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Intervention de Jean-Marie Delarue

Réunion du 25 mai 2011 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de libert :

Les établissements pour mineurs et les nouveaux établissements pénitentiaires suscitent de nombreux commentaires.

M. Blisko me donne l'occasion de rendre un hommage appuyé au personnel des établissements pour mineurs, centres éducatifs fermés et quartiers de mineurs, confronté à des adolescents extrêmement difficiles. Un seul exemple : en cas d'agression contre un membre du personnel des établissements pénitentiaires, celui-ci porte plainte. Dans un établissement pour mineurs, jamais – et pourtant, les agressions y sont nombreuses. C'est vous dire l'abnégation des personnels !

Je ne pense pas qu'il y ait un problème de doctrine dans les établissements pour mineurs. En revanche, s'agissant des centres éducatifs fermés, je crois que la direction de la PJJ a quelque peu failli à sa vocation d'encadrement. Elle a d'ailleurs commencé l'an dernier à refondre leur cahier des charges. Ces centres sont pour partie tenus par des associations, avec des gens extrêmement désireux de bien faire mais qui ont été un peu démunis en termes de doctrine et de partage d'expérience. Il faut assurer des échanges horizontaux sur les pratiques qui sont suivies dans ces centres.

Il y a beaucoup de jeunes à Fleury-Mérogis, et beaucoup de violence. Malgré tout ce qui est fait, malgré tout le désir du personnel, on ne trouvera pas de solution définitive sans améliorer la coordination. D'abord, tous les établissements devraient signer entre eux, pour chaque jeune, des contrats de partenariat. Ensuite, il faudrait, comme la PJJ a commencé de le faire, un « éducateur fil rouge », un référent, qui suive le mineur de la première mesure éducative à la dernière et qui puisse orienter le juge des enfants. Tant que ces deux conditions ne seront pas réunies, on n'avancera pas beaucoup. Le sujet est extrêmement difficile, et il faut avancer pas à pas.

Pour ce qui est des établissements psychiatriques, parler de « cours de promenade » est déjà très optimiste ! Je connais un centre hospitalier dans le sud où les jardins sont inaccessibles et où l'on a fermé les balcons par crainte pour la vie des personnes hospitalisées. Les malades errent bien, mais dans les couloirs ! L'enfermement est déjà difficile, et les problèmes d'effectifs rendent impossible d'accompagner quelqu'un dehors, à la cafétéria, dans le jardin, pour aller fumer. Cela débouche sur des pratiques peu recommandables, concernant les cigarettes, par exemple.

Quant au recours au juge des libertés et de la détention, il en sera bientôt question ici et je me suis toujours fixé pour règle de ne pas intervenir dans les projets de loi en débat. Sauf à dire quand même qu'en cas de désaccord, et il s'en trouve de plus en plus, entre le psychiatre et le préfet sur la mainlevée d'une mesure d'hospitalisation sans consentement, il faut l'intervention d'un tiers. On ne peut pas plus demander au préfet d'apprécier l'évolution de la maladie qu'au psychiatre de juger de l'ordre public. Ces deux opinions sont complémentaires, pas concurrentes. En cas de désaccord, il faut un arbitre – peut-être pas le juge des libertés et de la détention, mais en tout cas pas le préfet.

J'en viens aux questions de Mme Karamanli. La confidentialité soulève bien sûr des questions difficiles, mais je crois qu'il est possible, tout en respectant l'intérêt de la personne, d'échanger ce qui doit l'être. Beaucoup de travailleurs sociaux se sont inquiétés de ce partage d'informations, mais je ne vois pas d'inconvénient majeur à ce que ce qui n'est pas confidentiel soit communiqué au maire, ou à une autre personne intéressée. En revanche, ce qui est confidentiel doit le rester, notamment la relation entre la personne et son avocat.

Nous sommes naturellement en relation avec la Haute autorité de santé, qu'il s'agisse des hôpitaux psychiatriques, ou des transsexuels, par exemple. Nous sommes complémentaires et devons nous éclairer l'un l'autre. J'ai très récemment reçu son nouveau président, et nous sommes en contact à peu près constant. Il faut éviter que la doctrine de la Haute autorité entre en conflit avec les demandes que je suis amené à faire, et réciproquement. Nous y sommes tous deux très attentifs.

Quant au suivi des recommandations, le rapport s'efforce d'être précis. Nous avons pris l'exemple du centre de détention d'Eysses, dans le Lot-et-Garonne, et avons dressé un tableau, quelque peu fastidieux, rappelant nos propositions, celles qui ont été retenues par le garde des sceaux et celles qui ont été effectivement réalisées. C'est assez représentatif de ce qui s'est passé dans de nombreux autres endroits.

