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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 7 avril 2011 à 15h00
Prix du livre numérique — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Je voudrais tout d'abord vous féliciter et vous remercier, monsieur le ministre, pour l'action déterminante que vous menez en faveur de la création, et pour la politique du livre que vous venez de décrire dans tous ses aspects, ainsi que pour votre combat en faveur de la diversité culturelle, dont on sait, tant au niveau européen qu'au niveau mondial, qu'il doit toujours et encore être mené, dans un monde où l'on considère trop souvent ce que l'on appelle à tort les « biens » culturels comme des marchandises dont le seul déterminant devrait être le prix et la libre concurrence. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous apprécions ce combat, qui est aussi le nôtre.

L'irruption du numérique dans l'univers du papier pose immédiatement plusieurs questions. Comment garantir l'intégrité et la conservation durable des oeuvres ? Comment défendre et promouvoir la diversité culturelle ? Comment assurer la rémunération de la création dans un modèle économique en devenir ?

Dans cet océan d'incertitudes, le législateur doit intervenir avec sagacité, afin de poser les principes à valeur universelle qu'il estime devoir protéger, sans se contenter d'une posture déclamatoire, ni entraver un marché en construction.

C'est dans cet état d'esprit que les députés et sénateurs, en concertation avec le ministère de la culture, à l'écoute de tous les acteurs de la chaîne du livre, ont travaillé dans le prolongement du rapport Pour le Livre que j'ai remis à Mme la ministre de la culture il y a exactement deux ans, en mars 2009.

Il convenait d'abord que le taux de TVA applicable au livre électronique homothétique soit le même que celui appliqué au livre papier, c'est-à-dire le taux réduit. Nous avons mené et gagné ce combat, souvent dans un climat de grand scepticisme, lors de la discussion de la loi de finances pour 2011, avec effet au 1er janvier 2012. Au-delà de la question fiscale, c'est la reconnaissance qu'un livre sous forme de fichier numérique est une oeuvre de l'esprit, et non une prestation de service. C'est aussi la condition indispensable pour créer une offre légale attractive, car sinon, immanquablement, le piratage risque de se généraliser.

Quand on invoque la « rémunération de la création », c'est bien sûr aux auteurs que l'on pense, car sans eux – on hésite à le rappeler, tant est grande l'évidence –, il n'y aurait pas d'oeuvres. À l'ère numérique, la question du mode de fixation de leurs droits est donc posée, car chacun sent bien qu'ils ne peuvent être identiques à ceux applicables au livre papier, dont la chaîne de fabrication est beaucoup plus longue et fait intervenir davantage d'intermédiaires. Pour autant, nous sommes là dans un domaine régi d'abord par une relation contractuelle entre auteurs et éditeurs. Mais il est du rôle du législateur de rappeler quelle est son intention et quel cadre de négociation il entend fixer aux différents protagonistes. C'est pourquoi j'ai proposé l'adoption d'un amendement en ce sens.

Cela ne nous dispensera pas, et j'en ai saisi Mme la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation – je sais aussi que Christian Kert est très vigilant sur ce sujet –, de nous pencher sur cette question dans sa globalité, car, à l'ère numérique, plusieurs aspects du code de la propriété intellectuelle sont sans doute obsolètes. Si nous devons, dans la présente loi, fixer un cadre général, une réflexion plus poussée et concertée avec l'ensemble des acteurs est indispensable avant de procéder à une réforme de ce code.

Mais c'est également sur la question de la fixation du prix du livre numérique, objet initial et unique de la présente proposition de loi, que les débats sont les plus âpres, dans le contexte particulier que vous avez évoqué, monsieur le ministre, des descentes policières inouïes des agents de la Commission européenne, confondant les éditeurs français avec un cartel de la drogue, attitude que je voudrais solennellement dénoncer ici.

Peut-être, d'ailleurs, dans la confusion des débats qui prévaut depuis quelques semaines, faudrait-il recourir à Pascal, qui pourrait utilement nous aider avec sa boussole : « Quand tous vont vers le débordement, nul n'y semble aller. Celui qui s'arrête fait remarquer l'emportement des autres, comme un point fixe ». Tentons donc de nous arrêter un moment.

Sur le fond, tout le monde est d'accord : l'objet de la présente proposition de loi est de permettre aux éditeurs de maîtriser la fixation du prix du fichier numérique, afin d'éviter que les distributeurs numériques ne leur imposent leurs prix, dans une course au moins-disant culturel et à la captation de la marge à leur profit, ce qui tuerait la rémunération de la création.

La présente proposition de loi, pionnière dans le monde, règle donc la question pour l'ordre juridique interne de la République française.

Mais se pose immédiatement la question de l'extraterritorialité, puisque les plateformes de téléchargement des distributeurs numériques ne connaissent évidemment pas les frontières. Notons, à ce stade, que cette question n'est pas seulement une question européenne, car s'il y a des plateformes de téléchargement bien connues au Luxembourg, on peut tout aussi bien en trouver à Kiev, à Anchorage, ou à Tien-Tsin.

Nos collègues du Sénat ont donc introduit en première lecture, puis rétabli en seconde lecture, une clause d'extraterritorialité qui rend, en fait, la loi française applicable hors de nos frontières. C'est une innovation juridique très intéressante. C'est même une première dans l'histoire du droit, dont il faut saluer la portée historique.

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