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Intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet

Réunion du 10 mai 2011 à 15h00
Interdiction de la fracturation hydraulique — Discussion d'une proposition de loi

Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président du groupe UMP et auteur de la proposition de loi discutée ce soir, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je crois que ces permis n'ont pas été donnés dans de bonnes conditions, et que les choses ont été faites à l'envers.

J'ai l'honneur de le souligner devant cette assemblée cet après-midi : ce n'est pas un problème de procédure. Les procédures ont été respectées. J'insiste sur ce point, car certains ont voulu jeter le doute à cet égard. En revanche ces procédures sont très insuffisantes, comme l'a souligné Serge Grouard, et cet épisode le révèle.

Le code minier est ancien. Depuis sa rédaction, le droit de l'eau a évolué, mais le code minier permet, d'une certaine manière, de le contourner. Ensuite il ne prévoit pas de consultation extensive des populations au stade du permis d'exploration ; j'y reviendrai plus tard. Enfin, le code minier prend en compte le droit et le point de vue de l'explorateur, mais très insuffisamment l'intérêt des territoires. Sur le fond, l'environnement local est en cause, notamment au vu de l'expérience vécue aux États-Unis, ainsi que l'environnement global. Est-ce le moment d'ouvrir un nouvel âge fossile pour la planète ?

Nous comprenons que le sujet soit sensible, et vous avez tous pu en faire l'expérience. J'en veux pour preuve les cinq propositions de loi déposées dans les deux assemblées, par plus de quatre cents parlementaires. J'en veux également pour preuve le grand nombre de courriers que nous recevons au ministère, la cinquantaine de délibérations et d'arrêtés d'interdiction qui ont été adoptés par les municipalités, les très nombreuses manifestations qui ont réuni plusieurs dizaines de milliers d'opposants à l'exploitation des gaz de schiste. J'en veux enfin pour preuve la très forte couverture médiatique du débat : nul n'ignore désormais ce qu'est la fracturation hydraulique, ou nul ne croit l'ignorer, car cela reste malgré tout assez compliqué !

Nous n'arrivons pas en terrain vierge puisque des autorisations ont été accordées, mais nous ne sommes pas non plus en terrain connu. La mission conjointe du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et du conseil général de l'environnement et du développement durable a rendu mi-avril un rapport d'étape qui est déjà dense et riche d'enseignements, mais ce rapport souligne surtout ce que nous continuons d'ignorer, qu'il s'agisse du potentiel économique de notre sous-sol, ou de la protection de l'environnement et de la limitation des nuisances pour la population.

Bien sûr, il existe des arguments en faveur de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste, notamment l'indépendance énergétique. Souvenons-nous que nous avons acheté à l'étranger 45 milliards d'euros d'hydrocarbures l'an passé. Néanmoins, comme l'ont écrit MM. Havard et Chanteguet dans le rapport qu'ils ont remis au nom de la commission du développement durable sur la présente proposition de loi, « nous ne pouvons pas prendre le risque de voir se développer sur le territoire national le recours à des techniques problématiques, et accepter que soient portés à l'environnement des dommages irréversibles. La sécurisation des approvisionnements énergétiques est un enjeu majeur, auquel il ne faut pas sacrifier nos valeurs. »

À quoi sert l'économie, si ce n'est à mieux vivre, à bien vivre, sur une planète dont le climat sera stabilisé, dans un environnement préservé et un climat social serein ? Lorsque nous invoquons le développement économique, nous pensons aussi au développement non industriel des territoires, au tourisme vert, à l'agriculture, à la viticulture biologique. Nous pensons par ailleurs à la cohérence de nos démarches, au moment où nous demandons à l'UNESCO l'inscription de l'espace remarquable Causses Cévennes au patrimoine mondial de l'humanité, et je sais, pour avoir rencontré les élus concernés par ce dossier, que vous êtes nombreux sur ces bancs à y être très attentifs.

Pensons aussi à l'échelle internationale. M. Chanteguet vient de souligner que si les gouvernements cédaient aux plus offrants, et faisaient jouer la concurrence entre les diverses formes d'énergies, l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels pourrait accentuer les changements climatiques. Nous prendrions alors le risque de l'ouverture d'un nouvel âge fossile. Cette exploitation pourrait, par ailleurs, retarder le développement des énergies renouvelables qui n'émettent pas de gaz carbonique.

Du point de vue de l'environnement local, l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels est une activité qui présente des risques ; Christian Jacob l'a indiqué dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi. Il est question de pollution des nappes souterraines, de pollution des sols, d'impacts paysagers – bien que les différences de droit des sols entre l'Amérique du Nord et la France amèneraient à nuancer ce propos – de bruit, d'augmentation du trafic routier. C'est surtout une exploitation qui consomme énormément d'eau, de l'ordre de 15 000 mètres cube par forage horizontal.

