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Intervention de Axel Poniatowski

Réunion du 30 mars 2011 à 15h00
Débat sur "europe et méditerranée"

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je me réjouis que le président de la commission des affaires européennes ait pris l'initiative de demander l'organisation de ce débat. Nous pouvons ainsi échanger sur ce que nous inspirent les changements profonds qui sont en action dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, et faire des propositions.

J'ai conduit la semaine dernière une mission de la commission des affaires étrangères en Tunisie, qui m'a permis de mesurer l'ampleur de la mutation que ce pays traverse. Même s'il existe une exception tunisienne, il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés dans l'ensemble du monde arabe à un seul et même phénomène, celui d'une relève de génération.

En Tunisie, l'un de nos interlocuteurs nous a d'ailleurs dit que la révolution pouvait être comparée à la Victoire de Samothrace, en ce sens que c'est une révolution sans tête. Aucun des leaders ou partis d'opposition n'a joué un rôle décisif dans les événements qui ont conduit à la chute de M. Ben Ali. C'est la jeunesse de Tunisie qui a été le principal acteur de cet événement.

Nous devons garder en permanence à l'esprit que l'âge moyen de la population dans le monde arabe ne dépasse pas vingt-cinq ans. Dans n'importe quel pays européen, cette donnée démographique aurait un impact considérable sur la manière dont se conduirait la politique. Dans des pays confrontés à un sous-développement chronique, cette donnée est tout simplement explosive.

Les manifestants de la place de la Kasbah, à Tunis, de la place Tahrir, au Caire, de la place de la Perle, à Bahreïn, les « chabab » qui combattent les mercenaires à la solde de Kadhafi ont pour la plupart non seulement l'âge de nos enfants, mais aussi un idéal commun, des valeurs communes, et ils partagent les mêmes indignations et la même impatience.

À Tunis, le premier gouvernement de transition a été balayé par des manifestations de grande ampleur. Le gouvernement de transition actuel est parvenu à obtenir un répit, mais il suffit de traverser la place de la Kasbah pour comprendre que de nouveaux accès de fièvre sont probables.

C'est pour avoir ignoré ou sous-estimé ce phénomène que nos meilleurs experts se sont laissé surprendre par l'ampleur de cette révolution. Ils avaient en tête une conception de l'Orient forgée par les contacts avec l'ancienne génération, celle d'un Orient radicalement différent de notre monde, d'un Orient corrompu, incapable de se réformer, étranger à toute culture démocratique.

Cette conception expliquait pourquoi le monde arabe était resté à l'écart du mouvement de démocratisation qui se répandait en Europe centrale et orientale et en Amérique latine, et pourquoi il peinait à s'adapter à la mondialisation. Cette conception est désormais en grande partie caduque.

Nous devons rompre avec cette vision du monde arabe, car la nouvelle génération est à l'évidence radicalement différente de celles qui l'ont précédée. S'il existe des différences appréciables de situation d'un pays à l'autre, tous les régimes doivent désormais compter avec une jeunesse nombreuse, qui n'a plus peur d'exprimer son rejet du despotisme et de le combattre, y compris les armes à la main, en aspirant à une nouvelle société.

L'action de l'Union européenne doit à mon sens s'adresser à ces acteurs anonymes en répondant à leurs demandes de justice et de progrès social.

Tout d'abord, l'Union européenne doit tout mettre en oeuvre afin que les avoirs frauduleusement détournés par les dictateurs déchus, leurs familles et leurs proches soient identifiés, gelés et rapatriés dans les meilleurs délais. C'est une question de justice mais aussi d'efficacité, car toutes les ressources financières doivent être mobilisées au service du développement. Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, où en est ce dossier.

L'Union doit aussi aider les démocraties naissantes à prendre à bras-le-corps le problème du chômage des jeunes qui frappe jusqu'à 40 % de la population des moins de vingt-cinq ans dans certains cas. Cela suppose bien entendu que ces pays adoptent ou renforcent des politiques d'ouverture économique et d'accueil des investissements étrangers et qu'ils mettent en oeuvre une autre politique de partage de la rente pétrolière, quand ils en disposent.

Cela suppose aussi que l'Union rééquilibre les crédits de sa politique de voisinage, ce que j'appelle de mes voeux. La Tunisie adressera prochainement à l'Union un projet de mémorandum qui définira les modalités de l'aide financière dont elle a besoin. Ne décevons pas son attente.

La négociation de nouveaux accords d'association reconnaissant aux pays en transition démocratique un statut avancé me paraît également fondée.

Ces pays disposent aussi d'une richesse inestimable : la beauté de leurs paysages et la richesse de leurs cultures et traditions. La crise qu'ils traversent a eu pour conséquence immédiate l'arrêt quasi-total de leur activité touristique. L'Union doit aussi se pencher sur les moyens de les aider à rétablir rapidement cette activité.

Mais cette politique ne sera pas complète si elle ne comporte pas aussi un volet spécifique répondant aux attentes de la jeunesse. À ce titre, il me semble qu'une attention particulière devrait être accordée à la formation et à l'emploi des jeunes.

Les révolutions dans le monde arabe nous rappellent également que l'Europe ne peut se contenter d'utiliser toute la gamme des outils du soft power. Nous en avons fait l'expérience dans les années 90 lorsque les guerres en ex-Yougoslavie ont succédé à l'euphorie de la démocratisation pacifique de l'Europe centrale et je regrette que nos partenaires européens n'en aient pas tous tiré toutes les conséquences.

Je conviens volontiers que nous n'avons pas vocation à intervenir militairement partout, contre tous les despotismes. Mais ceux-ci doivent savoir qu'ils ne peuvent se livrer au massacre de leurs propres populations sans s'exposer à une réaction concrète de notre part.

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