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Intervention de Hervé Féron

Réunion du 22 mars 2011 à 21h30
Organisation du championnat d'europe de football de l'uefa en 2016 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Vous trompez les Français ! Vous devriez de toute urgence tirer les leçons du vote de dimanche dernier, qui a sévèrement sanctionné vos politiques et ce genre de méthodes.

Je l'ai dit, le BEA ne concerne que trois sites : Paris, Lens, Nancy. Votre proposition de loi restreint exclusivement pour l'instant ces petits avantages à l'Euro 2016. Vous ne ferez pas croire que vous n'avez pas déjà une petite idée sur les promoteurs, les grands groupes de BTP et les clubs résidents qui vont profiter de l'opération. Nous sommes manifestement face à de petits arrangements entre amis, triste image de la politique offerte aux citoyennes et aux citoyens de ce pays entre deux tours d'élections cantonales !

L'article 1er vise à permettre, pour les BEA, l'ouverture aux aides de toutes les collectivités, y compris la collectivité bâilleuse. C'est-à-dire que la collectivité qui louera l'infrastructure pourra non seulement participer financièrement à l'investissement privé, mais aussi y ajouter une subvention à peine déguisée, en concédant un prix de location dérisoire. Ce sera tout bénéfice pour l'investisseur privé ! C'est donc la nature même du bail emphytéotique administratif qui est mise en cause.

Cet article permettra aussi au CNDS de verser, toujours pour ces projets présentés comme privés et exclusivement dans le cadre de l'Euro 2016, les 153 millions d'euros promis au départ par le chef de l'État aux collectivités. C'est un régime extrêmement favorable pour les futurs entrepreneurs avec une privatisation des profits quand les charges seront en partie ou complètement publiques.

Cerise sur le gâteau : à l'alinéa 2, il est proposé que, même si la rénovation du stade est terminée et que l'emprunt est remboursé, le versement des subventions puisse être étalé jusqu'à expiration du bail. M. Depierre a tenté en commission de banaliser cet alinéa mais, manifestement, il n'y a rien d'innocent dans ce texte. En étant à peine caricatural, on peut dire qu'une collectivité souhaitant faire un cadeau à l'exploitant privé pourra lui concéder un prix de location d'un euro symbolique annuel pour 99 ans de bail. Elle n'est pas belle, la vie ?

L'article 2 prévoit une dérogation, d'une part aux dispositions qui hiérarchisent le rôle des collectivités territoriales dans l'octroi des aides, d'autre part aux règles qui limitent ces aides au financement du sport. Il édicte donc une exception au code général des collectivités territoriales, qui confie au conseil régional la décision d'octroyer des aides aux entreprises et une autre au code du sport, qui institue les plafonds d'aide et interdit les garanties de collectivités territoriales aux associations et sociétés sportives. Cette proposition de loi n'en finit plus de faire exception à la loi !

Il faut ajouter que ce texte sera très probablement jugé contraire au droit européen. Il sera ainsi intéressant de connaître l'avis du Conseil constitutionnel s'il venait malgré tout à être voté. En effet, la concurrence libre et non faussée, que la majorité a fini par imposer contre le vote des Françaises et des Français, donne une lecture très drastique des possibilités d'aide de l'État. Or rendre possible le financement par une collectivité d'une société privée est une entrave à la concurrence. Les articles 107 et 108 – anciennement 87 et 88 – du Traité de l'Union européenne prohibent, d'une façon générale, les aides de l'État.

Cette proposition de loi est donc bien contraire à l'article 55 de la Constitution, qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ».

À propos de concurrence faussée, pour gagner encore plus d'argent, les groupes de BTP seront dans l'obligation de développer en plus des matches de football des activités permettant de réaliser un chiffre d'affaires annuel conséquent. Il s'agira, entre autres, d'organiser des événements culturels, concerts ou spectacles. Avez-vous pensé aux entrepreneurs de spectacles locaux qui, eux, ne vont pas bénéficier de ces aides publiques considérables mais qui devront assumer de lourdes charges et faire face à cette nouvelle concurrence ?

L'article 3 prévoit la possibilité de recourir à l'arbitrage pour tous les contrats conclus, dans le cadre de l'Euro 2016, en lien avec la construction ou la rénovation des enceintes sportives et des équipements connexes permettant le fonctionnement de celles-ci, ainsi qu'avec l'organisation et le déroulement de l'événement. Cette procédure d'arbitrage est encore rarement utilisée quand une personne publique ou de l'argent public sont en cause ; il s'agit encore d'une exception.