Pour ce qui est des dépenses, 80 % sont effectivement consacrées à notre personnel, qui est hautement qualifié. Les dépenses de fonctionnement sont très serrées et le contrôleur subit un amaigrissement perpétuel, mais je considère normal d'être extrêmement attentif à l'argent public. Toutefois – l'essentiel de ces dépenses, une fois exclu le loyer, qui n'est pas très élevé, étant des frais de déplacement –, il est regrettable que nous ne puissions financer qu'un déplacement outre-mer par an, à la rigueur deux. Il n'est par exemple pas possible de se rendre d'urgence en Guyane lorsqu'un déplacement est déjà prévu dans une autre collectivité d'outre-mer. C'est une difficulté que je soumets à l'exécutif, et je serais heureux que le Parlement veuille bien s'y intéresser.

Enfin, il serait souhaitable de renforcer la cellule qui traite du courrier.

Je répondrai à Mme Pau-Langevin sur les nouveaux établissements pénitentiaires plus tard. Pour ce qui est des projets pédagogiques des établissements pour mineurs, je crois qu'il faut fixer à chacun, et non de façon collective, un projet pédagogique à sa mesure, et qui soit gradué : se réconcilier avec ses parents ou avec l'école, s'exprimer autrement que par la violence, par exemple. L'attention à chaque personne prime. Je crains les directives trop générales. Il faut de l'imagination et de l'adaptation. Les petits effectifs de ces établissements le permettent.

Quant à l'articulation avec le défenseur des droits, elle se fera tout simplement, comme avec les anciennes autorités administratives indépendantes. Dès sa nomination, je lui proposerai une convention, comme celles que j'avais signées avec le Médiateur, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la Commission nationale de déontologie de la sécurité ou la défenseure des enfants, afin que les dossiers soient clairement répartis entre nous et que le citoyen n'ait pas à souffrir d'une quelconque difficulté de lecture.

M. Vidalies s'est inquiété des nouveaux établissements pénitentiaires. Il est très clair que la situation constatée il y a onze ans par le Parlement ne pouvait pas rester en l'état, et que je ne suis pas spécialement partisan de l'humidité et de la moisissure. L'amélioration du confort matériel dans ces établissements est indiscutable – un détenu m'a même dit : « Ici, c'est l'hôtel ! ». Tout cela suppose une maintenance convenable et, en la matière, même les établissements neufs sont encore loin du compte. Attention aux crédits de fonctionnement du ministère de la justice sur ce point !

Restent toutefois des défauts de fonctionnement tout aussi incontestables, et il ne s'agit pas d'une opinion subjective. Il suffit d'observer la proportion des surveillants absents pour congé, leurs demandes de mutation, les demandes de transfert des détenus : tous les indicateurs sont concordants. Je ne citerai qu'un exemple : le tout récent centre pénitentiaire du Havre, qui vient de connaître un mouvement social important et où l'on a dû remplacer les surveillants titulaires par des élèves de l'école nationale d'administration pénitentiaire ! Les surveillants sont extrêmement mal à l'aise. En particulier, l'architecture de ces établissements crée un sentiment de peur, parce qu'ils se trouvent seuls dans des coursives hors de la vue des autres surveillants. Conséquence naturelle, ils désertent ces couloirs – une des raisons de cette absence de dialogue que j'ai relevée. On a aussi cru bien faire en dotant chaque bâtiment de tous les équipements collectifs nécessaires : il n'y a plus une seule bibliothèque, mais une par bâtiment. Cela limite la circulation des détenus à leur propre bâtiment, et c'est un tort. Il faut leur assurer un minimum de mouvements : c'est une condition de la vie collective, et ce n'est pas le cas dans les nouveaux établissements.

Les nouveaux établissements ont souvent une gestion partagée, à la fois publique et privée, et plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur ce point. Je n'ai aucun état d'âme par principe sur la gestion privée. Toutefois, lorsqu'une partie des tâches de gestion est confiée au privé, ce qui est parfaitement légitime, certains chefs d'établissement ont tendance à s'en désintéresser. La cantine, l'accueil des familles, l'entretien ne sont alors plus leur affaire. Par conséquent, plus personne n'exerce une vue d'ensemble sur la gestion de l'établissement. Il y a là un risque. Le centre de Mont-de-Marsan, que j'ai visité, n'y a pas tout à fait échappé, ce qui est aussi un motif d'inquiétude des personnels.

