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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 30 mars 2011 à 10h30
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire :

Je suis particulièrement heureux de pouvoir discuter à nouveau avec vous de cette question. Je souhaite exposer la position du Gouvernement et rappeler ce que nous avons engagé depuis plus de deux ans. Mais surtout, sur un sujet aussi sensible, il faut éviter tout faux-semblant. Rien ne serait plus dommageable pour l'ensemble des parlementaires que de faire croire aux paysans français que nous avons des solutions durables sans qu'ils en voient rapidement les effets concrets.

La compétitivité de l'agriculture française par rapport à d'autres agricultures européennes est une question majeure. Pour bien connaître Jean Dionis du Séjour, sa bonne foi et son engagement au service des paysans, je sais que sa démarche est dictée par l'intérêt général, par le souci de répondre à des attentes importantes. Mais il faut le dire tout de suite, l'agriculture française reste de très loin la première d'Europe. En termes de chiffre d'affaires, elle précède de plusieurs milliards la production allemande. C'est dans l'industrie agroalimentaire que nous avons perdu depuis quelques années des positions, que nous sommes d'ailleurs en train de reprendre – nous avions un excédent de 9 milliards l'année dernière, en forte croissance, dont 6 milliards seulement pour la viticulture. Il faut se garder de confondre les deux : les Néerlandais, par exemple, ont une industrie agroalimentaire très puissante parce qu'ils transforment beaucoup de produits bruts chez eux, mais leur chiffre d'affaires agricole global reste très inférieur au nôtre.

Le coût du travail est évidemment un élément majeur de la compétitivité de notre agriculture. Dans certaines filières, comme les fruits et légumes, il représente 70 % du coût de revient. Malgré un redressement, cette filière continue à connaître des difficultés et il est de notre devoir de lui apporter des réponses, comme veut le faire M. Dionis du Séjour. Cette question du coût du travail touche tous les autres secteurs de notre économie. Le remarquable rapport du Premier président de la Cour des comptes, M. Migaud, sur les écarts de compétitivité entre la France et l'Allemagne établit de la manière la plus neutre et la plus cinglante qu'elle en est une des raisons majeures. Il fait apparaître que l'Allemagne a rattrapé son retard en la matière et que nous ne suivons pas une bonne direction. Cela apparaît de façon particulièrement crue dans le secteur de l'agriculture.

La majorité a déjà fait des efforts considérables pour réduire le coût du travail dans l'agriculture. Le dispositif sur les travailleurs occasionnels a ramené le coût horaire, pour ce qui est du SMIC, à 9,43 euros de l'heure contre 11,29 auparavant. Ces 2 euros pour chaque heure travaillée sont un gain considérable. Le dispositif coûte un demi-milliard par an au budget de la nation. Jamais mesure aussi importante n'avait été prise depuis vingt ans. Mais le dispositif doit être pérennisé. Le refondre dans une nouvelle proposition de loi, de la meilleure intention fût-elle, fait courir un risque d'instabilité.

Nous avons aussi lancé une réflexion sur le coût du travail permanent. Dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, vous aviez demandé au Gouvernement de produire un rapport sur les modes de financement alternatifs de la protection sociale agricole avant le 27 juillet 2011. Une mission en ce sens a été confiée à Bernard Reynès, qui a engagé de larges consultations et un travail de fond extrêmement rigoureux. Je suis persuadé que ses conclusions permettront d'ouvrir des voies sur la question.

Face à ces écarts de coût du travail, je suis favorable à une harmonisation sociale européenne, qui doit se faire par le haut : notre objectif ne peut être de nous aligner sur les pays de l'Union qui rémunèrent les salariés agricoles 3,40 euros de l'heure. La mise en place d'un salaire minimum européen doit donc être une perspective de long terme pour l'Union, un engagement que nous devons défendre. Je m'opposerai à tout alignement vers le bas. Ce serait une erreur profonde. Gagner en compétitivité, ce n'est pas s'aligner sur le moins-disant : c'est réduire les coûts de production, trouver des solutions sur l'ensemble de la filière et aussi engager nos partenaires à renoncer à certaines pratiques en matière de rémunération du travail.

La proposition de loi de Jean Dionis du Séjour se caractérise par sa qualité et sa rigueur, et j'y vois la marque de son engagement auprès de l'agriculture française et de sa sincérité profonde. Mais je n'y suis pas favorable, pour d'importantes raisons de fond.

D'abord, elle n'est pas compatible avec le droit communautaire. Or, me connaissant, vous savez que ce n'est pas négociable. Depuis mon entrée en fonctions, et au contraire d'un certain nombre de mes prédécesseurs, je m'oppose à toute proposition non compatible avec le droit communautaire – comme à toute forme de démagogie consistant à faire croire aux paysans français qu'on peut marquer son mépris pour Bruxelles au moment même où l'on renégocie, en demandant son maintien, l'enveloppe que l'Union leur accorde, qui est la plus importante d'Europe. Si l'on n'est pas d'accord avec le droit européen, ce qui m'arrive très souvent, on le modifie. Je viens d'obtenir une modification du droit de la concurrence afin que les producteurs de lait puissent se rassembler et négocier collectivement, en position de force, le prix du lait avec les industriels. Je n'ai pas dit aux producteurs de lait de s'organiser comme ils l'entendaient, et qu'on s'arrangerait avec le droit européen par la suite.

Ensuite, l'exonération proposée, parce qu'elle porte sur le travail permanent, serait assimilée à une aide d'État, donc à une distorsion de concurrence inacceptable. Le dispositif du 9 mars 2010 est très différent : pour le justifier, à Bruxelles, face aux services juridiques de la Commission, j'avais plaidé que s'agissant de travail occasionnel, il ne constituait pas une aide d'État permanente et qu'il permettait de lutter contre le travail non déclaré dans l'agriculture, ce qui lui donnait une vocation sociale et d'intérêt général. Cet argument juridique a été formellement accepté par la Commission. Il n'est pas valable pour un travail permanent, qui n'est pas susceptible de ne pas être déclaré. Cette proposition de loi risque donc d'ouvrir un contentieux majeur avec l'Union européenne alors même que nous sommes en train de négocier le budget de la PAC après 2013. Ce n'est pas le moment de fragiliser nos positions. Ce texte nous mettrait notamment dans des difficultés sérieuses vis-à-vis de nos partenaires allemands, qui sont nos principaux alliés dans cette renégociation.

Les modalités de financement retenues posent aussi problème. D'abord, les mesures qui s'appliquent au travail occasionnel seraient fusionnées dans un nouvel ensemble alors qu'elles donnent toute satisfaction. Tous les paysans, gauche et droite confondues, sont très heureux de payer moins cher leurs salariés occasionnels. Vouloir inventer un nouveau texte suscitera une inquiétude légitime de leur part. Surtout, tout remettre à plat risque de fragiliser ce dispositif tout récent, alors qu'il fonctionne bien. Par ailleurs, la mesure proposée prend modèle sur la « taxe poissons », une taxe qui n'est pas conforme au droit européen… Je suis justement en train d'essayer d'en sortir. Je pense y arriver d'ici quelques semaines, les grands distributeurs acceptant de financer sous une autre forme le soutien aux pêcheurs et mareyeurs. La négociation est sur le point d'aboutir, ce n'est pas le moment d'interférer. Charles de Courson n'avait d'ailleurs pas voté la « taxe poissons », au motif qu'elle n'était pas compatible avec le droit européen !

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