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Intervention de Patrick Kron

Réunion du 15 mars 2011 à 17h00
Commission des affaires économiques

Patrick Kron, président-directeur général d'Alstom :

Ce n'est pas encore fait. Pour ma part, je considère que le meilleur moyen de renforcer une filière est de ne pas l'amoindrir. Je ne vois pas en quoi l'entrée de Mitsubishi – concurrent direct d'Alstom – dans le capital d'Areva – qui est l'un de nos partenaires traditionnels – renforcerait la filière. Certes, ils développent ensemble l'ATMEA ; mais General Electric a des activités nucléaires communes avec un certain nombre d'acteurs japonais comme Hitachi, et celui-ci n'est pas à son capital pour autant ! Il peut y avoir un partenariat entre les deux concepteurs de l'ATMEA, mais l'entrée d'un concurrent direct d'Alstom dans le capital d'Areva n'est pas une bonne idée. Je me félicite donc qu'elle n'ait pas eu de suite pour l'instant.

L'exemple japonais me paraît avoir été repris par le Conseil de politique nucléaire. Les Japonais ont en effet organisé, à l'intérieur d'une « coquille » dont le statut importe finalement peu, un ensemble qui vise à promouvoir le Japon et associe l'État, les électriciens et les différents acteurs industriels de la filière. Cette structure coordonne les actions des différents acteurs, afin de pouvoir formuler dans les meilleures conditions une offre collective dès lors que celle-ci a du sens. C'est l'idée que va mettre en oeuvre M. Besson avec le comité stratégique de l'énergie nucléaire. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse…

J'en viens aux délocalisations de Belfort, qui concernent aussi bien les diaphragmes, que nous fabriquons depuis quelques années au Mexique, que les ateliers d'ailettes. Je le redis, notre centre d'excellence et d'expertise est à Belfort. Mais lorsque nous ne sommes pas compétitifs sur une activité donnée, nous en tirons les conclusions. Je n'entrerai pas dans le détail des projets, puisqu'ils font l'objet de concertations avec les partenaires sociaux. Sachez en tout cas que le site de Belfort est largement exportateur ; les programmes nucléaires de ces dernières années ont surtout été lancés hors de France, et c'est principalement depuis Belfort que nous avons répondu à la demande. Notre objectif est d'être compétitif. Lorsque tel n'est pas le cas, nous devons nous adapter. Nous avons huit ou neuf ateliers d'ailettes – nous sommes en train de diminuer ce nombre. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les ajustements dont nous discutons avec les partenaires sociaux.

Les réseaux intelligents ou « smart grids » sont un autre sujet très intéressant. Durant longtemps, il y a eu de gros centres de production d'électricité et des centres de consommation. La situation est aujourd'hui bien différente : les centres de production sont beaucoup plus diffus, avec les énergies renouvelables intermittentes, comme le soleil ou le vent, et les bâtiments deviennent « intelligents » – car les smart grids ne sont pas de simples compteurs. Les réseaux sont donc plus complexes à gérer en termes de sûreté et d'efficacité globale. Cela signifie qu'il y aura beaucoup plus de technologie demain. C'est une voie prometteuse sur laquelle nous mobilisons des moyens humains et financiers significatifs. Nous avons de très bonnes positions dans la gestion des réseaux, et nous entendons nous développer encore.

L'un d'entre vous a évoqué les éco-quartiers. Bouygues, actionnaire à 30 % d'Alstom, s'est impliqué dans les quartiers. Pour notre part, nous avons développé des systèmes de transmission. Nos clients dans l'électricité nous avaient d'ailleurs demandé depuis longtemps de les aider à optimiser l'utilisation des centrales que nous leur livrions par rapport aux besoins du réseau et des utilisateurs. Nous avons donc été conduits à avancer dans cette direction.

En acquérant les activités transmission d'Areva T&D, nous avons constitué en notre sein un nouveau secteur dénommé Alstom Grid, qui nous permet désormais d'aller jusqu'aux sous-stations électriques. Nous nous sommes aperçus que les logiciels et les moyens que nous avions développés pour ces applications-là – notamment software – étaient aussi utilisables pour répondre à la problématique de l'optimisation des bâtiments. Nous avons donc décidé de nous développer dans ce domaine. Nous collaborons notamment avec Schneider, qui intervient sur la moyenne tension et la basse tension. Il est évidemment intéressant de développer une offre française dans ce domaine.

