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Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 4 mai 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, rapporteur :

La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui me paraît tout à fait exceptionnelle, voire inédite. Ce n'est pas en effet pour l'examen d'un projet de loi, ni d'une proposition de loi déposée par un groupe d'opposition et qui n'a aucune chance d'être adoptée, que le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée, mais sur une proposition de loi du groupe majoritaire, sur un sujet qui a receuilli un certain consensus. En effet, il fait l'objet de pas moins de cinq textes, très proches dans leur rédaction, déposés entre le 24 mars et le 13 avril : trois sur le bureau de l'Assemblée, ceux des groupes UMP et SRC et celui de Jean-Louis Borloo ; deux sur celui du Sénat.

Notre commission ne peut pas examiner ce texte sans s'interroger sur ce qui ressemble à un dysfonctionnement de l'appareil de l'État. Les parlementaires de toutes sensibilités ont considéré qu'il revenait au pouvoir politique de faire écho à la forte mobilisation des citoyens et des élus des territoires concernés, et de tenir compte des préoccupations qu'elle exprime.

Si j'ai accepté d'être désigné comme co-rapporteur de ce texte, c'est d'abord parce que le groupe SRC avait inscrit sa proposition de loi à l'ordre du jour du jeudi 12 mai, mais aussi parce que notre volonté est de dégager une position commune qui fasse la synthèse des trois propositions de loi. Enfin, je suis de ceux qui ont pensé très tôt que le Parlement devait abroger les permis exclusifs de recherche et interdire l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste.

Avec Michel Havard nous avons auditionné dans l'urgence juristes, politiques et industriels, afin d'appréhender au mieux ce sujet complexe, en étant à l'écoute de ceux qui détiennent savoir et expérience, de ceux qui entreprennent et agissent, tout en gardant, je le crois, le regard du politique dont la responsabilité est aussi de défendre des valeurs comme le droit à l'information et la protection de l'environnement.

Le vent de la contestation qui s'est levé en région parisienne et dans le sud de la France est d'abord né de la dénonciation de l'opacité dans laquelle ont été attribués les permis exclusifs de recherches, mais aussi de la condamnation de la technologie de la fracturation, dont tout indique qu'elle n'est pas une technologie propre et respectueuse de notre environnement. Les risques sont connus et identifiés. Afin de fracturer la roche en profondeur et de libérer la ressource qui y est piégée, on injecte dans le puits un fluide à très forte pression, composé environ de 95 % d'eau, de 4 % de billes de sable et de 1 % d'additifs chimiques. Selon le rapport rendu le 18 avril par la commission de l'énergie et du commerce de la Chambre des Représentants américaine, les quatorze compagnies pétrolières et gazières auditionnées auraient, entre 2005 et 2009, utilisé 2 500 produits de fracturation hydraulique contenant 750 composés chimiques. Parmi ces produits, 29 sont reconnus comme cancérigènes ou susceptibles de l'être, présentent des risques pour la santé humaine et sont considérés comme des polluants susceptibles d'endommager la qualité de l'air.

À cela s'ajoute l'utilisation de très importantes quantités d'eau – entre 10 000 et 20 000 mètres cubes pour un puits de gaz de schiste. De tels prélèvements sur la ressource sont difficilement acceptables, surtout dans des territoires régulièrement frappés par la sécheresse et des limitations de l'usage de l'eau. Si certains industriels ont mis en avant la possibilité d'acheminer l'eau sur les sites de production par des canalisations, la solution utilisée aux Etats-Unis, et la plus simple, est celle de l'acheminement par camions. Selon les conclusions de la mission conjointe du CGIET et le CGEDD, la réalisation d'un puits de recherche, avec drain horizontal et fracturations, nécessite entre 900 et 1 300 voyages de camions, dont 500 à 600 voyages de camions citernes.

Sont également en cause les risques de pollution des eaux sous l'effet de la pression, les fissures pouvant, si elles sont mal maîtrisées, constituer un drain vers les aquifères supérieurs ou des couches plus poreuses, ou au moment critique de la remontée d'une partie du fluide de fracturation vers la surface : une déficience de la protection du forage permettrait à certaines substances de traverser le tubage et de polluer directement les aquifères. Enfin, le traitement des eaux usagées peut entraîner de graves difficultés, puisque la partie du fluide de fracturation remontée à la surface, soit entre 30 et 80 %, peut contenir des métaux lourds, comme l'arsenic, ou des éléments radioactifs.

En outre, lors de la phase initiale de production de ces hydrocarbures, l'emprise au sol des équipements et des installations est particulièrement importante, au détriment des paysages et de la biodiversité.

On peut craindre, par ailleurs, une atteinte à l'économie agricole et touristique de ces territoires, à leur identité, telle qu'elle fasse échouer les demandes de classement du bassin de la Dordogne en réserve mondiale de biosphère, et des Causses et des Cévennes au patrimoine mondial de l'humanité.

Certains préfèrent rejeter en bloc toutes ces critiques sous le prétexte que, chez nous, tout serait plus propre et plus sûr qu'aux États-Unis. Ceux-là sont contredits par le ministre chargé de l'énergie, qui a reconnu « l'existence aujourd'hui de risques, incontestablement, qui ne sont pas bien maîtrisés ».

Si un accord a été trouvé sur l'interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, et l'abrogation des permis exclusifs de recherches, nous nous sommes heurtés à deux obstacles majeurs : d'une part, il n'existe pas de définition juridique des mines d'hydrocarbures non conventionnelles ; d'autre part, les permis exclusifs de recherches ne précisent pas le type d'hydrocarbure recherché ni la technique employée. Il nous était donc impossible de fonder une interdiction sur les deux critères retenus dans la version initiale de la proposition de loi. C'est pourquoi nous vous proposerons une nouvelle rédaction de l'article 1er, par laquelle seule la technique de fracturation emportera interdiction.

En réponse à une question d'actualité de Christian Jacob, le Premier ministre a indiqué qu'il était favorable à l'annulation des autorisations qui avaient déjà été délivrées, sans que le Gouvernement puisse caractériser ces permis exclusifs de recherches. Nous souhaitons que leurs titulaires apportent des garanties quant aux techniques d'exploration ou d'exploitation auxquelles ils ont recours, et qu'ils s'engagent à ne pas recourir à la fracturation hydraulique.

Nous souhaitons enfin supprimer l'article 3, modifiant le code de l'environnement, qui soumettait les procédures d'attribution des concessions de mines et des permis exclusifs de recherches, à débat public, enquête publique et étude d'impact. C'est en effet une réforme globale et complète du code minier qu'il faut engager. Au-delà du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 20 janvier 2011, portant codification de la partie législative du code minier, il conviendrait d'attendre la remise du rapport de la mission conjointe du CGIET et du CGEDD et de celui de la mission d'information conduite par François-Michel Gonnot et Philippe Martin. Toutefois, nous attendons du Gouvernement qu'il s'engage à inscrire, à l'ordre du jour de Parlement, dans un délai raisonnable, un projet ou une proposition de loi modernisant le code minier.

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