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Intervention de Michel Havard

Réunion du 4 mai 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Havard, rapporteur :

La proposition de loi vise un triple objectif. Elle tend d'abord à garantir la protection de l'environnement et la sécurité sanitaire face aux risques engendrés par une technologie qui apparaît encore perfectible et peu conforme aux objectifs de développement durable que nous nous sommes fixés. Ensuite, elle entend répondre à l'inquiétude de nos concitoyens, que nous avons tous ressentie sur le terrain. Enfin, elle constitue une première étape vers la mise en place d'une information du Parlement sur les techniques d'exploration et d'exploitation du sous-sol et la connaissance de nos réserves énergétiques, ouvrant la voie à une réflexion sur la modernisation de notre code minier, au service d'une politique énergétique ambitieuse et conforme à nos engagements.

À l'origine, le débat portait sur l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels. Au cours de nos travaux, nous avons compris que ce n'est pas la nature de l'hydrocarbure qui pose problème, mais la technique d'extraction employée dans certains cas : la fracturation hydraulique, du fait des risques environnementaux et sanitaires qu'elle présente. L'eau constitue le principal de ces problèmes, à tous les stades de la production : par la quantité utilisée – entre 5 000 et 10 000 mètres cubes pour un puits d'huile de schiste, et entre 10 000 et 20 000 pour un puits de gaz de schiste – ; du fait de la pollution des nappes phréatiques à l'occasion de la fracturation et de la remontée d'une partie du fluide de fracturation vers la surface, et du fait du traitement des eaux usagées chargées de métaux lourds. En août 2010, la ville de New York a suspendu l'exploitation des gaz de schiste dans les zones du gisement de Marcellus Shale situées à proximité des nappes phréatiques alimentant la ville, afin d'éviter tout risque de contamination.

La présence d'additifs chimiques dans le fluide de fracturation constitue également un sérieux problème. Certes, ils ne représentent que 0,5 % de la composition du fluide, mais cela correspond tout de même à un volume de plusieurs dizaines de mètres cube par puits. Le rapport sur ce sujet de la commission de l'énergie et du commerce de la Chambre des Représentants américaine, publié le 18 avril, fait état de l'utilisation de benzène, de toluène, d'éthylbenzène et de xylène, les « BTEX », dont la dangerosité pour la santé humaine est reconnue.

Ce n'est pas ici le lieu d'énumérer l'ensemble des risques liés à l'utilisation de la fracturation hydraulique. Je rappellerai simplement qu'à travers le Grenelle de l'Environnement et la Charte de l'environnement, nous avons manifesté un engagement fort en faveur de la protection de notre environnement et de la santé humaine. Dès lors, les risques environnementaux et sanitaires de la fracturation hydraulique justifient son interdiction.

Mais nos auditions nous ont appris que la fracturation hydraulique n'était pas nécessairement utilisée dans l'exploitation d'hydrocarbures dits « non conventionnels » – ainsi Gazonor extrait le gaz de houille par simple pompage dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. À l'inverse elle peut l'être dans l'exploitation d'hydrocarbures dits « conventionnels » : la fracturation hydraulique est alors employée comme technique de stimulation de la roche ou du réservoir, afin d'améliorer la productivité du puits. Dès lors, comment interdire une technique pour un type d'hydrocarbures et l'autoriser pour un autre ? C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, dans l'article 1er, de supprimer la référence au caractère « non conventionnel » des hydrocarbures, et d'interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par forage suivi de fracturation hydraulique.

Il y a encore quelques mois, les techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux mises en oeuvre sur notre territoire étaient méconnues et peu de nos concitoyens, voire peu d'entre nous, avaient connaissance de l'existence de permis exclusifs de recherches si nombreux sur notre territoire. Le succès du film Gasland et la mobilisation des élus, des associations et des riverains ont attiré l'attention des médias, qui ont fortement relayé une contestation devenue quasi nationale. Tel est le contexte auquel nous sommes confrontés. L'émotion est vive parmi nos concitoyens et il est de la responsabilité de la représentation nationale d'être à l'écoute de leur inquiétude. Du sud de la France au Bassin parisien, la contestation a rassemblé des personnalités politiques aux sensibilités habituellement opposées, des collectifs citoyens plus ou moins familiers des activités de l'industrie pétrolière ou gazière. Aujourd'hui, nos interlocuteurs, industriels ou associations, nous ont fait part de l'amalgame qui existe entre la fracturation hydraulique et un simple forage, le gaz de schiste et le gaz de mine prélevé dans les anciennes mines exploitées par Charbonnage de France.

