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Intervention de André Gerin

Réunion du 22 mars 2011 à 21h30
Organisation du championnat d'europe de football de l'uefa en 2016 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Gerin :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, l'accueil par la France de l'Euro 2016 laissait penser qu'une occasion rêvée se présentait de faire revivre le football dans sa dimension de sport populaire et votre plaidoyer, madame la ministre, pouvait, d'une certaine manière, apparaître séduisant.

Le Président de la République se plaît à évoquer la nécessaire moralisation du capitalisme financier. Bel effet d'annonce, mais, en l'occurrence, avec la proposition que vous nous présentez, c'est tout le contraire qui nous est offert : les grands groupes capitalistes du bâtiment et des travaux publics sont là, qui attendent de remplir les tiroirs-caisses et les coffres grâce à l'Euro 2016, avec l'aide, de surcroît, de fonds publics qui viendront à la rescousse pour les aider à faire leur beurre. Nous sommes évidemment à cent lieues des attentes des Français, de la jeunesse et des familles populaires, dans un contexte de crise dont nous venons de voir les effets électoraux, expression d'un profond désarroi.

Cette proposition de loi est emblématique de la conception de l'action publique du Gouvernement. Elle illustre la politique conduite dans tous les domaines depuis quatre ans. S'il fallait résumer vos choix et qualifier ce qui les anime, nous pourrions dire que, à vos yeux, aujourd'hui, l'activité humaine est marchandise, et que tous les rouages de la société doivent être soumis à la logique du profit et de la rentabilité ; en l'occurrence, dans ce texte, il s'agit du sport, du football en particulier.

Nous savons tous à quel point l'argent a envahi cette discipline. Les sommes brassées par les clubs sont hallucinantes et s'expriment en milliards d'euros. Ce que vous nous proposez vise, pour la construction et la rénovation des stades, à institutionnaliser cette dérive qui n'a que peu à voir avec l'éthique sportive.

Les exigences de l'UEFA s'inscrivent elles-mêmes dans cette débauche d'argent déversé. Ainsi, pour accueillir l'Euro 2016, il nous faut disposer de deux stades de 50 000 places, de trois stades de 40 000 places et de quatre autres stades de 30 000 places. Au total, l'investissement indispensable est évalué à 1,8 milliard d'euros. Douze stades doivent être mis à niveau pour accueillir les matches, sept autres seront rénovés, et quatre seront construits à Lille, Lyon, Bordeaux et Nice. Les travaux ont déjà débuté au Stade de France.

La question du financement de ces opérations est évidemment posée, d'autant que, aux surenchères de l'UEFA s'ajoute le désengagement de l'État. La conception marchande de la société qui est celle du Gouvernement conduit en effet à dégager la puissance publique des investissements nécessaires pour laisser la place aux intérêts privés. Cette même conception amène en outre l'État à se décharger de ses obligations sur les collectivités territoriales. Il s'agit finalement d'une opération à double détente au profit des grands groupes impliqués qui vont pouvoir remplir leur tirelire.

Ce scénario est exactement celui que le Gouvernement a concocté et qu'il soutient au travers de la proposition de loi qui nous est soumise.

Ainsi, pour l'Euro 2016, les 153 millions d'euros représentant l'engagement de l'État seront financés par l'instauration d'une taxe de 0,3 % sur les paris de la Française des jeux. Son produit sera versé au Centre national pour le développement du sport.

Cependant, l'État, qui s'était engagé à hauteur de 30 % pour la Coupe du monde, ne l'est qu'à hauteur de 7 à 8 % pour l'Euro 2016. Or ce ne sont évidemment pas les clubs eux-mêmes qui mettront la main à la poche. Les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 sont dans le rouge : leurs pertes cumulées s'élèvent à 130 millions d'euros pour la saison 2009-2010 contre 34,5 millions pour la saison précédente. Les vingt clubs de Ligue 1 représentent la majeure partie de ce déficit, soit près de 115 millions d'euros. Lyon affiche la plus grosse perte avec 35 millions d'euros devant le PSG avec 22 millions et Nancy avec 13,5 millions d'euros.

Dans ces conditions, cette proposition de loi est une trouvaille. Elle correspond bien à la conception qu'a le Gouvernement du fonctionnement de la société qui consiste à s'en remettre à de grands groupes privés dont l'engagement, nous le savons bien, s'explique par des motivations qui n'ont rien à voir avec les prouesses sportives. En complément, les collectivités territoriales sont invitées à passer à la caisse.

C'est tout le sens du dispositif que vous nous proposez avec ce texte qui instaure des mesures de dérogation et d'exception. En effet, il s'agit bien de déroger à plusieurs principes de droit administratif, du code général des collectivités territoriales et du code du sport.