Enfin, les détenus des nouveaux établissements sont souvent frustrés de dialogue, ce qui conduit inévitablement à l'agressivité et à la violence. Et, autre indicateur, le nombre d'agressions et de suicides y est proportionnellement beaucoup plus élevé que dans les vieux établissements.

Pour répondre à M. Aly, je dirai qu'il n'y a pas d'inconvénient de principe à ce que, dans un même bâtiment, coexistent deux fonctions différentes – en métropole, c'est l'inverse de Mayotte, beaucoup de locaux de rétention sont installés dans des commissariats de police –, mais à la condition que ces deux fonctions soient séparées de façon parfaitement étanche. Nous avons trouvé dans un certain nombre de centres de rétention des registres de garde à vue qui n'y avaient pas leur place, et avons dû alerter le procureur de la République. S'il y a à Mayotte, ce que nous n'avons pas constaté lorsque nous nous y sommes rendus en mai 2009, confusion des genres entre la garde à vue et le centre de rétention, elle doit être combattue avec la dernière énergie, d'autant plus que leurs régimes juridiques sont différents.

Je profite de la question de Mme Batho pour revenir sur les établissements pour mineurs.

Beaucoup ont affirmé, en 2002, que, parce que les EPM étaient des lieux fermés, il ne pouvait s'y réaliser aucun progrès éducatif. Je n'ai jamais épousé ce point de vue. Il est vrai que certains souffrent d'une mauvaise conception architecturale, avec une cour centrale : lorsqu'un enfant est emmené au quartier disciplinaire, toute la maison est mobilisée. Mais il existe une autre conception, beaucoup plus satisfaisante. Je déplore à cet égard que, sans doute pour des raisons d'économie, on ne construise aujourd'hui que selon un seul modèle – et cela vaut pour l'ensemble des établissements pénitentiaires. Je plaide pour la diversité architecturale, notamment auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, et j'encourage des projets comme celui de Pierre Botton, qui rompent avec la doctrine officielle.

Je ne suis pas défavorable au mélange des cultures professionnelles dans les établissements pour mineurs. L'association entre la PJJ, l'administration pénitentiaire et l'éducation nationale peut être, quand elle est bien pensée, que les chefs sont d'accord et que le personnel d'exécution suit, une réussite exemplaire. Mais il est des endroits où cela n'a pas fonctionné. À Meyzieu, les responsables ne se sont pas entendus, ce qui a valu à l'établissement beaucoup d'avanies. Mais je reste persuadé qu'une démarche plurielle est une bonne chose pour affronter les difficultés des enfants. Peut-être a-t-on voulu trop bien faire en occupant ces derniers du matin au soir : ils ont besoin de rêverie et de temps libre ! Mais cette volonté répond aussi à des nécessités.

Des paris très heureux ont été réussis dans les établissements pour mineurs. D'abord, c'est la première fois en France que l'accent est mis sur l'aspect collectif de la vie dans l'établissement. Les établissements sont divisés en unités dans lesquelles les mineurs prennent leurs repas avec le personnel, par groupes de dix ou douze. C'est une rupture radicale avec la tradition française, qui présente de grands avantages car la socialisation est indispensable à ces enfants. Le niveau d'investissement de l'éducation nationale représente un autre pari intéressant, mais cela ne suffit pas : la définition des projets pédagogiques doit se faire en fonction de chaque enfant et de façon beaucoup plus précise qu'aujourd'hui.

M. Raimbourg a évoqué un effectif théorique de soixante mineurs, mais les établissements n'en comptent de facto que quarante : on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas aller au-delà. Seul Marseille faisait exception, avec soixante jeunes qui s'entendaient relativement bien jusqu'aux événements récents. Par ailleurs, il n'y a pas incompatibilité entre le respect absolu du secret et l'échange des informations qui peuvent être partagées. C'est un problème qu'on a su régler pour ce qui est des travailleurs sociaux.

Il n'y a aucun progrès pour ce qui est des mineures, qui sont toujours hébergées dans des quartiers de femmes majeures pour la raison qu'elles sont très peu nombreuses. Certaines sont placées en établissement pour mineurs. Cela se passe en général plutôt bien, même si elles peuvent être aussi réactives que les jeunes garçons.

