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Intervention de Hael Al Fahoum

Réunion du 18 mai 2011 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Hael Al Fahoum, chef de la mission de Palestine en France :

C'est pour moi un plaisir et un insigne honneur de m'adresser à vous, honneur qui rejaillit sur mon pays, la Palestine, et sur le peuple palestinien qui résiste depuis plus d'un demi-siècle avec ténacité et une remarquable créativité à une agression multiforme et continue, aux déplacements, à l'occupation, à la colonisation et à la dépossession. Je ne ferai pas l'historique de notre tragédie et de notre résistance, que vous connaissez parfaitement : elles font partie de notre histoire et de notre mémoire partagées. Je vous inviterai plutôt à une réflexion commune sur l'avenir de notre région, et plus particulièrement des rives orientales et méridionales de la Méditerranée que nous avons en partage avec l'Europe et plus particulièrement avec la France.

Les peuples arabes sont en train d'écrire l'histoire. En se soulevant, ils disent qu'aucun diktat ne peut entraver le désir de liberté, que l'usage de la force brutale ne pourra jamais réprimer les aspirations des populations opprimées à la dignité, et finalement que la volonté de résister est supérieure à toutes les tentatives de destruction. Les événements considérables qui agitent aujourd'hui le monde arabe démontrent qu'il n'est pas possible d'ignorer les appels des populations oppressées, de prétendre régler le problème en détournant le regard.

J'appellerai votre attention sur la situation palestinienne, en analysant les raisons du blocage actuel et les conditions du progrès sur la voie d'une paix juste et durable, cette paix tant désirée mais constamment différée dont l'absence mine la stabilité de la région et dont la réalisation contribuerait à une transformation constructive de l'ensemble des relations internationales.

Sur le terrain, la descente aux enfers de notre peuple se prolonge. L'occupation militaire de la Cisjordanie, avec son cortège de violences et de destructions, de brutalités, d'enlèvements et d'exécutions extrajudiciaires avec leur lot de « dommages collatéraux », se poursuit. La colonisation continue de grignoter le territoire palestinien, peau de chagrin que le Mur morcelle plus encore en dépit d'une réprobation quasi-universelle. La Bande de Gaza reste soumise à un blocus cruel et dévastateur, auquel le récent « allégement » ne met nullement un terme. À Jérusalem-Est, les expulsions et expropriations des Palestiniens, qui procèdent de l'intention israélienne délibérée et non dissimulée de vider la ville de sa population arabe pour se l'approprier intégralement et exclusivement, rendent la vie quotidienne de plus en plus difficile, annonçant un avenir sombre.

D'évidence, le gouvernement israélien ne veut pas parvenir avec nous à un accord de paix suffisamment juste et équitable et exprimant une volonté réelle de réconciliation pour être durable. Le discours israélien officiel, qui a pour arrière-plan une politique de colonisation accrue et accélérée, se résume pour l'essentiel à faire porter à l'OLP et à l'Autorité palestinienne la responsabilité du blocage, parce qu'elles refusent de s'autodétruire et d'accepter le diktat de l'occupant.

Nous n'avons cessé de proclamer depuis plus de deux ans que la poursuite de la colonisation est incompatible avec toute tentative d'engager des négociations fructueuses puisque, en violation du processus engagé à Madrid il y a bientôt vingt ans, cette politique systématique vise à faire disparaître le territoire qui constitue l'objet même des négociations.

L'actuelle administration américaine, héritière du rôle de médiateur assumé depuis deux décennies par ses prédécesseurs, avait soutenu notre point de vue avec éclat dès son intronisation. Mais elle a, hélas, fini par renoncer à exiger l'arrêt de la colonisation, tout en continuant à la condamner car elle contredit le droit international, les accords signés et les engagements pris et constitue un évident obstacle à tout progrès vers la paix. De plus, les tentatives faites par la Maison Blanche d'échanger des largesses financières et militaires contre un moratoire de la colonisation, au demeurant partiel et limité dans le temps, se sont heurtées à une fin de non-recevoir.

Le veto américain opposé à une résolution votée par les quatorze autres membres du Conseil de sécurité, dont la France, et pourtant formulée dans le langage même du président Obama, signifie de manière évidente que les États-Unis ont, hélas, cédé face à l'obstination, pourtant suicidaire à long terme, des dirigeants israéliens. Ce dernier épisode ayant pratiquement sonné le glas du processus de paix dans son architecture actuelle, nous sommes aujourd'hui requis d'engager une réflexion novatrice sur les manières possibles de continuer à avancer malgré tout.

Les contours de l'unique solution possible à l'interminable conflit sont connus : établir un État palestinien indépendant, démocratique, pacifique et viable dans les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale ; trouver une solution équitable au problème des réfugiés, fondée sur la Résolution 194 votée en décembre 1948 mais toujours inappliquée ; libérer tous les prisonniers politiques. Cette solution, faut-il le rappeler, est en tout point conforme au droit international, aux termes de référence des accords déjà signés et à la substance du Plan de paix arabe. Mais, alors qu'elle fait l'objet d'un consensus international, la politique israélienne vise à la rendre impraticable.

Pourtant, l'établissement de cet État n'est pas seulement une exigence palestinienne : elle relève d'une nécessité absolue. L'administration américaine n'y a-t-elle pas reconnu un impératif pour sa propre sécurité ? N'est-il pas incongru que la communauté internationale reste passive, voire complaisante, alors que ses propres intérêts sont menacés ?