Ainsi l'article 1er permettra au partenaire privé d'une collectivité territoriale avec lequel il aura conclu un contrat de bail emphytéotique administratif de percevoir les mêmes subventions et redevances qu'un maître d'ouvrage public. Ces dispositions dérogent au régime de la loi de 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses relations avec la maîtrise d'oeuvre privée.

L'article 2 prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements pourront apporter des aides aux projets concernés. En conséquence, il déroge au code général des collectivités territoriales qui confie au conseil régional la définition du régime, ainsi que la décision d'octroyer des aides aux entreprises, mais aussi au code du sport qui institue des plafonds d'aide et interdit les garanties des collectivités territoriales aux associations et sociétés sportives.

Enfin, l'article 3 court-circuite purement et simplement le juge administratif au profit du recours à l'arbitrage qui est pourtant interdit aux personnes publiques. Avec cette dérogation, nous touchons à l'État de droit. Avec cette procédure, il sera impossible de contester l'implantation géographique d'un stade ou de faire valoir la violation de telles ou telles dispositions d'un plan local d'urbanisme. Cet arbitrage sent bon l'arbitraire. Nous nous souvenons d'ailleurs que, grâce au recours à cette procédure, Bernard Tapie s'est fait verser 45 millions d'euros au titre du préjudice moral. Notons aussi que, sans la justice administrative, les Lyonnais n'auraient pas pu faire valoir leurs arguments, pourtant fondés, contre le projet de Jean-Michel Aulas de construire un grand stade à Décines. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet.

Ce qu'il nous est proposé d'officialiser aujourd'hui a fait l'objet de ballons d'essais pas très ronds qui donnent la mesure de l'engrenage dans lequel nous risquons d'entrer.

Ainsi, le 29 janvier dernier, Le Mans inaugurait son stade de 25 000 places, le MMArena. Son financement a été assuré à 50 % par le groupe Vinci et à 3 % par l'assureur MMA. Le montant total du contrat de concession s'élève à 102 millions d'euros. Il comprend une dette de 39 millions et un apport de fonds propres de 11 millions versé par l'actionnaire de la société concessionnaire. Il est complété par une subvention des collectivités territoriales de 49 millions d'euros répartie entre la ville du Mans pour 31,48 millions d'euros, la région pour 8,76 millions et le conseil général de la Sarthe pour la même somme. Les 3 millions d'euros restants sont apportés par Les Mutuelles du Mans au titre d'un contrat inédit en France dit de « naming ». Ce stade, le MMArena, porte ainsi le nom de ses financeurs privés. Il faut quand même le faire ! (Murmures)

Les travaux, réalisés sous la direction de l'opérateur AOM Ouest, filiale de Vinci construction France, ont été assurés intégralement par des entreprises du groupe Vinci. Le Mans football club, équipe résidente, actuellement en Ligue 2, assurera l'exploitation du stade en prenant 50 % des parts de la société concessionnaire.

Après avoir fait le tour du montage financier et du fonctionnement de ce projet, que constatons-nous ? Pour l'essentiel, cette affaire rapporte de l'argent au groupe Vinci.

Le maire du Mans résume bien le processus engagé : « La logique est la poursuite d'un désengagement des collectivités du sport professionnel. Après que le secteur public a porté seul les projets de stades, on est dans une phase intermédiaire de partage. C'est une étape, mais je rêve qu'un jour le sport professionnel s'assume totalement ». À quand les stades Coca-Cola, les stades Mac Donald's, les stades pétrodollars ? Le problème est que, dans cette logique, l'activité sportive n'est plus qu'un prétexte. Ce qui est vraiment recherché, c'est le retour sur investissement le plus rapide possible.

Dans ces conditions, qu'en sera-t-il de la pratique du sport pour tous, en particulier pour nos enfants ? Le sport de masse restera le parent pauvre car il sera toujours jugé non rentable et les petits clubs travailleront avec des bouts de ficelle. Pourtant que serait le sport de haut niveau sans le sport pour tous qui permet de révéler les talents ? Nous sommes décidément loin des valeurs de l'éthique sportive.

Non, l'argent et le sport ne font pas bon ménage ! Ne serait-ce que parce que le premier modèle des comportements dont nous connaissons les effets dès lors qu'il devient l'alpha et l'oméga de tout ce que qui est entrepris. Ils n'ont rien à voir avec les valeurs du sport, avec l'esprit d'équipe et la recherche de la performance physique et personnelle.

Les géants du secteur du BTP sont à l'affût de montages similaires à celui du Mans. Eiffage a été choisie pour construire le nouveau stade de Lille qui nécessite un investissement de 330 millions d'euros. Vinci et Bouygues sont présélectionnés pour les travaux de couverture et d'agrandissement du stade vélodrome à Marseille, projet estimé à 200 millions d'euros.

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