour éviter la démobilisation des administrations en charge des lieux contrôlés, confrontées à une multiplication désordonnée des contrôles.

Cela ne passe sans doute pas par la loi, mais par des sortes de Protocoles que les différentes instances pourraient passer entre elles pour éviter les doublons. Je fais mienne également la suggestion du rapport Canivet de créer une conférence d'établissement qui se réunirait chaque année dans chaque établissement pénitentiaire pour confronter les différents contrôles entre eux et assurer un réel suivi. Nous retrouverons ce débat lors de l'examen de la loi pénitentiaire.

La commission des lois, lors de sa réunion du 18 septembre, a adopté vingt-cinq amendements, dont dix-sept sont de nature essentiellement rédactionnelle. Je voudrais dire quelques mots de certains amendements « de fond ».

À l'article 2, sur les conditions de nomination du Contrôleur général, la commission a adopté deux amendements pour préciser les conditions de nomination du Contrôleur général.

Le premier précise que le Contrôleur général sera choisi en raison de ses compétentes et connaissances professionnelles, ce qui lui confère une garantie supplémentaire d'indépendance et permet par ailleurs de se conformer aux stipulations du Protocole de l'ONU, qui préconise que « les États parties prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les experts du mécanisme national de prévention possèdent les compétences et les connaissances professionnelles requises ».

Le deuxième amendement est un amendement d'attente que j'avais présenté à la commission pour tenter de sortir du risque de contradiction entre le présent projet de loi et la future révision constitutionnelle. Le Sénat a adopté en première lecture un amendement qui précise que le Contrôleur général est nommé « après avis de la commission compétente de chaque assemblée ». Or, la commission présidée par M. Édouard Balladur doit rendre ses conclusions au mois de novembre prochain, dans la perspective d'une révision constitutionnelle qui devrait être adoptée en janvier 2008. Un des axes de sa réflexion concerne le rééquilibrage de nos institutions au profit du Parlement. Dans ce cadre, elle réfléchit à une procédure qui pourrait permettre d'associer le Parlement aux nominations les plus importantes effectuées par le pouvoir exécutif. L'amendement adopté vise à préciser que le Contrôleur général serait nommé « après consultation du Parlement dans les conditions prévues par la Constitution ». Cette rédaction n'est pas totalement satisfaisante, j'en conviens tout à fait.

Les précisions que vient de nous apporter Mme la garde des sceaux éclairent le débat d'un jour nouveau. Si le projet de loi doit être adopté définitivement avant même que la Constitution ne soit révisée, la rédaction du Sénat doit être préférée et l'amendement de la commission en conséquence retiré. Nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 2.

À l'article 5 bis, sur la saisine directe du Médiateur de la République, la Commission a adopté un amendement qui permet au Contrôleur général de saisir directement le Médiateur de la République, sans passer par le « filtre » parlementaire. S'agissant d'une autorité administrative indépendante saisissant une autre autorité administrative indépendante, ce filtre pourrait paraître assez curieux, d'autant que la complémentarité de leurs rôles pourrait rendre ces saisines fréquentes, ce qui est d'ailleurs souhaitable.

À l'article 6, la commission a adopté deux amendements précisant les conditions de report de visite : le premier précise que les motifs de report devront être graves « et impérieux », ce qui souligne leur caractère exceptionnel et reprend la rédaction du Protocole de l'ONU, qui précise que « l'objection à la visite d'un lieu de détention déterminé » suppose des « raisons pressantes et impérieuses ».

Le second amendement fait obligation aux autorités responsables du lieu, dès que le motif grave et impérieux à l'origine du report a cessé, d'en avertir sans délai le Contrôleur général pour que celui-ci puisse procéder à la visite initialement prévue. En aucun cas, le report ne peut être un report sine die.

À l'article 7, la commission a adopté un amendement qui introduit une procédure d'urgence, permettant au Contrôleur général, qui ne dispose pas d'un pouvoir d'injonction, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations en cas de constat de violations graves des droits fondamentaux de personnes privées de liberté et de fixer à ces autorités un délai de réponse.

Il va de soi que ce délai devra être raisonnable et compatible avec le temps matériellement nécessaire pour la résolution du problème constaté.

Cette procédure donnera au Contrôleur général un droit de suite, pour vérifier que la violation constatée a cessé. S'il le juge nécessaire, il pourra ensuite rendre publiques ses observations, ainsi que les réponses qui y auront été apportées.

Après l'article 11, la commission a adopté un amendement supprimant la mention, dans un texte de nature législative, de la Commission de contrôle des centres de rétention administrative et zones d'attente – CRAZA.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à adopter le projet de loi, au bénéfice des amendements que la commission des lois a adoptés.

Cette avancée majeure de notre État de droit attendue par tous depuis si longtemps, constituera demain un modèle, sinon une référence, pour tous ceux qui, en Europe et ailleurs, ne disposant pas encore d'un tel organisme, auraient décidé de s'engager plus avant dans la voie du respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, validant ainsi l'approche du rapport Canivet : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu'en la traitant comme un citoyen. »

Ce texte, madame la garde des sceaux, fait honneur au gouvernement auquel vous appartenez ; il fait honneur à la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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