Mesdames et messieurs les représentants élus du peuple de France, gardiens des valeurs fondatrices de la République, vous devez savoir que le peuple palestinien ne nourrit aucun dessein agressif, négateur ou dominateur à l'égard de quiconque. Nous avons exclu par principe tout recours à la violence et nous souhaitons créer les conditions d'une réconciliation historique durable entre les peuples israélien et palestinien. Le peuple palestinien qui, dans un compromis historique, ne revendique pour territoire que 22% de sa patrie originelle, n'aspire qu'à l'exercice de son droit fondamental à disposer de lui-même.

Nous voulons la démocratie, la séparation des pouvoirs, la transparence des institutions. La liberté, l'égalité et la fraternité sont les valeurs cardinales que nous sommes fiers de partager avec vous. Notre peuple appelle de ses voeux l'établissement de l'État de droit ; mais comme il n'y a pas d'État de droit possible sans État tout court, dans notre cas, la réalisation de ce souhait implique l'arrêt total et définitif de la colonisation et la fin d'une occupation commencée en 1967.

Un ensemble de raisons géopolitiques font que l'Europe, au sein de laquelle la France a toujours joué un rôle moteur, est la mieux placée pour prendre une initiative et engager une action décisive permettant de remettre le processus politique sur les rails et de ramener Israël à la table des négociations sur la base de ces termes de référence.

Pour ce qui nous concerne, notre action doit suivre quatre axes principaux. Le premier est de construire l'économie et les institutions de l'État palestinien – qui est aujourd'hui reconnu par 120 nations et qui dispose de représentations à divers niveaux dans 27 autres pays -, pour être prêts à assumer nos responsabilités dans tous les domaines, la période transitoire de deux ans prévue par les accords déjà conclus venant à son terme en septembre 2011. En ce domaine, la coopération des États membres de l'Union européenne en général, de la France surtout, est capitale. Nous avons besoin d'approfondir le partenariat, l'action intergouvernementale commune et le dialogue paritaire.

Nous devons aussi reconstituer l'unité territoriale et juridictionnelle de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza et permettre la tenue de nouvelles élections législatives et présidentielles, notamment grâce à l'accord politique signé le 4 mai entre le Fatah et le Hamas. Cet accord ouvre la voie à la formation d'un gouvernement provisoire de technocrates indépendants, qui aura pour responsabilités premières de préparer les élections présidentielles et législatives et celles du Conseil national palestinien, de réunifier les institutions palestiniennes entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza, et de traiter de la reconstruction de la Bande de Gaza, en dépit du blocus. Là encore, la France et l'Europe peuvent jouer un rôle décisif en oeuvrant pour que soit mis un terme au blocus imposé à Gaza, un blocus dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il a été parfaitement contre-productif.

Il nous reviendra encore de rechercher par tous les moyens à ramener le gouvernement israélien à la table de négociation, non pas pour redessiner les frontières de l'État palestinien mais pour définir les procédures et les mécanismes de la coexistence pacifique entre les deux États, ce qui suppose de traiter de la sécurité, de l'eau, des réfugiés bien sûr, et du sort des colonies israéliennes disséminées sur le territoire palestinien. C'est la solution que nous avons acceptée et à laquelle nous demeurons attachés ; il ne faut pas laisser le désespoir s'emparer de notre peuple et la rendre caduque.

Il nous incombe enfin de poursuivre la résistance non-violente et la protestation contre l'occupation et la colonisation, tout en organisant la solidarité internationale avec cette mobilisation.

La dernière série de reconnaissances officielles de l'État palestinien dans ses frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, inaugurée par le Brésil qui a été suivi par une dizaine de pays d'Amérique latine, ouvre la voie à un progrès véritable. Elle rétablit les termes de référence du processus de paix, rendant la discussion sur l'État et ses frontières obsolète et futile. L'intégralité du territoire palestinien, dans ses frontières de 1967, est occupée : ce n'est pas un territoire « disputé » qu'il conviendrait peut-être de soumettre à un nouveau partage mais le lieu légitime, au regard du droit, de l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Aussi ces reconnaissances ne constituent-elles pas une alternative à la négociation : elles expriment au contraire la volonté d'en permettre la reprise sur des bases constructives. Elles envoient également au gouvernement israélien le signal clair de la détermination de la communauté internationale à ne pas baisser les bras, à ne pas épargner ses efforts pour contribuer à la paix.

Nous sommes confiants que la France, ayant constamment manifesté son engagement pratique en faveur de nos droits, depuis Charles de Gaulle, continuera d'agir avec la constance que nous lui connaissons pour les voir respecter. Son rôle moteur au sein de l'Union européenne, son histoire inscrite dans le cadre méditerranéen et dans le dialogue avec les pays arabes font de la France un partenaire privilégié et incontournable dans les efforts déployés pour recomposer un authentique processus de paix au Proche Orient.

Dans cette continuité, la France a récemment mené plusieurs démarches de front. Ainsi de la rencontre officielle entre les Présidents Sarkozy et Abbas, précédée d'une rencontre entre les premiers ministres, ou de la préparation de la Conférence internationale sur la Palestine prévue en juin 2011 à Paris – dont j'espère qu'elle se tiendra effectivement en dépit des multiples obstacles qui demeurent –, conçue comme une véritable plateforme politique et économique pour notre État.

La reconnaissance formelle de l'État de Palestine est la pierre angulaire de cette stratégie. La France se doit de jouer un rôle pionnier dans l'action pour la reconnaissance européenne de l'État palestinien au cours des mois à venir. Il y va de notre intérêt partagé, pour permettre à tous les enfants de cette région trop longtemps martyrisée de sortir du cercle infernal de la violence et de la haine, et d'envisager l'avenir avec espoir et confiance.

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