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Intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet

Réunion du 4 juin 2009 à 15h00
Faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi

Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'état chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux d'abord vous prier d'excuser Mme la garde des sceaux, retenue par une séance du Conseil supérieur de la magistrature.

Vous êtes appelés à examiner aujourd'hui un texte d'initiative parlementaire qui marquera, sans nul doute, un tournant important dans la lutte que nous menons contre la délinquance.

Pour que cette lutte soit efficace, il faut que les délinquants sachent qu'ils ne pourront tirer aucun profit de leurs activités illicites. Il faut que des mesures soient prises très rapidement pour appréhender le plus largement possible les avoirs criminels, quelle qu'en soit la nature. Il faut enfin que les sanctions patrimoniales soient à la hauteur des profits escomptés. Et pour cela, nous devons développer les enquêtes patrimoniales et faciliter l'action des services judiciaires, pour qu'ils saisissent et confisquent davantage. C'est ainsi que nous ferons reculer le crime organisé, l'économie souterraine et les trafics qui l'alimentent.

Priver les délinquants du produit direct et indirect de leurs activités, c'est prévenir de nouveaux crimes et délits. C'est aussi combattre l'idée, qui peut séduire les plus jeunes en particulier, que la délinquance peut être une solution lucrative.

L'expérience montre que les délinquants redoutent souvent moins d'être emprisonnés que d'être privés du fruit de leurs crimes. La perspective d'un enrichissement facile l'emporte sur le risque d'un emprisonnement.

Il est donc grand temps de nous donner les moyens pour que le crime ne paye plus. C'est une préoccupation qui a déjà conduit le législateur à intervenir ces dernières années. Je pense en particulier à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dont le président de votre commission des lois a été le rapporteur il y a cinq ans. Il s'agissait de durcir la répression de la criminalité organisée, en étendant notamment les possibilités de saisie des produits du crime. Par la suite, il a été constaté diverses failles dans ce dispositif. Et M. Warsmann, dans son rapport sur l'application de cette loi, préconisait de faciliter le recours aux mesures conservatoires pouvant être prises pour geler les avoirs criminels.

La proposition de loi ambitieuse déposée avec Guy Geoffroy répond, en particulier, à cet objectif. Je tiens à remercier M. le président de la commission des lois pour cette initiative très opportune que le Gouvernement soutient en tous points. Je voudrais également saluer le remarquable travail réalisé par Guy Geoffroy, qui, en tant que rapporteur, a su parfaitement traduire les attentes des enquêteurs et des magistrats, en les conciliant avec les enjeux juridiques et financiers liés à ce texte. En adoptant ce texte à l'unanimité, votre commission des lois a reconnu la nécessité de cette initiative et la qualité du travail accompli.

Vous nous avez parfaitement exposé, cher Guy Geoffroy, les raisons pour lesquelles il était impératif aujourd'hui de modifier et de compléter les textes existants. Je n'ajouterai à vos propos, qui étaient très complets, que quelques considérations complémentaires.

En 2008 le montant des biens gelés ou saisis s'élevait à près de 94 millions d'euros, soit une hausse en valeur de 41 % par rapport à l'année 2007. Mais il reste difficile de procéder aux saisies et au gel des avoirs des criminels pour plusieurs raisons.

La première, c'est que les actes de procédure pénale sont essentiellement destinés à la recherche d'éléments de preuve. Il est donc indispensable de se doter d'un cadre procédural spécifique pour permettre la réalisation d'enquêtes patrimoniales. C'est ce que l'article 1er de votre proposition de loi prévoit. Les enquêteurs pourront ainsi mener des perquisitions pour identifier ou localiser les biens confiscables. C'est un dispositif indispensable et parfaitement complémentaire de la plateforme d'identification des avoirs criminels mise en place depuis septembre 2005 au sein de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière.

Ce texte permettra également de saisir des biens qui pourront être confisqués, même s'il ne s'agit pas de l'instrument ou du produit direct de l'infraction. Il n'était pas cohérent que la loi prévoie des confiscations et que l'on n'ait pas les moyens juridiques d'éviter la disparition de ces biens avant l'exécution du jugement.

Une deuxième difficulté entrave la saisie des avoirs criminels : les mesures conservatoires rendues possibles depuis 2004 doivent être prises selon les règles civiles des voies d'exécution, lesquelles sont très difficiles à appliquer dans un cadre pénal.

Là encore, il fallait définir un régime pénal spécifique de gel et de saisie, et tout particulièrement s'agissant des biens qui ne peuvent pas être matériellement saisis. Saisir les actifs immobiliers et immatériels des délinquants soulève des questions extrêmement complexes. Ce n'est pas sans raison que le crime organisé privilégie les investissements dans la pierre ou dans les fonds de commerce, les placements financiers ou encore les actions et les titres. Pour adapter notre droit aux pratiques délictueuses, votre texte définit un cadre juridique parfaitement adapté, qui distingue les diverses catégories de biens spéciaux. Il permet, par des saisies sans dépossession, d'assurer la représentation des biens qui ne sont pas matériellement saisis et retirés à leur détenteur.

Le troisième obstacle à la saisie plus large des avoirs criminels, c'est qu'il faut en assurer la gestion tout au long du dossier et jusqu'à la confiscation. Ce facteur rebute les enquêteurs et les magistrats, qui sont confrontés à des difficultés juridiques et matérielles importantes pour assurer cette gestion et éviter le dépérissement des biens en cause : trop souvent, le coût de gestion de ceux-ci est plusieurs fois supérieur à leur valeur vénale.

Les conditions de leur conservation contribuent de surcroît à en diminuer la valeur lorsqu'ils sont confisqués in fine.

Chaque année, la conservation des biens saisis nous coûte plus de 15 millions d'euros. Les frais de gardiennage représentent une part trop importante de cette somme. Le coût moyen pour faire garder un seul objet encombrant est de 600 à 700 euros.

Parallèlement, les ventes anticipées de biens en cours de procédure n'ont rapporté que 3 millions d'euros en 2008 et les décisions de confiscation vont en diminuant ces dernières années – il y en a quatre fois moins qu'en 2004.

Si nous souhaitons développer les saisies et confiscations, il est donc indispensable de remédier à cette situation.

Le Gouvernement, qui fait sien l'objectif poursuivi par ce texte, a décidé de se donner les moyens de cette ambition. C'est dans cet esprit qu'il a déposé un amendement, qui a été intégré au texte de cette proposition de loi et qui vise à créer une agence chargée de gérer les biens saisis et confisqués.

Placé sous la cotutelle du ministre de la justice et de celui du budget, cet établissement public d'un genre nouveau relaiera l'action des enquêteurs et des magistrats et assurera une gestion plus rationnelle des biens saisis et confisqués.

L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués agira sur mandat de justice pour assurer la saisie et le gel des biens que les magistrats veulent appréhender. Elle pourra ensuite en assurer la gestion et éventuellement la vente avant jugement. Elle sera enfin chargée de réaliser les confiscations ordonnées par les juridictions pénales. Son action encouragera et facilitera une appréhension plus large des bénéfices tirés par les délinquants de leurs activités. L'objectif est de permettre à cette agence de s'autofinancer assez rapidement.

Les victimes n'ont pas été oubliées. Nous avons veillé à ce qu'elles ne soient pas lésées par ces saisies plus larges et à ce qu'au contraire cette appréhension puisse également servir leurs intérêts.

Ainsi, il est prévu que l'Agence informe la victime lorsqu'elle restitue à la personne poursuivie un bien saisi qu'elle gérait. La victime pourra, de cette manière, faire valoir ses droits à dédommagement plus efficacement.

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