Cette réaction de la population et des élus est tout à fait légitime, tant la découverte de ces permis a été brutale, et a surpris nombre d'acteurs, même parmi les plus concernés. L'affaire est bien mal engagée. Il nous incombe de clarifier le débat, et de permettre d'identifier avec précision les points problématiques, afin de garantir à une industrie oeuvrant depuis des années sur notre territoire dans des conditions satisfaisantes de poursuivre et de développer ses activités, et de convaincre nos concitoyens de l'impossibilité pour ces opérateurs d'avoir recours à des technologies présentant des risques pour l'environnement, la santé, l'identité de nos territoires et allant à rencontre de nos valeurs.

Au terme de notre travail, nous sommes d'avis qu'il faut nous concentrer sur l'interdiction de la fracturation hydraulique, et obtenir des titulaires de permis des garanties quant aux techniques qu'ils emploient dans le cadre de leurs activités de recherche. Si l'usage de la fracturation hydraulique a été effectif, ou s'il est essentiel aux travaux d'exploration, nous souhaitons que les permis concernés soient abrogés : tel est l'objet de l'article 2.

Il ne faut pas cependant négliger l'avenir. Les débats auxquels a donné lieu la question des gaz et huiles de schiste au cours de l'année 2011 ont mis en exergue l'existence de plusieurs écueils. D'abord, le Parlement ne dispose pas d'informations satisfaisantes sur la mise en valeur de notre sous-sol, alors qu'il s'agit d'une composante essentielle de la politique énergétique qu'il doit contribuer à élaborer. Ensuite, le cadre législatif et réglementaire des activités minières est obsolète et doit être modernisé d'urgence.

Il est regrettable que le Parlement ne soit pas plus amplement associé à la mise en valeur du sous-sol national. Doit-on rappeler que, selon l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les ressources naturelles font partie du patrimoine commun de la nation ? Certes, notre commission a créé, le 1er mars dernier, une mission d'information relative à la question des huiles et gaz de schiste, et ses rapporteurs, François-Michel Gonnot et Philippe Martin, doivent rendre leurs conclusions le 8 juin prochain. Mais, au-delà, nous pensons nécessaire que soit remis tous les ans au Parlement un rapport sur l'évolution des techniques d'exploration et d'exploitation et la connaissance du sous-sol en matière d'hydrocarbures liquides ou gazeux. La France a la chance de compter dans le domaine minier des acteurs de performance mondiale, qu'il s'agisse d'entreprises privées comme Total ou GDF-Suez, ou d'organismes publics, tels que IFP-Énergie Nouvelles, le BRGM ou l'INERIS. Par ailleurs, certaines recherches universitaires, telle celle consacrée aux additifs chimiques par l'ENS-Lyon, intéressent fortement les opérateurs miniers. Le Parlement doit être au fait de l'expertise des acteurs nationaux, ainsi que les initiatives existant au niveau européen, comme le consortium GASH, ou international.

Au-delà, il est nécessaire de réformer notre législation minière. Le code minier est obsolète, même dans sa nouvelle version issue de la codification qui doit être ratifiée par le Parlement. Il ne satisfait pas à l'obligation d'associer le public à la prise de décisions susceptibles d'affecter l'environnement, telle que définie par la Charte de l'environnement et la Convention dite d'Aarhus, ratifiée par la France en 2002. Au-delà de ces engagements nationaux, il ne répond pas au désir légitime de transparence exprimée par la population et par beaucoup d'élus des territoires concernés.

Il est dans l'intérêt de notre développement énergétique de procéder à une réforme d'ampleur du code minier, qu'il nous est impossible de réaliser, faute de temps, par le biais de cette proposition de loi. Les conclusions du rapport du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET), et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), ainsi que celles que nos collègues François-Michel Gonnot et Philippe Martin nous présenteront, contiendront sans nul doute des propositions dans ce domaine. Il sera de la responsabilité du Parlement de s'assurer de l'inscription à l'ordre du jour d'un texte conforme à ces conclusions.

Avec Jean-Paul Chanteguet, nous avons dépassé nos différences de sensibilité politique pour vous proposer aujourd'hui un texte qui respecte les règles en vigueur dans un État de droit, apaise l'émotion légitime qui anime nos territoires et pose les conditions d'une stratégie énergétique. Nous n'en sommes qu'au début du débat, et la discussion doit se poursuivre.

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