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Intervention de Isabelle Lemesle

Réunion du 11 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Isabelle Lemesle, présidente du Centre des monuments nationaux :

Je me réjouis de pouvoir vous apporter l'expertise du Centre des monuments nationaux qui est véritablement au coeur de votre sujet. En effet, la nécessité de valoriser le patrimoine culturel est une préoccupation que les responsables des grandes institutions culturelles de l'État et des collectivités locales partagent de longue date.

Avec 8 600 000 visiteurs chaque année, le Centre des monuments nationaux est le premier opérateur public culturel touristique français, un peu devant le Louvre ; nous sommes présents sur cent points du territoire, au travers des monuments que l'État nous confie ; notre budget est de 120 millions ; 1 400 agents travaillent avec nous.

Quand on préside un établissement de cette nature, on est d'abord un « patron » qui rend des comptes à son actionnaire – l'État – et qui se soucie de valoriser le patrimoine qu'il gère. Mais, à la différence du monde de l'entreprise, notre moteur est l'intérêt général et nous avons une mission de service public : conserver ce patrimoine pour le transmettre aux générations futures comme d'autres l'ont fait avant nous et faire connaître au plus grand nombre le patrimoine d'aujourd'hui. C'est dans ce contexte que nous avons à « gérer » un patrimoine extraordinaire et diversifié, qui va des grottes préhistoriques aux villas contemporaines.

Notre fonctionnement repose sur un système de péréquation que, dans leur proposition de loi relative à la relance éventuelle du transfert des monuments historiques de l'État aux collectivités locales, dont votre Assemblée est saisie, les sénateurs Legendre et Férat proposent d'inscrire dans la loi. De fait, ainsi que l'a dit Mme Benhamou, sur la centaine de monuments qui nous ont été confiés, six rapportent de l'argent et tous les autres en perdent. Comme ceux qui en gagnent permettent d'ouvrir à la visite l'ensemble des autres, on peut dire que nous pratiquons une « solidarité nationale patrimoniale » à laquelle nous sommes très attachés comme j'espère que vous le serez vous-même dans votre rôle de législateurs.

Avec nos 8 600 000 visiteurs, nous sommes un acteur économique créateur de richesses. Selon les études de public, la première motivation des visiteurs étrangers est d'ordre culturel – c'est du moins ce qu'ils disent car, même si nous ne pouvons ne pas en tenir compte, je me méfie beaucoup de ces études.

Nous sommes aussi une structure publique à laquelle l'État a délégué une compétence et qui doit l'exercer avec son soutien. Mais nous devons naturellement développer nos ressources propres pour faire plus et mieux. Pour ce faire, nous mettons l'économie au service de la culture, et non le contraire : c'est toute la philosophie de notre démarche.

C'est parce que les monuments nationaux sont les grands témoins de notre histoire et de l'histoire de l'architecture que l'État en est encore aujourd'hui le propriétaire et le gestionnaire.

S'agissant du rapport que Mme Benhamou vous a présenté, nous ne pouvons qu'être favorables à la proposition de trouver un mode de financement supplémentaire pour la conservation du patrimoine, à laquelle nous consacrons chaque année 40 des 120 millions de notre budget. Cette dépense est totalement prise en charge par l'État, modulo quelques mécénats. Je pourrai d'ailleurs revenir sur ce dernier : les Assises internationales du mécénat d'entreprise qui viennent de se tenir à Marseille ont confirmé qu'il a changé de nature ; il est désormais plus pérenne et plus solidaire.

Ancienne directrice de cabinet du ministre du tourisme, je considère que le taux de la taxe de séjour est certes important mais que la difficulté tient à la perception de cet impôt déclaratif : il y a une incohérence entre les sommes déclarées et les sommes perçues.

L'augmentation des tarifs pour les non résidents de l'Union européenne, elle n'aurait qu'un effet résiduel puisque la majeure partie de nos visiteurs est française ou européenne, le taux de visiteurs étrangers variant énormément d'un monument à l'autre. La fréquentation étant directement proportionnelle à la notoriété du monument, nous avons 1 500 000 visiteurs à l'Arc de Triomphe et 1 700 à Chareil-Cintrat, en Auvergne... Quels que soient les efforts considérables que nous déployons, en France comme à l'étranger, auprès du grand public comme des professionnels du tourisme, la marge d'augmentation reste donc modeste. Il convient également de prendre en considération l'image d'elle-même que la France veut donner aux pays émergents.