Quant aux difficultés d'Alstom, elles sont derrière nous. Si nous avons été près du dépôt de bilan en 2003, elles ont été résolues entre 2003 et 2006. Nous restons cependant une société à forte inertie, car nous sommes sur des métiers longs. Le problème que nous avons affronté à l'époque était celui d'une crise de confiance – les clients se demandaient si Alstom allait survivre assez longtemps pour réaliser les projets qu'ils voulaient lui confier. Comme ils n'osaient pas le faire, la société allait mal. Bref, c'était un cercle vicieux dont nous sommes heureusement sortis. L'entreprise s'est redressée et a recruté 40 000 personnes dans les cinq dernières années. Nous n'en affrontons pas moins – avec retard – les conséquences de la crise internationale. Nous sommes ce que l'on appelle une société de fin de cycle. Nous avons un carnet de commandes compris entre 40 et 50 milliards d'euros – soit environ deux ans de chiffre d'affaires, ce qui est dans la norme pour nos métiers. L'avantage est donc que lorsque les commandes s'arrêtent, nous continuons à travailler. Alors que nous étions en pleine crise, 2009 a été notre meilleure année ! A contrario, nous subissons aujourd'hui les conséquences de la baisse des commandes entre 2008 et 2010.

Phénomène un peu inquiétant, nous semblons désormais vivre dans un monde à deux vitesses. Les commandes que nous avons prises entre le 1er avril et le 31 décembre indiquent que la demande a repris dans les pays émergents, mais pas dans nos marchés traditionnels – Union européenne, Amérique du Nord. Ce n'est d'ailleurs pas illogique : en Europe, la consommation d'électricité n'a pas encore atteint les niveaux d'avant la crise. Les acteurs ont donc de la marge de manoeuvre, d'autant que des centrales commandées avant la crise ont été livrées pendant celle-ci.

Nos marchés « classiques » représentaient traditionnellement 70 % de nos commandes, et le reste du monde – Asie, Amérique latine, Moyen-Orient, Afrique – 30 %. Nous sommes aujourd'hui respectivement à 35 % et 65 % ! Cela montre que nous sommes capables de remporter des marchés dans ces pays, ce qui tient beaucoup à notre présence historique – nous avons tout de même 10 000 personnes en Chine, 6 000 en Inde, 4 000 dans le reste de l'Asie et 5 000 au Brésil. Ces commandes ne contribuent cependant que de manière marginale au plan de charge de nos usines françaises et européennes. Il faut en tenir compte et nous ajuster lorsque c'est nécessaire.

La concurrence asiatique s'est développée. Nous y ferons face, comme nous faisons face à celle de General Electric, de Siemens ou des Japonais. Il faut en revanche s'assurer que cette concurrence soit loyale et que les financements associés aux offres de nos concurrents asiatiques répondent aux règles du commerce international. C'est la raison pour laquelle je suis très attaché à un principe que j'estime fondamental, celui de la réciprocité. Je m'étonne donc de voir nos concurrents japonais vendre des trains en Europe alors qu'ils détiennent quasiment 100 % du marché japonais. Je suis pour une économie ouverte – pour des raisons idéologiques mais surtout professionnelles – mais à condition d'encourager l'ouverture de toutes les frontières. Les entreprises non européennes doivent être traitées en Europe comme le sont les entreprises européennes dans les pays dont ces entreprises étrangères sont originaires. Pourquoi les directives sur la réciprocité dans les marchés publics ne sont-elles toujours pas transposées dans le droit des pays européens ? Pourquoi les règles de l'OMC sont-elles si mal appliquées ? Certes, cela commence à être le cas, mais cela se fait très lentement.

J'ai déjà répondu sur les questions qui touchent aux délocalisations comme aux partenariats. Je le répète, ces derniers sont positifs pour l'ensemble de l'entreprise. Nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle. Il faut rompre avec la logique d'inspiration malthusienne qui veut que toute création d'activité hors de nos frontières se fasse au détriment d'une activité en France. Je passe mon temps à essayer de l'expliquer aux partenaires sociaux, qui s'inquiètent de nous voir tant investir hors d'Europe. L'histoire nous a plutôt donné raison. Nous venons de remporter un contrat en Inde : pensez-vous que l'on puisse vendre des métros là-bas depuis Valenciennes ? Non : il faut savoir s'adapter et se mettre à proximité des clients lorsque c'est nécessaire.

En ce qui concerne l'énergie éolienne, nous n'avons que de faibles parts de marché – entre 1 % et 2 %. Nous nous y sommes intéressés assez tard, en raison des problèmes financiers auxquels nous étions confrontés. Nous avons beaucoup travaillé pour développer une offre on shore ou terrestre, avec des turbines qui vont jusqu'à 3 mégawatts. Nous avons investi, racheté une société espagnole ; nous sommes désormais présents aux États-Unis, en Amérique latine, au Japon et dans les pays du sud de la Méditerranée. Nous travaillons maintenant au développement d'une offre off shore qui utilise nos propres technologies. Après avoir examiné la possibilité de travailler avec Multibrid préalablement à son acquisition par Areva, nous avions en effet considéré que cette cible ne répondait pas à nos objectifs dans les domaines technique et financier.

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