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Intervention de Philippe Folliot

Réunion du 17 mai 2011 à 21h30
Prix du livre numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Teissier, chers collègues, alors que les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont considérablement bouleversé à la fois l'activité économique, les relations humaines, notre vie quotidienne et l'industrie du disque et du film, il était temps que le législateur s'intéresse aux bouleversements en cours dans le monde du livre.

L'objectif initial du texte que nous examinons était plus ou moins d'appliquer le principe du prix unique du livre au monde numérique. Je profite de l'occasion pour saluer les trente ans d'application de ce prix unique du livre et me féliciter de tout ce qu'il a apporté tant au niveau de la création que de la distribution : il a notamment permis le maintien d'un réseau de libraires indépendants, qui est un appui tout à fait important en matière de diversité culturelle.

Notre groupe a déjà indiqué, lors des séances précédentes, par la voix de notre collègue Jean Dionis du Séjour, combien il lui paraissait inadapté et désuet de vouloir imposer à un marché naissant et plein d'avenir le cadre strict et dépassé de la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Il a également regretté que la proposition de loi ne tienne pas compte du modèle économique du livre numérique, qui induit une chaîne de valeur radicalement nouvelle. L'éditeur – celui qui sélectionne, imprime et diffuse les oeuvres – se trouve fragilisé dans la chaîne de valeur internet, qui va se recentrer autour d'un tandem formé par l'auteur et le distributeur électronique. Plutôt que de protéger l'éditeur, il faut au contraire réfléchir aux moyens législatifs de protéger l'auteur, le créateur.

Il faut également se poser la question fondamentale de l'évolution du droit d'auteur dans nos sociétés numériques. Cette proposition de loi ne revient-elle pas, d'ailleurs, à certains égards, à mener une bataille de retardement ?

Notre groupe est convaincu que l'application qui sera faite de cette loi confirmera le bien-fondé de notre position, comme pour la loi HADOPI.

Comme souvent, nos deux assemblées n'ont pas manifesté un accord général sur ce texte. Notre travail commun a permis, au fur et à mesure de la navette parlementaire, d'améliorer très singulièrement la rédaction du texte et la commission mixte paritaire a finalement réussi à trouver un point d'accord qui nous semble bien plus satisfaisant que le texte de départ.

La question de l'extraterritorialité est importante. Notre groupe en a fait le sujet central qui déterminera sa position sur ce texte. J'insiste à nouveau sur le fait que, au moment où internet efface les frontières, une loi qui ne toucherait que la France n'aurait aucun sens et, bien plus, fragiliserait nos chaînes de distribution et nos maisons d'édition. En effet, quel sens y aurait-il à imposer aux entreprises françaises des contraintes particulières si celles-ci ne s'imposent pas également aux géants étrangers du secteur, notamment américains ?

Dans la mesure où le droit communautaire reconnaît l'objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique, il nous semblait essentiel que cette proposition de loi s'applique aux éditeurs et distributeurs établis hors de France. Nous ne pouvons donc que regretter la suppression de la clause d'extraterritorialité à l'article 2, que les sénateurs avaient réintroduite en deuxième lecture.

Mais, heureusement, les dispositions de l'article 3 restent étendues à toutes les personnes, y compris celles établies hors de France, exerçant une activité de commercialisation de livres numériques à destination d'acheteurs situés sur le territoire national. C'est une avancée importante.

Je veux également souligner un point important touchant à la forme : il est très intéressant qu'ait pu avoir lieu une navette complète entre nos deux assemblées, soit deux allers et retours, car cela offre le temps de la réflexion et de la discussion. Les avancées permises grâce à cette navette – notamment sur la question de l'extraterritorialité, sur laquelle les avis des parlementaires étaient différents, voire opposés – n'auraient pas été possibles dans le cadre d'une procédure d'urgence.

Les centristes invitent donc le Gouvernement à privilégier autant que possible la méthode du dialogue plutôt que celle de l'urgence. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », dit le poète. Cela s'applique aussi au travail parlementaire.

Par ailleurs, dans le suivi de l'application de cette loi, il faudra rester attentif à la rémunération des auteurs. Ainsi, le rapport annuel présenté par le Gouvernement – ce qui est une très bonne chose – permettra de vérifier que l'application du prix unique favorise bien une rémunération « juste et équitable » des auteurs.

Nous saluons le progrès qui consiste à garantir une rémunération de la création et des créateurs en cas d'exploitation numérique de leurs oeuvres. Par là, la représentation nationale exprime haut et fort son refus de la « politique Amazon », qui consiste à ne favoriser que le consommateur.

Bien évidemment, cette loi risque d'être contestée par la Commission européenne, tout comme la loi Lang l'avait été en 1990, mais cela ne doit pas nous effrayer. Nous avons deux ans pour préparer nos arguments et mettre en avant l'exception culturelle, d'autant plus qu'il y a un schéma de complémentarité à trouver entre le livre physique et le livre numérique. Nous ne doutons pas, monsieur le ministre, que, fort du soutien du Parlement, vous ne soyez en mesure, dès jeudi prochain, de défendre cette position et cette exception culturelle à laquelle le Parlement français est plus particulièrement attaché.

Plus globalement, le groupe Nouveau Centre et apparentés tient à affirmer que nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion générale sur l'avenir du système français des droits d'auteur à l'ère numérique. Les auteurs doivent, à l'évidence, pouvoir bénéficier des retombées économiques de la croissance du secteur du livre numérique.

Nous souhaitons que cette loi préserve les intérêts des principaux acteurs, à savoir les auteurs, les éditeurs ou encore les libraires, tout en bénéficiant à l'ensemble des lecteurs : usagers des bibliothèques publiques ou universitaires, institutions culturelles et enseignement.

Nous souhaitons, enfin, que, dans un univers bouleversé par le numérique, où les modèles économiques associés sont complexes et mouvants, les nouveaux modèles de création et d'exploitation aient le droit de se faire entendre au même titre que les modèles traditionnels. Il y va de la compétitivité économique et culturelle de notre pays.

Enfin, je m'associe aux propos qui ont été tenus sur la qualité du travail réalisé dans le cadre de la navette entre nos deux assemblées et, plus particulièrement, au sein de la commission mixte paritaire. Je me félicite également de votre implication personnelle, monsieur le ministre, qui témoigne de votre double volonté d'accompagner les mutations technologiques tout en défendant l'exception culturelle des créateurs.

Pour toutes ces raisons, contrairement à ce qu'il avait fait en première et en seconde lecture, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera ce texte.

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