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Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 5 avril 2011 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Gaubert, président :

Nous avons commencé à travailler sur ce sujet depuis plusieurs mois déjà. Tous les membres de la mission n'ont pas pu être présents à toutes les auditions, qui furent nombreuses. La plupart étaient là lorsqu'ils le pouvaient, mais je dois dire qu'un petit noyau de « fidèles » s'est dégagé : M. le rapporteur, évidemment, mais aussi Mme Frédérique Massat, M. François Brottes, M. Daniel Paul, ou encore M. Jean-Pierre Nicolas.

Nous avons assez rapidement écarté du champ de la mission les réseaux de distribution de gaz, car ils relèvent de problématiques différentes. Lorsque l'on parle de sécurité des réseaux de gaz, on entend la sécurité des « biens et des personnes », et non celle des réseaux en eux-mêmes. En outre, la question qui nous a préoccupés, la qualité de la desserte de l'ensemble du territoire, ne se pose justement pas dans le cas des réseaux gaziers, pour lesquels il n'existe pas d'obligation légale de desserte de tous les citoyens, contrairement au cas des réseaux d'électricité.

La sécurité des réseaux d'électricité fait référence à la continuité et à la qualité de l'électricité distribuée. Nous avons tous en mémoire les grands épisodes que nous avons connus au cours des dix dernières années : les tempêtes Lothar et Martin de 1999, Klaus et Quentin de 2009, Xynthia en 2010, ou encore les épisodes de neige collante. Pour la petite histoire, la mission devait se rendre dans les Côtes-d'Armor en décembre pour étudier les problèmes liés aux « fils nus », mais le déplacement a dû être annulé en raison d'importantes chutes de neige. Cela montre bien qu'il n'y a pas qu'en montagne que l'on connaît des épisodes de neige collante… La plupart de ces aléas climatiques sont classés dans la catégorie des « événements exceptionnels » ; le rapport analyse cette notion et montre qu'il existe un débat entre le gestionnaire du réseau, ERDF (Électricité réseau de distribution France), et le régulateur, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), sur leur définition. Confrontés à la fréquence croissante des épisodes venteux, on ne peut plus considérer qu'ils sont de nature exceptionnelle, car cela inciterait à ne pas mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour que le réseau puisse y résister.

Nous constatons une dégradation indéniable de la sécurité des réseaux, qui dure maintenant depuis une décennie. Le temps de coupure moyen, que l'on appelle le « critère B », a baissé durant la décennie 1990, puis a augmenté depuis le début des années 2000. C'est un constat qui est partagé par tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés. Une telle dégradation est corrélée à la diminution des investissements du gestionnaire du réseau. Plus précisément, l'augmentation du temps de coupure s'explique par une baisse des investissements dont on peut dater le début en 1993 ; les effets de celle-ci ne se sont fait sentir que quelques années plus tard. Le temps de coupure moyen actuel est environ le même que celui du début des années 1990 : ce qui a été gagné dans une décennie a été perdu dans l'autre.

Mais il y a pire. Le temps de coupure moyen cache beaucoup d'inégalités, ce que ce rapport s'attache à montrer. Il existe une ligne de clivage qui oppose, schématiquement, d'un côté la région parisienne et les grandes agglomérations, qui bénéficient d'un temps de coupure bas, de l'autre, les départements de montagne, mais aussi ceux du Centre de la France, qui subissent des temps de coupure élevés. À l'intérieur de ces départements, les zones urbaines ne sont pas trop concernées : ce sont surtout les zones rurales, qui peuvent compter des interruptions de courant allant jusqu'à plusieurs jours. De telles inégalités territoriales sont encore trop méconnues. C'est pourquoi nous proposons d'introduire un indicateur qui permette de mesurer les écarts à la moyenne. Je rappelle qu'il est plus facile et moins coûteux d'agir en faveur ceux qui sont déjà bien servis, parce qu'ils sont plus nombreux.

Revenons au sujet des investissements : alors qu'ils s'élevaient à 3,2 milliards d'euros en 1992, ils n'étaient plus que de 1,6 milliard en 2004. Ces chiffres sont éloquents… Cela montre d'ailleurs que la responsabilité de la dégradation de la qualité de l'électricité n'incombe pas aux opérateurs de terrain, qui ont travaillé avec les moyens dont ils disposaient. D'autres choix ont été faits à l'époque, qui favorisaient plutôt le développement à l'international que le réseau de distribution. S'ajoute un recul des dépenses d'entretien, en particulier d'élagage. Lors d'une tempête, ce ne sont pas les fils qui se décrochent des poteaux, mais les arbres qui tombent sur les fils. Il faut reconnaître que cela arrangeait à la fois ceux qui ne voulaient plus que l'on touche à leurs arbres et EDF, qui voyait ses charges se réduire.