Même si certaines technologies utilisées sont en fait relativement anciennes, la multiplication des opérations de fracturation hydraulique pose en elle-même problème, et notre capacité collective à maîtriser ces risques fait débat. Il faut bien dire que le documentaire Gasland, nominé aux Oscars, nous a tous impressionnés avec cette boule de feu qui sort d'un robinet dans une maison aux États-Unis.

Nous avons donc décidé d'appliquer le principe de précaution, qui n'est pas de ne rien faire alors que le monde évolue, comme certains le pensent parfois, mais qui est de faire pour écarter le risque. Nous avons agi de telle manière qu'il y ait de facto une suspension des forages, notamment des forages avec fracturation hydraulique, et cela dès le mois de février.

Par ailleurs nous avons voulu en savoir plus. Le Gouvernement a lancé une mission et, dans le même temps, le Parlement créait une mission parlementaire conduite par les députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin.

Maintenant, nous avons l'occasion, avec votre proposition de loi, d'aller plus loin dans la mise en oeuvre du principe de précaution. Lorsque je siégeais parmi vous, j'ai été un peu associée à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, et je me réjouis de cette nouvelle occasion de l'illustrer. Le principe de précaution est ici l'interdiction des forages avec fracturation hydraulique, à la lumière de ce qu'ont dit les uns et les autres. Il s'agit bien d'abroger tous les permis de recherche qui n'ont plus de raison d'être, après l'interdiction de la fracturation hydraulique. Nous pourrons revenir sur les détails ; nous pourrons débattre toute la soirée, et peut-être une partie de la nuit pour ce faire. Il s'agit de le faire de la manière la plus sûre juridiquement.

Pour être encore plus clair, il s'agit d'éviter de prêter le flanc à des demandes de compensation financière qui n'ont pas lieu d'être mais qui pourraient trouver à se fonder sur une formulation moins sûre que celle qui vous est proposée.

Le principe de précaution, c'est aussi l'évaluation des risques et la recherche scientifique. Dans votre proposition de loi figure une demande de rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement pour avancer sur ces questions.

Je veux enfin m'exprimer sur les travaux scientifiques, tels que je les conçois.

Ils nécessitent, je le crois, un encadrement très strict et doivent bénéficier de toutes les garanties techniques et environnementales. Nous avons surtout besoin d'un comité scientifique et également d'un comité national dans l'esprit du Grenelle qui réunirait des représentants d'ONG, des parlementaires, des élus locaux, des associations de riverains, par exemple sur le principe du comité local d'information, afin de ne pas retomber dans ce qui a créé l'abcès de fixation le plus important sur ces permis : le sentiment que les choses ne sont pas suivies, se passent ailleurs et qu'elles ne se déroulent pas dans la plus grande transparence.

Si le code minier doit prendre en considération les droits et le point de vue de l'explorateur, il faut aussi qu'il soit ouvert à l'expression des territoires. Ce comité national peut être le lieu pour ce faire. Sans doute faudra-t-il du temps pour le mettre en place avec toutes les garanties nécessaires. Le premier rapport annuel du Gouvernement au Parlement sera l'occasion de présenter des propositions.

Je terminerai en traitant du code minier. J'ai commencé par là, je finis par là, parce que je crois que nous devons saisir l'opportunité de ce débat pour poursuivre la réflexion et préparer cette réforme.

De façon cohérente et sans attendre, le Gouvernement a profité d'une opportunité de calendrier pour remédier à un problème que tout le monde reconnaissait, à une insuffisance du code minier : la non-consultation des populations au stade de la délivrance des permis de recherche.

L'ordonnance portant partie législative du code minier qui a été approuvée par le Gouvernement le 19 janvier et publiée le 25 janvier – c'est très classiquement un travail de codification à droit constant – peut être cette occasion. Le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de l'ordonnance devant le Parlement, qui amène une première évolution. Le texte instaure une procédure de consultation du public sur les demandes de permis de recherche, ainsi que sur les demandes de prolongation des concessions. Cela ne fait pas l'objet de notre débat, mais, aujourd'hui, il peut y avoir aujourd'hui des prolongements de concession sans qu'il y ait participation, association, consultation du public ; c'est aussi une particularité du code minier.

De mon point de vue, les modifications qui sont proposées par le Gouvernement constituent une première étape. Je suis favorable à ce que ce texte de recodification puisse être complété pour prendre en compte toutes les questions qui ne pourraient pas être tranchées dès aujourd'hui, parce que ce n'est pas l'objet de votre proposition de loi.

En tout cas, vous l'avez compris, mesdames, messieurs les députés, je serai extrêmement vigilante sur ce sujet. Si la loi est votée et promulguée, elle sera évidemment et intégralement appliquée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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