Enfin, je suis très attentif à la question des nourrissons. Le rapport annuel contient une proposition très claire : l'instauration d'un mécanisme d'aménagement ou de suspension de peine pour chaque détenue en passe d'accoucher, afin que plus aucun nourrisson ne se trouve en détention. Ce n'est d'ailleurs pas une révolution juridique : notre code de procédure pénale prévoit déjà un aménagement de peine pour raisons parentales. Il suffirait de le rendre un peu systématique. Une modification législative serait bienvenue à cet égard.

M. Vanneste a évoqué le travail en prison, qui est en diminution. Depuis 2008, le nombre de détenus au travail n'a cessé de baisser : 35 % aujourd'hui, selon l'administration pénitentiaire, mais je crains qu'elle ne compte les postes de travail plutôt que les personnes. Je pense qu'en fait 30 % des détenus sont au travail – 15 % dans les maisons d'arrêt. C'est tout à fait insuffisant. Outre le problème du volume du travail se pose la question de sa nature : il doit pouvoir offrir à la fois une réelle motivation et une qualification. Par ailleurs, je souscris à l'idée qu'un bon travail de préparation associe nécessairement l'intérieur de la prison et l'extérieur. Tant que ce lien n'existera pas, beaucoup restera à faire.

Quant aux produits illicites, il est notoire que l'alcool et le cannabis circulent en prison, ce dernier en grande quantité. On me parle aussi d'un renforcement de l'héroïne, en très petite quantité. Il faut absolument pouvoir repérer les gens qui font du trafic parce qu'outre le problème de base des stupéfiants, cette situation induit une domination absolument inacceptable de certains détenus sur d'autres. Il faut maintenir la vigilance sur ce point.

M. Valax a évoqué une période de formation commune pour le personnel des établissements pour mineurs. Je n'y suis pas hostile. De façon plus générale, je suis navré de l'absence de mécanisme de suivi institutionnel au profit du personnel pénitentiaire. Dans les établissements de santé, on peut recourir à des tierces personnes en tant que de besoin. Le personnel pénitentiaire ne le peut qu'en cas d'agression, malgré des conditions de travail extrêmement difficiles. Il faut renforcer ce suivi.

M. Verchère a rappelé les difficultés de l'établissement de Meyzieu. J'ai déjà parlé des problèmes de la conception architecturale et de l'accompagnement éducatif. Il faut améliorer les liens entre les différentes catégories de personnel.

Répondant à M. Hunault, je dirai que nous décomptons très précisément les caméras de vidéoprotection. Elles peuvent être très utiles en matière de sécurité et je ne vois aucun inconvénient à leur présence, hors des lieux de confidentialité et des cellules. Mais il faut savoir d'abord qu'elles présentent souvent un problème de qualité d'image, et ensuite qu'elles ne peuvent en aucune sorte remédier à des problèmes d'effectifs. Les deux sont étroitement complémentaires. Il est clair qu'une caméra ne réduira jamais la nécessité d'une présence humaine dans un couloir !

M. Nicolin a évoqué le centre de détention de Roanne. Je reste convaincu que, certes, les nouveaux établissements étaient indispensables, mais qu'ils doivent être améliorés. Il serait souhaitable de restaurer de petites unités et d'organiser des lieux de socialisation. Il importe aussi d'y simplifier les mouvements, entravés par des mesures de sécurité excessives.

Je suis d'accord avec M. Goujon pour ce qui est de la création de places.

Quant à un pouvoir d'injonction, je n'y tiens pas particulièrement : je suis en négociation avec les pouvoirs publics, pas en situation de leur enjoindre quoi que ce soit, et c'est pleinement satisfaisant. Par ailleurs, nous programmons une visite lorsque nous pensons qu'il sera intéressant de disposer de documents à l'avance, ou que les personnes préparent leur entretien. Nous nous rendons de façon inopinée dans les établissements de petite taille parce qu'il est facile d'y changer la situation, et dans les endroits où des difficultés semblent se produire.

Pour ce qui est du culte, j'ai publié un avis début avril. Il y a encore un certain nombre de difficultés. Nous sommes désormais sous le règne de la diversité religieuse : la liberté de conscience est un droit fondamental qui doit être assuré en prison, y compris pour les personnes qui n'ont aucune religion et pour les religions minoritaires.

Enfin, M. Gosselin a lui aussi évoqué les nouveaux établissements. Je ne méconnais pas leurs avantages, mais je maintiens mes critiques. Je n'ai aucun parti pris contre les partenariats public-privé, sauf qu'ils grèveront très lourdement le budget du ministère de la justice pour de longues années. Vous devez donc veiller aux crédits de fonctionnement !

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