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Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 16 mars 2011 à 15h45
Commission des affaires économiques

Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

De nombreux parlementaires ici présents connaissent l'IRSN et ont visité son centre de crise. Nous disposons d'un équipement et d'une organisation parmi les plus solides au monde. L'exercice mensuel d'accident majeur que nous menons avec EDF, le CEA et AREVA est un entraînement très utile. On nous reproche parfois d'exagérer dans les scénarios que nous composons et que nous proposons aux exploitants et aux préfets. Il apparaît malheureusement aujourd'hui que ces scénarios peuvent se réaliser.

La première des trois cellules du centre de crise, consacrée à la sûreté des réacteurs, observe la situation à partir des éléments qui nous sont transmis par le service nucléaire de l'ambassade de France à Tokyo, et renseigne à son tour l'ASN. Nous travaillons également en liaison étroite avec les États-Unis et l'Allemagne : la France n'ayant pas de réacteurs à eau bouillante, nous ne disposions pas des plans des réacteurs japonais, par exemple. Cette collaboration a été parfaite et intense malgré les décalages horaires. Elle nous a permis de disposer d'informations précieuses, notamment pour la modélisation, c'est-à-dire pour l'estimation de la quantité de radioactivité susceptible de s'échapper des enceintes endommagées.

Cela dit, s'il est vrai que ces réacteurs ne sont pas les mêmes que les nôtres, une perte de refroidissement ne pose pas des problèmes très différents dans les deux cas, et obéit à un scénario que nous connaissons bien.

Il faut souligner en outre une différence qui est au bénéfice des installations françaises. L'ancêtre de l'IRSN, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire du Commissariat à l'énergie atomique, avait imposé une innovation par rapport aux technologies américaines importées : il avait exigé que soit installée, pour ultime secours, une turbine fonctionnant avec la vapeur produite par le coeur nucléaire. Les réacteurs français sont ainsi à même de faire fonctionner des circuits de refroidissement d'eau sans aucun apport d'électricité et sans moteur diesel. Cette ressource est évidemment un dernier recours mais, si le Japon en avait disposé, peut-être ne connaîtrait-il pas une situation aussi inquiétante.

De notre point de vue, le sujet central n'est pas tant la résistance aux séismes ou aux tsunamis – des événements extraordinaires peuvent toujours survenir comme on l'a vu lors de la tempête du Blayais – que la défense en profondeur des installations et la capacité à restaurer rapidement, c'est-à-dire en moins de 24 heures, des moyens de refroidissement des circuits. Ce qu'il nous faudra comprendre, c'est pourquoi il y a eu défaillance à ces égards dans un grand pays nucléaire comme le Japon.

Pour l'avenir, le gouvernement français a demandé à l'IRSN d'élaborer des projets de recommandations pour l'établissement de futures normes internationales concernant tous les réacteurs de troisième génération : en effet, les règles que nous avons fixées pour l'EPR ne couvrent pas l'ensemble de la gamme. Nous nous sommes attelés à cette tâche. Nous avons fondé une association des IRSN européens et travaillons main dans la main avec nos amis américains et japonais. Notre homologue japonais est d'ailleurs membre de ce club européen des experts de sûreté nucléaire. Nous sommes convaincus que cette recherche commune et cette culture partagée, pour des technologies qui, en définitive, se ressemblent, sont le meilleur moyen de contribuer à une harmonisation qui connaîtra également une étape réglementaire et une étape politique.

J'en viens aux conséquences de l'accident dramatique qui est en train de se produire au Japon. Le panache radioactif couvre actuellement une zone relativement concentrée de quelques dizaines de kilomètres autour du site. Les vents sont globalement orientés vers l'océan Pacifique, mais pas uniquement, en raison des spécificités de la météorologie côtière. Ce panache va en tout état de cause s'étendre et se déplacer. Nos calculs indiquent cependant qu'à Tokyo, qui compte 35 millions d'habitants et où se trouvent encore 2 000 Français, même si l'on détecte des rayonnements ionisants et des particules radioactives, la dosimétrie restera sans conséquences sanitaires visibles – en tout cas sans effets justifiant, par exemple, l'administration de comprimés d'iode.

Jusqu'à 50 ou 60 kilomètres autour du site, la zone sera fortement contaminée. Au-delà, les conséquences seront perceptibles par les mesures mais ne seront pas dramatiques. Sur le reste de la planète, on détectera les particules à mesure de leur progression, surtout dans l'hémisphère nord. La métrologie des rayonnements ionisants est en effet si puissante que l'on peut détecter des quantités très faibles et non nocives. Reste qu'il s'agit d'une pollution dont la planète se serait sans doute bien passée !

Pour donner un élément de comparaison, j'évoquerai les essais nucléaires atmosphériques des années 1950 et 1960. Nous allons mettre en ligne une carte historique des quantités de césium radioactif libérées à l'époque – et dont nous venons à peine de nous affranchir, puisque le césium a une demi-vie de 30 ans –, carte qui montre un ordre de grandeur supérieur à ce qu'a provoqué l'accident de Tchernobyl. Mais, dans ces années, la société n'était pas informée et cela n'avait pas soulevé une émotion considérable.

Il faut avoir en tête ces ordres de grandeur afin que nos concitoyens ne soient pas inutilement alarmés.

Néanmoins, expliquer ne suffit pas. Ayant pour mission de surveiller la radioprotection dans notre pays, l'IRSN a mis en place plusieurs dispositifs, parmi lesquels les balises dont parlait Mme Buzyn, qui sont des systèmes de détection de rayonnements gamma, et le réseau OPERA, qui surveille les aérosols radioactifs et mesure l'existence de particules qui ne sont pas à rayonnements gamma mais qui peuvent être tout aussi toxiques. Avec Air France et l'ambassade de France à Tokyo, où nous avons dépêché un expert en radioprotection, nous avons également installé un dispositif de contrôle de la non-contamination des équipages d'Air France. Les mesures ont commencé, donnant des résultats négatifs. Nous contrôlerons également les passagers qui auront voyagé dans des régions exposées ou qui nous diront avoir été exposés à des risques.

Les résultats globaux de ce dispositif de contrôle seront rendus publics. L'IRSN, soyez-en assurés, est entièrement mobilisé. Nous ne faillirons pas à notre mission au service de la transparence et du public français – mais aussi étranger : l'AIEA et l'OMS, dont l'IRSN est centre référent, nous demandent en effet de les aider à coordonner l'aide internationale qui sera apportée au Japon.

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