Je voudrais également signaler les conséquences lourdes de certains choix techniques en matière d'investissements. Il s'agit d'une part du monophasé en bout de réseau, privilégié par EDF : on ne se sert que d'un fil sur les trois ; quand le fil unique est saturé, on est alors obligé de tirer un nouveau câble, tout ça pour n'utiliser, une fois de plus, qu'un seul fil. Les impacts financiers de tels choix sont très élevés et l'on doit s'en alarmer. Le triphasé ne représente pas une charge beaucoup plus importante pour le consommateur ; y recourir systématiquement engendrerait des économies d'argent public considérable. D'autre part, la généralisation des pompes à chaleur, d'ailleurs souvent en monophasé, a l'avantage d'entraîner une diminution de la consommation d'énergies fossiles, et l'inconvénient d'accroître la consommation d'électricité. Surtout, le démarrage d'une pompe à chaleur requiert un fort appel de puissance, ce qui oblige à redimensionner les fils en conséquence. Pour illustrer le poids que cela représente pour la collectivité, je prendrai l'exemple du département des Côtes-d'Armor, que je connais bien : sur dix millions d'euros de crédits octroyés par le FACE (Fonds d'amortissement des charges d'électrification), deux millions, soit 20 % du total, ont été consacrés aux travaux nécessaires au démarrage des pompes à chaleur. On pourrait sans doute citer des chiffres comparables dans d'autres départements.

Venons-en au débat sur la responsabilité respective des collectivités locales et d'ERDF en matière d'investissements. Je ne voudrais pas entrer dans cette polémique, mais je rappellerai tout de même que, parallèlement à la baisse des investissements du gestionnaire du réseau, les collectivités concédantes ont doublé leurs propres investissements entre 2004 et 2010. Ceux-ci sont financés pour une part seulement par des prélèvements sur les recettes tarifaires d'ERDF, le reste provenant de ressources propres des collectivités locales, notamment les produits de la taxe locale sur la fourniture d'électricité. Au moins 420 millions d'euros, soit le montant des taxes prélevées directement par les syndicats d'électrification, sont affectés aux travaux sur le réseau.

Autre débat : où sont les problèmes ? ERDF considère qu'ils sont sur le réseau en moyenne tension (HTA), ce à quoi je répondrai que depuis vingt ans, déjà, la HTA est pointée du doigt. Que n'a-t-on investi avant ? La dégradation de l'état des réseaux HTA est indéniable, mais il ne faut pas oublier que le réseau en basse tension (BT), comporte encore cent mille kilomètres de fils nus, situés principalement dans l'Ouest de la France. De plus, les longs réseaux qui desservent les habitations isolées ou les exploitations agricoles ne doivent en aucun cas être négligés si l'on veut diminuer les inégalités en matière de qualité de l'électricité.

Dans un rapport récent, la CRE considère que la gouvernance est la clé du problème. Cette analyse me semble un peu exagérée, même si l'on constate effectivement que les relations entre les collectivités locales, propriétaires des réseaux, et le concessionnaire sont devenues plus difficiles depuis un certain temps. La déstructuration de l'organisation territoriale des services de la distribution d'électricité, du fait, sans doute, de la filialisation d'ERDF, et de nouvelles politiques de management, a également contribué à de telles difficultés. Certains agents se sentent découragés, même si l'on peut noter une amélioration récente sur ce point.

Enfin, je voudrais évoquer certains changements qui sont intervenus. En premier lieu, avec la filialisation d'ERDF au sein d'EDF, on peut désormais distinguer quels sont les investissements de chacune des branches du groupe. Auparavant, on ne pouvait savoir quels étaient les montants qui étaient engagés sur le réseau, et les programmes d'investissements annoncés étaient souvent bien loin de ce qui était réalisé. La filialisation, associée à l'introduction du mécanisme du TURPE (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité), ont permis de clarifier les flux financiers. Pour autant, on n'a pas la certitude que la totalité des investissements prévus par le TURPE est dépensée. En particulier, sur les deux premières années du TURPE actuel, la trajectoire des investissements d'ERDF est inférieure à la trajectoire prévue par le TURPE : celle-ci était fixée à 2 588 M€ en 2009 et 2 732 M€ en 2010, alors que les investissements réalisés ne s'élevaient qu'à 2 313 M€ et 2 560 M€. La différence était donc de 275 M€ en 2009 et 172 M€ en 2010. ERDF ne peut donc pas se réfugier derrière l'argument selon lequel elle serait mal rémunérée, car la CRE, dans sa grande bonté, a accordé à ces investissements un taux de rémunération de 7,25 %.

En second lieu, la loi du 10 février 2000 dispose que le gestionnaire du réseau de distribution doit offrir une desserte d'une « qualité régulière ». Or, les textes d'application, qui ont péniblement été pris, admettent qu'il existe trois zones de qualité en France et que celles qui sont plus éloignées des centres urbains pourraient être plus mal traitées que les autres. Les pénalités sont de toute façon si peu coercitives que ces dispositions sont tout à fait inutiles. Je signalerai qu'à l'inverse, la Suède, où nous nous sommes rendus dans le cadre de la mission, a mis en place un système de sanctions bien plus coercitives qui semble fonctionner.

Je passe maintenant la parole à M. le rapporteur Jean Proriol, qui complétera mes propos.

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