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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 30 mars 2011 à 15h00
Débat sur "europe et méditerranée"

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Depuis plus de quinze ans, les rives de cette mer font l'objet d'une attention particulière qui prend la forme d'initiatives d'État : en 1995, ce fut le processus de Barcelone, puis, en 2008, l'Union pour la Méditerranée voulue par le Président de la République. Mon propos sera bref et s'articulera autour de trois interrogations.

Pourquoi ces initiatives ont-elles été et restent-elles insuffisantes ? Pour l'historien qui commentera l'initiative la plus récente – l'Union pour la Méditerranée – ce qui la caractérisera sera, à n'en pas douter, autant ce dont elle était censée être porteuse – avec ses six grands projets mobilisateurs – que ce dont elle ne parlait pas. Et ce dont elle ne parlait, c'est ce que nous évoquons le plus aujourd'hui, ici, ce soir, car c'est nécessaire : la démocratie et les droits de l'homme.

C'est une invention méditerranéenne que le don de la liberté, considérée comme un élément du droit naturel et du droit des gens. De ce point de vue, la conception même du projet paraissait, sur le plan des principes, en recul par rapport au processus de Barcelone.

De façon plus générale, l'Europe ne s'est pas inquiétée du pouvoir absolu exercé dans plusieurs pays méditerranéens par ces régimes prétendument révolutionnaires et populaires qui se transmettaient de père en fils. Là encore, ce point ne manquera pas d'étonner quand l'histoire sera écrite. Cela témoigne d'une façon autiste de vouloir écrire l'histoire sans composer et sans faire avec les peuples.

Parler de développement économique sans parler de partage démocratique revient à parler de flux de richesses sans évoquer leurs destinataires, ce qui ne peut que fragiliser des projets collectifs qui ont besoin, pour réussir, d'une implication large. Seule la démocratie est en mesure de redistribuer les richesses.

La France peut-elle reprendre l'initiative ? L'Europe et notre pays n'ont pas cru avoir un devoir démocratique et s'inquiéter du sort des peuples et des individus. Ce devoir, nous devons l'exercer aujourd'hui avec intelligence et persévérance. Aux instruments politiques, sur lesquels je reviendrai dans quelques instants, il faut ajouter le modèle culturel que porte la France.

Les valeurs de laïcité, de respect des individus, les idées de justice et de bonté, l'habitude de la réflexion, la culture de la conscience, l'amour du travail, le sentiment des droits de l'homme et de la dignité humaine sont des valeurs que notre langue, notre éducation et notre diplomatie peuvent porter et faire accroître partout dans le monde méditerranéen. Il n'y a pas de raison de penser que ces valeurs ne se partagent pas puisqu'elles sont fondées sur l'ouverture aux autres et sur ce qui nous est commun. Encore faut-il croire à ce modèle. À ce titre, certaines déclarations du chef de l'État promouvant une vision identitaire passéiste de notre pays vont à contre-courant de ce modèle.

Aux paroles réconfortantes de notre présence, il faut préférer les moyens réels et opérationnels de la promotion de notre culture et de notre langue. Nous devrons en reparler lors des discussions budgétaires. On n'a rien sans rien !

Enfin, quel peut être le sens de notre action ? Ne pas parler des conflits en cours ou non réglés dans le bassin méditerranéen constitue une autre forme de déni de la réalité, que nous finissons toujours par payer. Je me contenterai d'en citer deux, certes différents mais importants dans le bassin.

Plus que toutes les autres questions internationales, celle du conflit israélo-palestinien nous interpelle profondément. Soixante ans après la partition de la Palestine, décidée par l'ONU, qui a conduit à la création de l'État d'Israël, l'État palestinien n'a toujours pas vu le jour.

Dans un autre registre, Chypre reste un État occupé au Nord, et aucune solution conforme au droit international et aux aspirations à l'unité et à la démocratie retrouvée sur l'ensemble du territoire ne se fait jour.

D'autres différends pourraient être cités. Il faut, me semble-t-il, encourager les règlements politiques de ces conflits et prendre en ce sens des initiatives fortes. À cet égard, il serait certainement souhaitable de développer une culture de la négociation entre pays concernés et de proposer des instruments régionaux nouveaux d'examen des questions et de règlement progressif des litiges, et ce avec des formats et des partenaires encore peu ou pas sollicités.

De façon complémentaire, le développement du bassin passe certainement par une meilleure association des États méditerranéens aux politiques communautaires qui les concernent. Enfin, nous pourrions inventer, au sens de mettre à jour, la place et le rôle du Conseil de l'Europe. Celui-ci pourrait être un excellent vecteur de discussion et de négociation des pays de la Méditerranée. Il rassemble quarante-sept pays issus de l'Europe et accueille de nombreux autres pays méditerranéens comme observateurs.

En guise de conclusion, je souhaite insister sur le fait que ces chantiers n'empruntent pas la voie des grands projets économiques, mais sont aussi fondamentaux qu'eux car ils remettent au coeur de notre démarche une vision, avec, pour interlocuteurs, non seulement les États mais aussi les peuples et valorisent des outils de gouvernance démocratique et de règlement de différends.

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