Si le Louvre est parvenu avec beaucoup d'efficacité et de talent à faire varier les tarifs selon les heures de la journée, on ne saurait en tirer des conclusions trop générales car il s'agit d'un monument urbain et, surtout, du plus grand musée du monde. La question mérite d'être étudiée, mais dans les monuments de province, la faiblesse de la fréquentation, notamment l'hiver, ne s'explique pas par le niveau des tarifs…

Enfin, la numérisation me semble une piste extrêmement intéressante. Les grandes institutions y travaillent déjà en constituant des bases de données. Elles ont aujourd'hui leurs sites internet où elles présentent les tarifs, les modalités d'accès et les monuments eux-mêmes. Pour autant, dans la mesure où nous croulons tous aujourd'hui sous les informations, je pense que ce n'est pas forcément par cette voie que nous capterons davantage de public. Qui plus est, le spectacle du monde n'est pas le monde : voir un monument sur internet, ce n'est pas le visiter ! La finalité de notre travail ne se résume pas à la diffusion de la connaissance, qui n'en reste pas moins au coeur de mes préoccupations, puisque je suis le « patron » des Éditions du patrimoine. Mais l'expérience de la visite d'un monument est irremplaçable et nous devons la faire partager à des publics plus nombreux.

J'illustrerai mon propos par un exemple. Hier, j'ai inauguré une exposition d'art contemporain à l'abbaye du Thoronet, merveilleuse abbaye cistercienne, mais peu fréquentée car au milieu de nulle part. À ma demande, Johan Creten, un artiste belge qui travaille en France, avait réalisé une création – autour de l'abeille car nous avons pris cette année les animaux comme thème principal – qu'il a mise en dialogue, dans le cloître, avec l'éblouissante architecture de l'abbaye. Mais cela suppose toute une politique de valorisation, de présentation et de promotion. De fait, c'est par l'événementiel que l'on attire le public dans les monuments. Nous baignons aujourd'hui dans un univers culturel « concurrentiel » où l'on propose des milliers de possibilités, sur internet ou dans les guides. Pourquoi aller au Thoronet plutôt qu'ailleurs ? Parce que l'on vous indique que c'est une abbaye cistercienne merveilleuse, mais surtout qu'elle abritera pendant six mois une extraordinaire exposition. Car la visite d'un monument est aussi une expérience à vivre. Elle touche aussi bien aux domaines du sensible que de la connaissance.

Enfin, l'action éducative est une de nos priorités. Nous menons de nombreux travaux en commun avec l'éducation nationale. J'ai signé l'an dernier avec M. Luc Chatel une convention au titre de laquelle des professeurs « relais » pourront nous accompagner dans la préparation des programmes de visite et des documents mis à la disposition des enseignants des établissements, en cohérence avec les programmes d'enseignement de l'histoire des arts.

1 commentaire :

Le 02/10/2011 à 14:23, Arias a dit :

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Patron-président, actionnaire-Etat, c'est assez troublant, c'est aller vite en besogne ... Aucun président précédent n'a défendu avec autant de conviction le CMN. Oui, c'est certain. Mais attention, il ne faudrait pas basculer dans l'exercice par trop personnel du pouvoir. Il ne sert à rien d'établir son "patronage" sur la seule conviction - ou vision que vous avez des affaires du CMN aujourd'hui - se dire un pour tous les autres et l'absolue conscience sur tout, se définir en creux par les atteintes à votre politique, et se construire uniquement en dénonçant et en sanctionnant les "retors" au nouveau système que vous imposer, Madame.

Nous devons débattre. C'est le moins que l'on puisse faire dans une République. C'est de l'avenir du CMN dont il s'agit, celui d'un établissement public culturel, même si vous doutez encore que les visiteurs des monuments ne viennent que pour ce seul intérêt ... de la culture des lieux. Les enjeux s'arrêtent là.

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