La procédure d'arbitrage ouvre une brèche inquiétante dans le droit français, puisqu'elle dépossède les tribunaux administratifs ou judiciaires du règlement des conflits liés à la rénovation ou la construction de stades pour l'Euro 2016. Mme la ministre a eu beau plaider en commission le fait que la procédure d'arbitrage aboutit à une décision de justice, il n'en demeure pas moins que les tribunaux de l'État en sont dépossédés.

Pour exemple, dans le conflit qui opposait le Crédit Lyonnais à Bernard Tapie, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, avait été défavorable à ce dernier. Cependant, fin 2007, c'est un tribunal arbitral qui a été saisi, procédure fréquemment utilisée pour régler les conflits de droit commercial privé, mais sans précédent s'agissant d'une personne privée face à l'État. Certains pensent que ce serait le Président de la République lui-même qui aurait pris la responsabilité de suspendre la procédure judiciaire ordinaire devant les tribunaux de la République, en remerciement pour soutien durant la campagne présidentielle de 2007. En tous cas, Mme Lagarde ne s'est pas opposée au recours à l'arbitrage ; elle y était plutôt favorable.

Évoquons quelques dates.

Le 11 juillet 2008 : un tribunal formé de trois arbitres a donc donné raison à Bernard Tapie et tort à l'État. Le consortium de réalisation chargé de gérer le passif du Crédit Lyonnais a été condamné à verser 390 millions d'euros à Bernard Tapie. Début février 2011 : la Cour des comptes estime que cette procédure n'est pas conforme au droit. Mars 2011 : vous proposez par votre proposition de loi que cette procédure soit celle qui régule les conflits dans le cadre de l'Euro 2016.

Ou en est-on aujourd'hui de la candidature de la France à l'Euro 2016 ?

En commission, au mois de février, je vous avais fait remarquer, madame la ministre, que, Lille mis à part, la plupart des onze stades retenus – devenus dix depuis l'abandon de Strasbourg – n'avaient pas bouclé leurs montages juridiques et financiers et qu'ils risquaient de ne pas être prêts à temps. Je vous avais donc posé la question de savoir si vous disposiez d'un plan B, pour avoir neuf stades conformes aux exigences de l'UEFA. Ce jour-là, vous avez oublié de me répondre. Je me permets donc de vous reposer la question : Avez-vous un plan B ?

Nous avons, nous, des propositions.

Pour que l'Euro 2016 puisse avoir lieu en France dans de bonnes conditions, il faudrait que l'État français décide d'abonder de façon plus significative ce projet que le Président de la République s'est lui-même approprié. Cela permettrait d'abord que les collectivités locales ne se voient pas transférer de nouvelles charges. Cela permettrait ensuite au CNDS de continuer à jouer son rôle, plutôt que d'être confisqué pour cette unique manifestation. Il faudrait enfin et surtout qu'un vrai projet de loi portant une politique pour le sport globale, éclairée, concertée et ambitieuse nous soit proposé. Cela permettrait ainsi de régler la question de la propriété des enceintes sportives et de leur exploitation. Voilà nos propositions, madame la ministre, pour que l'Euro 2016 puisse se réaliser dans de bonnes conditions.

Au lieu de cela, vous allez faire passer en catimini, en force et en urgence, cette triste proposition de loi. Des stades énormes vont être construits qui, par la suite, seront trop souvent à moitié vides et coûteront une fortune en fonctionnement. Le brave supporteur verra donc par incidence le prix de son billet augmenter encore, alors que ces stades auront été financés par son impôt, augmentant la dette et fragilisant encore plus les équilibres budgétaires des collectivités locales. Triste perspective !

Parce que nous aimons le football, parce que nous aimons le sport, parce nous pensons que le sport doit véhiculer en permanence de belles valeurs éducatives, les valeurs de l'olympisme telles que l'honneur, le respect de l'autre, le respect des règles, à mille lieues d'autres valeurs que nous combattons : l'intérêt personnel, le profit mercantile, l'individualisme, nous rejetons cette proposition de loi injuste et inacceptable. Lorsque Pierre de Coubertin s'exclamait : « Plus vite, plus haut, plus fort », il ne pensait ni au profit, ni au chiffre d'affaires, ni à la spéculation.

Par cette proposition de loi, il est fait trop systématiquement exception à la loi. La démocratie est ignorée, la morale est bafouée ! C'est pour ces multiples raisons, mes chers collèges, que je vous invite à voter cette motion de rejet. C'est pour ces multiples raisons que nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

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